Une interview réalisée par Dogad DOGOUI, AIP Gagnoa
Gagnoa, 9 mai 2025 (AIP) – Dago Boga Joachim, sexagénaire accompli, journaliste émérite, plus connu sous son nom de plume « Boga Sivori », a été élu le 07 décembre 2022 président du Conseil départemental des chefs de village de Gagnoa. Intronisé le 12 août 2006 d’abord comme chef du village de Gnalégribouo (à 21 km de Gagnoa) et chef de la tribu Djérégnoa, dans le canton Paccolo, le nouveau chef des chefs de Gagnoa va tenir, le 18 août 2024, lors d’un meeting à Dougroupalégnoa (14 km de Gagnoa), des propos jugés offensants à l’encontre des autorités administratives de la région du Gôh qui ont pris la décision de le suspendre de ses fonctions de chef traditionnel pour « manquement au devoir de réserve ». Sanction reconduite six mois plus tard, soit le 26 février 2025, avant que le chef Boga Sivori ne soit rétabli dans ses fonctions, le 1er mars, comme chef du Conseil départemental des chefs de village. Dans une interview qu’il a accordée depuis Gagnoa à l’AIP, il explique les faits, les leçons tirées et sa réhabilitation.
AIP : Chef Boga Dago Joachim, pouvez-vous revenir sur la cause de votre suspension ?
Je m’étais rendu à Dougroupalégnoa pour une cérémonie organisée par une association de filles du village, parrainée par un cadre du PPA-CI. L’événement a rapidement pris une tournure politique. Malheureusement, je suis intervenu et j’ai tenu des propos en inadéquation avec mes obligations de réserve.
Comment vous sentez-vous depuis votre retour ?
Très bien, je me sens parfaitement à l’aise. J’ai été suspendu par le préfet et je reconnais que c’était mérité.
Vous admettez donc la légitimité de cette sanction ?
Absolument. Le préfet était dans son droit, il n’a fait qu’appliquer les textes. Quand on est sanctionné et que l’on reconnaît sa faute, il faut assumer avec responsabilité.
Quelle faute reconnaissez-vous avoir commise ?
J’ai manqué à mon devoir de réserve, ce qui est une entorse grave à mes fonctions. La sanction était donc justifiée, et je l’ai acceptée dans un esprit de responsabilité.
Avez-vous des regrets ?
Oui, bien sûr ! J’ai regretté le cadre dans lequel je me suis exprimé. J’aurais dû faire part des préoccupations des populations dans un environnement approprié.
Si c’était à refaire ?
Je ne le referais pas. J’ai parlé là où je n’aurais pas dû. Le devoir de réserve impose de la retenue, surtout dans un cadre politique.
Votre déclaration traduisait-elle, malgré tout, les préoccupations des chefs de village ?
En tant que président des chefs de 163 villages et plus de 2 000 campements, je me fais le porte-voix de leurs préoccupations. Je pense avoir exprimé une réalité partagée. Leur soutien ultérieur tend à le confirmer.
Comment expliquez-vous alors la réaction de certains chefs ?
Je ne l’ai pas vécue comme une opposition, mais comme une prise de responsabilité. En se désolidarisant provisoirement, ils ont voulu anticiper l’administration pour alléger les conséquences. C’est une forme de solidarité préventive.
Pourquoi avoir quitté la présidence du conseil des chefs de village ?
Parce que pour être président, il faut d’abord être chef de village. En perdant cette qualité, je ne pouvais logiquement plus exercer. J’ai donc pris un congé, conformément aux textes, laissant mon premier vice-président assurer l’intérim.
Comment avez-vous accueilli la sanction ?
Avec regrets, mais aussi avec dignité. J’ai demandé pardon au préfet, à l’État et au gouvernement. J’ai reconnu ma faute et sollicité des conseils.
Quels étaient vos rapports avec le préfet pendant la suspension ?
Excellents. Le préfet représente ici le président de la République. Il a agi avec hauteur d’esprit. J’ai compris qu’il s’agissait d’une sanction à portée pédagogique.
Et après la levée de sanction ?
Il m’a informé qu’il ne reconduirait pas la sanction, qui aurait pu être prolongée ou aggravée. Il a choisi la voie de la réintégration, soulignant ma bonne conduite.
Certains pourraient y voir de la flatterie de votre part ?
Pas du tout. J’ai été sincère. Je lui ai demandé conseil, je me suis excusé. Il m’a écouté avec bienveillance.
Quels conseils vous a-t-il donnés ?
Je les garde pour moi, mais je peux dire qu’ils m’ont été utiles. Suite à cela, j’ai adressé des courriers d’excuses au gouvernement, au ministre de l’Intérieur, ainsi qu’à nos ministres Anne Ouloto et Myss Belmonde Dogo.
Quel a été le retour de ces démarches ?
La levée de la sanction. Et ma reprise de fonctions.
Comment avez-vous vécu votre réinstallation à la tête de votre village ?
Elle a eu lieu le 28 mars, un mois après la levée de la suspension, en présence du sous-préfet et de nombreux chefs. Ce fut un moment fort, chargé d’émotion.
Redevenir président du conseil départemental des chefs a-t-il été automatique ?
Quasiment. Une semaine après ma réinstallation, une assemblée générale extraordinaire a entériné mon retour à la présidence. Cela a été possible grâce au soutien massif de mes pairs.
Aviez-vous vraiment leur adhésion après cet épisode ?
Oui. Plus de 80 chefs étaient présents pour ma réinstallation. À l’assemblée générale, ils étaient plus de 100 sur 163. Ce soutien m’a profondément touché.
Comment expliquez-vous cette mobilisation ?
Elle est logique. Lors de mon élection, j’étais candidat unique, soutenu à l’unanimité. J’ai toujours prôné une vision collective et ils y adhèrent.
Qu’ont dit vos collègues chefs ?
Ils m’ont dit que mes propos reflétaient une réalité, mais que je n’aurais pas dû les tenir dans ce cadre-là. Ils m’ont réprimandé, mais sans jamais me tourner le dos.
Un exemple de cette solidarité ?
Oui, le chef du canton Gbadi, Ouraga Bertin, m’a convoqué, m’a réprimandé comme un père, puis m’a conseillé sur la démarche à suivre. J’ai suivi ses conseils, et ils ont porté leurs fruits.
Vous semblez aujourd’hui comblé.
Je le suis. Je suis heureux de retrouver mes pairs, de pouvoir les servir à nouveau. Je n’ai jamais voulu commander, mais toujours servir.
Doit-on s’attendre à un “nouveau” Boga Sivori ?
Je reste le même, avec les mêmes valeurs. Mais j’ai appris de mes erreurs. Je veillerai à ne plus les reproduire.
Un mot pour le ministre d’État Téné Birahima Ouattara, parrain de votre investiture ?
Je le remercie sincèrement. Même en son absence, le fait qu’il ait accepté d’associer son nom à mon investiture est un honneur. Je remercie aussi les ministres présents ce jour-là.
Quels sont désormais vos objectifs pour la suite du mandat ?
Il nous reste trois ans. L’essentiel de notre programme vise à réformer la chefferie, à apaiser les conflits fonciers et à encadrer les ventes de terres. Il s’agit de protéger notre patrimoine et de renforcer la cohésion dans nos villages.
(AIP)
Dd/kp