Réalisé par Inza Koné/ Coll: Hubert-Armand Assin
Ferkessédougou, 17 jan 2025 (AIP) – Dans les ruelles poussiéreuses de Ferkessédougou, des familles déplacées errent, portant leurs maigres biens dans des sacs usés. Arrivées du Burkina Faso et du Mali, deux pays limitrophes de la Côte d’Ivoire, ces personnes en quête de tranquillité et de paix fuient les conflits meurtriers qui ravagent le Sahel. Mais ici, l’espoir d’un refuge sûr se heurte à des tensions croissantes avec les populations locales, confrontées à une pression inédite sur leurs ressources. (Reportage)
L’arrivée des oubliés du Sahel
Sous un soleil implacable, Aïssata Diallo, une mère de cinq enfants, raconte son périple. “Nous avons fui notre pays la nuit, laissant tout derrière nous. Ici, nous dormons sur des nattes prêtées par des villageois. Mes enfants pleurent souvent de faim.”, relate-t-elle avec beaucoup de tristesse.
Comme elle, des milliers de réfugiés traversent la frontière ivoirienne, parfois avec leurs troupeaux, dans l’espoir de trouver la paix. Selon le Haut-commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR), la Côte d’Ivoire a enregistré 70 500 demandeurs d’asile en décembre 2024. Parmi eux, 6 000 vivent dans le département de Ferkessédougou, principalement hébergés dans des villages ou des familles hôtes.
“Nous n’avons pas de camp ici, tout le monde est dispersé. Cela complique notre travail”, explique le chef du bureau du HCR pour le Tchologo, Massama Kilioto.
À Koumbala et Togonieré, deux sous-préfectures du canton du Palaka, des dizaines de réfugiés s’abritent dans des cases surpeuplées ou dorment à la belle étoile, exposés à tous les dangers.

La terre d’accueil sous pression
Le quotidien des habitants de Ferkessédougou a “brusquement” changé avec l’afflux de toutes ces personnes fuyant les violences au Burkina Faso et au Mali. Leurs troupeaux, parfois par centaines, envahissent les pâturages et détruisent les cultures de leurs hôtes.
À Palaka, un canton agricole, où vivent les Sénoufos ivoiriens, les tensions montent. “Nos champs de maïs sont piétinés, et il n’y a plus assez d’eau pour tout le monde”, déplore Ouattara Benjamin, chef coutumier. Les villageois racontent aussi des agressions, des vols de bétail et des violences.
“Ma fille a été attaquée en allant chercher du bois”, souffle Yeniyaki Ouattara, un paysan ivoirien, les traits marqués par l’inquiétude.
Dans le secteur de Tiekpe, à la frontière nord, les habitants vivent dans une crainte constante. “Les coupeurs de route et les voleurs de bétail se cachent parmi les réfugiés. Nous ne dormons plus tranquilles”, confie Hamed Yeo, un éleveur.

Si l’hospitalité ivoirienne reste une valeur forte, elle est toutefois mise à rude épreuve. Dans le canton Palaka, les chefs traditionnels haussent le ton.
“Nous avons accueilli ces gens par devoir, mais aujourd’hui, nos ressources s’épuisent. Les réfugiés doivent partir avec leurs troupeaux”, martèle Ouattara Benjamin. Les élus locaux, comme le député Koné Dieudonné, appellent au calme mais alertent : “Nous ne voulons pas que cette situation dégénère. Il faut une solution durable avant que la colère n’éclate.”

L’appel des réfugiés
De leur côté, les réfugiés se sentent rejetés. “Nous comprenons la frustration des villageois, mais nous n’avons nulle part où aller”, se désole le porte-parole d’un groupe de déplacés, Tall Coulibaly. Certains envisagent déjà de quitter Ferkessédougou pour le Hambol ou le Poro, deux régions voisines du nord ivoirien , espérant y trouver des conditions meilleures. Sous le baobab d’un village, un vieil homme soupire : “Nous sommes fatigués de ces conflits. Tout ce que nous voulons, c’est vivre en paix.” En attendant des solutions concrètes, Ferkessédougou reste en équilibre précaire, entre solidarité et tensions, au cœur d’une crise qui bouleverse toute la région.
Un cadre étatique mis en place pour apaiser les tensions interhumaines
Conscient de l’urgence, le gouvernement ivoirien a instauré, en décembre 2024, un cadre régional de gestion des réfugiés. Lors d’une rencontre à Ferkessédougou, Sory Clarence, de la Direction d’aide et d’assistance aux réfugiés et apatrides (DAARA), a présenté ce dispositif.
“Ce cadre permettra de coordonner les actions et d’assurer une meilleure cohabitation entre réfugiés et populations locales”, a-t-il expliqué.
Le secrétaire général de préfecture de Ferkessédougou, Emile Koffi, qui représentait le préfet de la région du Tchologo à cette rencontre, a rassuré les parties prenantes de l’engagement du corps préfectoral dans la mise œuvre de ce nouveau cadre de coordination non sans appeler tous les participants à s’y conformer pour une gestion efficiente des demandeurs d’asile. « Il nous faut bien mettre en application ce nouveau cadre de coordination pour non seulement une meilleure protection des demandeurs d’asile, mais aussi garantir à nos populations une paix sociale et une sécurité optimale » a-t-il indiqué. Des patrouilles de gendarmerie ont également été renforcées dans les zones sensibles, une mesure saluée mais jugée insuffisante par les habitants.
(AIP)
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