Reportage de Tanguy Gahié
Songon, 12 juin 2024 (AIP) – Dans les rues transformées en torrents de Yopougon, une profession tire son épingle du jeu pendant que les habitants scrutent anxieusement leurs plafonds. Les étanchéistes, véritables “docteurs des toits”, voient leurs téléphones chauffer autant que leurs carnets de commandes se remplir à une vitesse record.
Un phénomène économique saisonnier révélateur
Cette explosion d’activité met en évidence un paradoxe régulièrement constaté dans les communes d’Abidjan où l’habitat dense côtoie des constructions parfois vétustes et la saison des pluies révèle chaque année les failles d’un secteur du bâtiment qui privilégie souvent la rapidité d’exécution à la qualité durable.
Des villages de Kouté aux secteurs résidentiels de Sideci Lem, en passant par les Toits rouges et la Socogi, le même scénario se répète. Dès les premières averses soutenues, les défauts d’étanchéité surgissent comme autant de rappels à l’ordre architectural.
Des carnets de commandes qui explosent
“Notre téléphone devient littéralement notre meilleur allié dès mai”, confie Kossi Adjoumani, patron d’une petite entreprise d’étanchéité de Niangon et d’ajouter : “les appels se succèdent : toits percés, murs suintants, terrasses inondées. On passe du statut d’artisan ordinaire à celui de sauveur en quelques semaines.”
Cette demande explosive transforme radicalement l’économie de ces professionnels. Jean-Luc Kouamé, qui dirige une équipe à Yopougon Sideci Lem, quantifie cette manne. “En temps normal, on réalise entre 100 000 et 300 000 FCFA mensuels. Pendant la saison des pluies, ces chiffres doublent, voire triplent. C’est notre période de moisson”, explique-t-il.
Etanchéiste indépendant opérant entre Banco et Gesco, Oumar Diarra observe que “les défauts d’étanchéité apparaissent comme révélateurs sous la pression de l’eau. Pour nous, c’est effectivement le moment de capitaliser sur notre expertise.”
Une palette de services adaptée aux urgences
Le spectre d’intervention de ces spécialistes s’étend du colmatage express aux réfections complètes. Ibrahim Koné, jeune entrepreneur d’Andokoi, détaille le processus. “Du simple colmatage de fissures à 10 000 FCFA jusqu’à l’application de membranes étanches sur de grandes surfaces pour plusieurs centaines de milliers de francs, nous adaptons nos solutions à chaque situation”, souligne-t-il.
Cette flexibilité tarifaire reflète aussi l’état d’urgence dans lequel se trouvent souvent les clients. “Face à l’eau qui s’infiltre, les propriétaires sont généralement disposés à investir rapidement pour retrouver leur sérénité”, fait observer le jeune Koné.
Les revers de la médaille
Cette prospérité saisonnière n’est pas sans écueils. Les conditions de travail deviennent particulièrement périlleuses, notamment des interventions sous une pluie battante, des toitures glissantes, et même des urgences nocturnes.
Plus préoccupant encore, cette forte demande attire des opportunistes peu scrupuleux. Steve Digbeu, client récemment déçu, alerte. “Certains profitent de l’urgence pour surfacturer ou bâcler le travail. Il faut impérativement vérifier la réputation des intervenants”, affirme-t-il.
Au-delà de l’anecdote économique, ce phénomène illustre les défis d’une urbanisation rapide où l’étanchéité reste parfois le parent pauvre de la construction. Les experts immobiliers rappellent d’ailleurs qu’un investissement initial dans des matériaux et une pose de qualité éviterait ces coûts récurrents de réparation.
Un révélateur des enjeux urbains
Pour les étanchéistes sérieux de Yopougon, cette période représente bien plus qu’un pic d’activité, c’est l’opportunité de consolider leur situation financière, de renouveler leur équipement et de perfectionner leurs techniques.
Alors que les constructions continuent de pousser à Yopougon et que le climat tropical maintient son rythme immuable, ces “docteurs des toits” semblent assurés d’un avenir professionnel… au rythme des saisons pluvieuses.
Cette réalité souligne finalement l’ingéniosité du secteur artisanal local, capable de transformer les contraintes climatiques en opportunités économiques, tout en révélant les besoins d’amélioration du secteur de la construction urbaine.
[AIP]
Tg/kp