M’Bengué, 24 mars 2025 (AIP) – Face à l’érosion progressive de la langue et des traditions Tagban, un sous-groupe du peuple Sénoufo originaire de M’Bengué (Nord), une initiative numérique a été lancée le 9 août 2022 par un opérateur économique, Coulibaly Zana Abou Dramane.
Cette initiative, portée par la plateforme WhatsApp « Tagban Gbol » (Culture Tagban de M’Bengué), a pour mission de promouvoir et de transmettre le patrimoine linguistique et culturel Tagban. L’AIP est allée à la rencontre de ce groupe.

“De nombreux jeunes Sénoufo ne maîtrisent plus leur langue, et ceux qui la parlent, mélangent souvent des mots en bambara ou en français. Pour préserver l’intégrité du Sénoufo originel, nous avons créé ce groupe”, a expliqué l’initiateur, lundi 17 mars 2025. À M’Bengué, l’initiative Tagban Gbol est perçue comme un projet salutaire pour la préservation de la culture sénoufo. Pour Coulibaly Zanifaga, habitant du quartier Gnontonkaha, cette plate-forme est une véritable renaissance culturelle. “Nous étions en perte de repères. Aujourd’hui, nous redécouvrons nos us et coutumes”, a-t-il affirmé.
Une transmission des valeurs ancestrales
Parmi les enseignements dispensés, les traditions liées au mariage occupent une place centrale. Autrefois, un homme ne pouvait approcher sa future épouse avant le mariage. L’approbation des sages dépendait de son comportement. “Si les anciens étaient satisfaits, ils autorisaient une simple conversation avant l’union officielle”, a expliqué Coulibaly Zanifaga.

Ouattara Brahima a ajouté que la dot comprenait autrefois douze poules, et le jour du mariage, deux autres étaient offertes : l’une aux accompagnateurs de la mariée, l’autre à ses parents, signifiant son entrée dans le foyer conjugal. Aujourd’hui, ces pratiques sont largement méconnues.

L’initiative Tagban Gbol ne se limite pas aux traditions matrimoniales. Elle sensibilise aussi aux anciennes règles de vie communautaire. Ainsi, par le passé, un jeune homme n’avait aucun droit sur sa compagne avant le mariage. Toute transgression entraînait une amende en cauris et, si ignorée, pouvait être la cause supposée de décès d’enfants dans le futur. De même, des relations sexuelles en plein air étaient considérées comme un crime contre la communauté, pouvant provoquer la sécheresse. “L’auteur identifié devait attacher un chien vivant à sa jambe et faire le tour du village avant que des sacrifices ne soient faits”, a raconté un membre du groupe.
Une diaspora impliquée
Aujourd’hui, “Tagban Gbol” regroupe plus de 500 membres non seulement en Côte d’Ivoire, mais également en Europe et en Amérique. Le groupe fonctionne selon un programme hebdomadaire structuré : chaque jour, un membre partage des éléments de la culture Tagban, tels que le nom du jour en Sénoufo, des devinettes (môri) et des proverbes (kassélé). Les premiers jours de la semaine sont dédiés aux discussions sur les générations et l’initiation au Poro, tandis que les jours suivants mettent l’accent sur l’apprentissage du Sénoufo et des pratiques ancestrales.

Coulibaly Barra, résidente en Italie a confié : “Grâce à cette plate-forme, je vis ma culture à distance et j’en apprends chaque jour davantage”. Le chef du village de Sanhara, Foungnigué Coulibaly, souligne l’importance du projet. “Nous avons retrouvé des pans de notre culture oubliés, y compris les noms des jours et des mois en sénoufo”, a-t-il-dit. Au quartier Dar Es Salam, l’imam Coulibaly Daouda témoigne de l’impact de Tagban Gbol sur sa maîtrise du sénoufo. “Je comprenais la langue, mais je peinais à la parler. Aujourd’hui, grâce aux enregistrements audio, je progresse”, a-t-il confié.
Un retour aux racines culturelles
À travers cette plate-forme, M’Bengué renoue avec son héritage culturel, réaffirmant son identité sénoufo face aux défis de la modernité. Même son de cloche chez l’assistante dentaire à la retraite, Coulibaly Abi qui témoigne de l’impact positif de cette initiative : “Je comprenais la langue Sénoufo, mais j’avais des difficultés à m’exprimer. Avec les encouragements du groupe, j’ai considérablement amélioré mon niveau et je me débrouille bien aujourd’hui”, a-t-elle confié.

Un sentiment partagé par Coulibaly Ibrahima Sambo, ingénieur agroalimentaire : “Aujourd’hui, je peux appeler mes parents et avoir des conversations en Sénoufo”, s’est-il réjoui, tout en plaidant pour une promotion plus large de cette initiative. Au-delà de la langue, “Tagban Gbol” sert également à redécouvrir des trésors du patrimoine Tagban. “Nous avons retracé l’histoire des chefs de village de M’Bengué, dont 22 se sont succédé sur le trône”, a précisé Coulibaly Zana Abou Dramane.

Le groupe a également collecté des informations sur les anciens rites funéraires et ambitionne de créer un musée traditionnel pour préserver des objets en voie de disparition et transmettre l’histoire de la ville.
Fort de ces réalisations, le promoteur appelle le ministère de la Culture et de la Francophonie à soutenir cette initiative et invite tous les fils et filles de M’Bengué à rejoindre “Tagban Gbol” pour renforcer les liens communautaires et préserver leur identité culturelle.
(AIP)
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