Yopougon, 14 juin 2025 (AIP) – Entre le vacarme ininterrompu des véhicules de la voie express Adjamé-Yopougon et les klaxons hâtifs des transports en commun, un petit miracle s’est niché à l’ombre d’un échangeur. Là, juste au pied de la Brigade anti-émeute (BAE), un jardin pas comme les autres attire les regards. Suspendus entre les arbres, 56 hamacs oscillent doucement au gré du vent. Bienvenue au « jardin des hamacs », ce havre de paix qui allie détente et préservation de l’écosystème urbain.
Une parenthèse suspendue dans le tumulte
Ici, le tumulte de la ville semble mis sur pause. Étendu dans un hamac noir, Coulibaly Daouda, mécanicien quadragénaire, savoure un moment de répit. Habillé d’un débardeur blanc taché d’huile, il sourit sous l’ombre des feuillages.
« Vous êtes à l’abri du brouhaha des milliers de véhicules qui passent chaque jour », confie-t-il. « J’ai trouvé un coin ombragé, propre et frais. Je m’y suis installé. »
Il y a trois mois, alors qu’il venait d’y poser ses affaires, un jeune homme est venu à sa rencontre. Poliment, ce dernier s’est présenté comme responsable de l’entretien du site. « Il m’a dit : monsieur, si vous restez deux minutes ou toute la journée, il est bon de contribuer à l’entretien », se rappelle Daouda. Depuis, il revient souvent, attiré par l’ambiance paisible et surtout, l’absence totale d’agressions ou de désagréments.
Du calme et de la sécurité avant tout
Cette même tranquillité a séduit Nombri Dieudonné, chauffeur de minicar « Gbaka », venu du quartier Gesco, à plusieurs kilomètres. Lui préfère la natte au hamac. « Dans le hamac, je suis comme raidi, ce n’est pas pratique pour un chauffeur fatigué », explique-t-il.
Mais ce qu’il apprécie, c’est la sécurité. Contrairement au petit jardin de son quartier, souvent animé par les cris des enfants et les querelles de joueurs de dames, ici, il peut fermer les yeux sans craindre pour ses chaussures.
Moussa, 17 ans, gardien discret d’un espace vert précieux
Derrière la propreté et la sérénité de ce lieu se cache Doumbia Moussa, 17 ans, gérant du jardin. Fils spirituel du projet initié par son grand-père, Kéïta Vazoumana, il veille quotidiennement à la propreté des lieux. « Personne ne peut passer la nuit ici. Pas de vendeuses non plus, pour éviter les déchets », explique-t-il.
Le site ouvre de 6H30 à 18H00, et chaque jour, Moussa balaie les feuilles mortes, range les hamacs et veille à l’ordre. Le week-end, surtout pendant la saison sèche, l’affluence est telle que les hamacs sont pris d’assaut. « Le dimanche, il n’y a presque plus de place », dit-il avec fierté.
Un lieu qui dépasse les frontières de Yopougon
La réputation du jardin s’étend au-delà des frontières de la commune. Jules César, commercial en assurance vivant à Cocody-Angré, en est un fidèle visiteur. « Mon dada, c’est le hamac. Je paie 2600 FCFA de transport aller-retour juste pour venir me poser ici », dit-il. Il regrette qu’à Angré, il n’existe pas d’espaces verts aussi reposants.
Son seul bémol ? La couleur noire des hamacs, qui ternit vite et donne un aspect négligé. Une critique que Moussa accueille avec sérénité. « On a choisi le noir parce que c’est plus pratique. On les lave chaque semaine à l’eau savonneuse. »
Un patrimoine à préserver
Le site de la BAE n’est pas un cas isolé. Il est le troisième jardin aménagé par Kéïta Vazoumana, initiateur du concept. Le premier, ouvert en 2005 face au Palais de justice du Plateau, a depuis été récupéré par les autorités. Le second, toujours fonctionnel, se trouve au niveau de l’échangeur du premier pont de Yopougon-Sable, ouvert en 2015.
Avec l’autorisation du district d’Abidjan, Kéïta continue d’entretenir ces jardins, en contrepartie de modestes taxes et d’une participation symbolique de 200 FCFA par hamac utilisé. Mais l’enjeu dépasse la simple sieste à l’ombre. Ces espaces verts jouent un rôle vital dans la ville : ils absorbent le carbone, infiltrent les eaux de pluie pour renouveler les nappes phréatiques, embellissent l’environnement urbain et offrent une alternative précieuse dans une ville en quête de respiration.
« Pendant le Ramadan, il y a une forte affluence. Les gens viennent économiser leur énergie en s’allongeant ici », indique Moussa.
Quand le repos rime avec écologie
Le jardin des hamacs n’est donc pas qu’un simple espace de détente. Il est devenu un modèle local de gestion écologique et participative d’un espace public. Une initiative à saluer dans une métropole en pleine expansion, où la nature peine parfois à trouver sa place.
À l’heure où les défis environnementaux s’intensifient, ce jardin suspendu entre deux arbres rappelle que chaque arbre, chaque hamac, chaque mètre carré d’ombre peut contribuer à rendre la ville plus vivable. Et que parfois, il suffit juste… de s’allonger pour mieux voir les choses.
(Un reportage de Dogad Dogoui/ AIP Gagnoa)
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