Reportage réalisé par Tiémélé Danielle avec la collaboration de Soumahoro Binta
Abidjan, 16 mars 2025 (AIP) – Durant les périodes de carême des chrétiens catholiques et de jeûne des musulmans, caractérisées par la privation, les ménages de ces deux communautés religieuses, font face à des bouleversements dans la gestion des budgets dédiés à l’alimentation de la famille, soit du fait de la flambée des prix des denrées, soit à cause des obligations communautaires liées au partage et à la solidarité.
Une pression financière accrue liée à la cherté de la vie
« Avec le Ramadan, tout change. L’argent du marché triple. En temps normal, avec 3 000 F CFA, je peux préparer une sauce qui dure deux jours, sans compter le riz », confie Soumahoro Mawa, une habitante du quartier Sogefia de Koumassi. Elle ajoute que désormais, elle part au marché avec 10 000 F CFA et cette somme arrive à peine à couvrir ses besoins pour le repas d’une journée.

Selon Dame Soumahoro, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le jeûne ne signifie pas nécessairement une réduction des dépenses alimentaires. « Le soir, à la rupture, on prépare beaucoup plus de plats pour bien récupérer. On commence par une entrée, souvent une salade ou des concombres, puis une bouillie accompagnée de pain ou de gâteau. Ensuite, il y a les jus traditionnels comme le tamarin, le bissap (fleures d’oseille) ou le gnamangouji ( jus de gingembre)», explique-t-elle, relevant que les provisions mensuelles des temps ordinaires ne couvrent pas cette période.
Temps de carême rimant par essence avec privation ou réduction de la consommation d’aliments, des ménages parviennent à réduire leur consommation de certains produits ou services, tandis que d’autres achètent plus de produits spécifiques à cette période, notamment des dattes, des fruits secs et des jus de fruits qui ne figuraient pas dans leur habitude alimentaire.
M.Koné, officier à la marine nationale, relève qu’en période de jeûne, on peut se priver de sorties, notamment de restaurants, mais toutes ces privations « se déversent » dans la popote de la maison. « À la maison, on cuisine plus, et on consomme plus de gaz pour la confection des repas lors de la rupture du jeûne », note-t-il.
Le budget des fidèles chrétiens relativement moins bouleversé que celui des musulmans

Pour Mme Bouguy, le carême chrétien est aussi l’occasion d’adopter de nouvelles résolutions. « Au-delà de la nourriture, on fait des sacrifices spirituels et des dons », confie Mme Bouguy.
Les fidèles chrétiens avancent en outre, qu’ils ne se sentent pas obligés de jeûner durant les 40 jours. Ainsi, cette période n’a véritablement pas de répercussion sur leur budget.« Seuls le mercredi des cendres et le vendredi saint sont obligatoires », a relevé un fidèle chrétien.
Temps de privation, temps de partage et de solidarité
Selon Diawara Séjour, opérateur en aviculture, même s’il y a la privation de nourriture pendant le Ramadan, ce qui pourrait faire croire que les fidèles effectuent des économies, les ménages dépensent énormément.
En plus de débourser beaucoup d’argent du fait de la cherté de la vie durant cette période où la demande des denrées alimentaires est plus forte, un père de famille dépense beaucoup à cause des dons faits soit au sein de la famille, soit en faveur des nécessiteux.
« Je viens de faire un don de 12 sacs de riz à des personnes vulnérables. Et j’ai fait des emplettes pour la famille pour faire aussi plaisir à mes proches. Les dépenses en ces moments sont importantes », relève-t-il, soulignant que cette pratique n’est pas dictée par la religion, même si celle-ci prône le partage.

En outre, M. Diawara fait savoir que les ruptures collectives de jeûne, en vogue ces dernières années, constituent des sources de dépenses durant le Ramadan.
Le sens du partage entraîne aussi des dépenses lors du carême chrétien, au dire de sieur B.J.L, administrateur civil à Danané.
« À vrai dire, on ne peut pas affirmer qu’on économise durant le temps de carême. Pour ce qui me concerne, les dépenses durant ce temps sont les mêmes que durant le temps dit ordinaire dans l’Église».
Ce fait se justifie premièrement par la cherté de la vie. Ensuite. Pendant le temps de carême, les actes de charité sont encouragés. « Cela nous amène à prévoir des dons, non seulement pour l’Église, mais également pour les nécessiteux. Du coup, ce qu’on ne dépense pas en nourriture, on le dépense en actes de charité », ajoute-t-il.
Dr Briga Louis, enseignant-chercheur à l’École normale supérieure (ENS), renchérit. Il décèle deux situations autour desquelles on peut évaluer l’impact économique du carême sur le chrétien. Il s’agit de l’impact économique du carême sur le ménage eu égard aux résolutions personnelles.
Dans cette situation, explique-t-il, le chrétien s’abstient de quelque chose pour se rapprocher, au mieux, de Dieu. Cette abstinence est faite en fonction de ses excès (alimentaires, gloutonnerie, verbale, sexuelle…).
Le chrétien se prive et doit apporter cette privation en valeur monétaire lors du chemin de croix comme effort de carême. Si le chrétien est nanti financièrement, cela ne pose pas de problème, mais dans le cas contraire, il va s’affranchir de ce gain. Cela a nécessairement un impact budgétaire sur son ménage.
Le chrétien se prive et effectue une économie. « Par exemple, si un chrétien veut arrêter l’alcool, s’il buvait cinq bières par jour, il en boira peut-être trois par semaine, et l’argent économisé est reversé à la quête mais aussi au partage familial. ».
Dans un deuxième cas, l’impact économique du carême sur le ménage est fonction de l’engagement communautaire du chrétien. Dans ce cas, le chrétien catholique est davantage sollicité pour la vie de la communauté. Les quêtes se multiplient sur la paroisse, l’apport à la construction de la cathédrale, les pèlerinages, les visites des missionnaires où on sollicite les paroissiens.
« Toutes ces stratégies pour engranger de l’argent amaigrissent la poche du chrétien. Mais cela n’est point forcé. Ces dons sont volontaires, jamais l’Église n’a forcé un paroissien. Chacun parle selon sa foi. », insiste Dr Briga.
Enfin il déduit qu’Il est vrai que le carême chrétien a un impact diminutif sur les ménages, mais cela participe de la pénitence et de la charité qui est les piliers de ce temps de grâce.
Des stratégies pour éviter les pesanteurs sur le budget
Afin d’éviter des surprises durant cette période, Kouassi Evrard, paroissien à Saint Jean Marie Vianney de Vridi, adopte des stratégies d’épargne avant le temps de carême pour mieux gérer les dépenses, notamment en prévision des fêtes qui marquent la fin de ce temps.
Pour Dame Soumahoro Mawa, afin de faire face aux dépenses, il faut privilégier les courses en gros. « Faire des provisions pour au moins deux semaines permet de mieux gérer le budget », conseille-t-elle.
Si le carême chrétien et le ramadan musulman sont avant tout des périodes de privation et de renforcement spirituel, ils exercent néanmoins une influence significative sur le budget des ménages en Côte d’Ivoire.
Entre flambée des prix des denrées alimentaires, augmentation des dépenses liées aux ruptures de jeûne et aux actes de charité, les familles chrétiennes et musulmanes doivent faire preuve d’adaptation pour gérer au mieux leurs finances.
Face à ces réalités, certains adoptent des stratégies comme l’épargne anticipée ou l’achat en gros, tandis que d’autres intègrent ces dépenses dans une démarche de partage et de solidarité. Malgré les contraintes budgétaires, ces moments restent des temps de renforcement des valeurs communautaires, où la foi et la générosité priment sur les considérations matérielles.
(AIP)
tad/zaar