Abidjan, 30 juin 2025 (AIP)- La Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de noix de cajou, voit sa filière anacarde, l’un des piliers de son économie, directement menacée par les dérèglements climatiques. Des pluies irrégulières, des sécheresses prolongées et des inondations mettent à mal les rendements, particulièrement dans le nord du pays, à l’image de la région agricole de Kouto.
Le monde se réchauffe à une vitesse inédite, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’action climatique, multipliant les phénomènes extrêmes et menaçant la sécurité alimentaire. En Afrique de l’Ouest, le phénomène El Niño accentue ces bouleversements. La Société d’exploitation et de développement aéroportuaire, aéronautique et météorologique (SODEXAM) confirme une réduction des pluviométries pouvant atteindre 20 % depuis 2023 en Côte d’Ivoire, affectant directement les ressources hydriques et la production agricole.
Dans ce contexte, la filière anacarde, devenue essentielle à l’économie ivoirienne, est en première ligne. Depuis 2015, la Côte d’Ivoire s’est imposée comme le premier producteur mondial de noix de cajou brute. En 2023, elle a consolidé sa position de deuxième exportateur international d’amandes de cajou, juste derrière le Vietnam.
Les chiffres du Conseil du coton et de l’anacarde (CCA) sont éloquents : la production nationale a dépassé les 702 510 tonnes, représentant près du quart de la production mondiale. Une performance portée par des conditions météorologiques initialement favorables et l’apport de noix des pays voisins (Guinée, Mali, Ghana). Cette filière dynamique pèse 9 % du PIB agricole ivoirien et génère au moins 5 000 emplois directs.
Cependant, cette dynamique cache des signaux d’alerte préoccupants, notamment dans les zones du nord du pays, dont le département de Kouto (région de la Bagoué). Là-bas, les producteurs font face à des baisses de rendement, une variabilité climatique accrue, une mauvaise répartition des pluies et un appauvrissement des sols. Bien que l’anacarde soit réputée résiliente, elle n’échappe pas aux effets du dérèglement climatique.
Face à cette situation, plusieurs questions fondamentales se posent et seront explorées : Comment le changement climatique affecte-t-il concrètement la culture et la production d’anacarde à Kouto ? La Côte d’Ivoire pourra-t-elle maintenir son niveau de production dans les années à venir ? Quelles stratégies sont mises en œuvre, par l’État et les coopératives locales, pour atténuer ces impacts et renforcer la résilience des producteurs ?
Ce dossier propose une immersion au cœur de la région de Kouto pour comprendre les enjeux, les défis et les initiatives d’adaptation portées par les acteurs de la filière anacarde.
L’anacarde ivoirienne : de l’arbre à la domination mondiale, les chiffres d’une “success story” menacée
De simple culture de protection des sols dans les années 1950, l’anacarde est devenue une “success story” économique pour la Côte d’Ivoire. Le pays s’est hissé au rang de premier producteur mondial de noix de cajou brute, mais cette ascension spectaculaire fait aujourd’hui face à des défis persistants, notamment liés à la qualité et aux aléas climatiques.
Introduite pour la première fois en Côte d’Ivoire dans les années 1950 pour lutter contre l’avancée du désert, la culture de l’anacardier, originaire du Brésil, a trouvé un terrain propice dans les savanes du nord. Dès les années 1960, les premières plantations commerciales prenaient racine. Aujourd’hui, plus de 1,4 million d’hectares sont dédiés à cette culture, entretenus par quelque 420 000 producteurs.
L’expansion de l’anacarde a été fulgurante. La production nationale est passée de seulement 19 000 tonnes en 1990 à 1 225 935 tonnes en 2023, selon le Conseil du coton et de l’anacarde (CCA), un volume représentant près du quart de la production mondiale.
Cette performance de 2023, qui a dépassé de 22 % les prévisions initiales, s’explique en partie par une météo favorable et, comme l’a précisé Adama Coulibaly, ex-directeur général du CCA, par l’entrée massive de stocks de contrebande venant de pays voisins comme la Guinée, le Mali et le Ghana, posant des défis en termes de qualité.
En 2024, cependant, la tendance s’est inversée. La production nationale a été estimée à 944 673 tonnes, marquant une baisse de 23 % par rapport à l’année précédente, principalement attribuée à des conditions climatiques défavorables.
Une filière au cœur de l’économie nationale
Au-delà de ces fluctuations, l’anacarde occupe une place stratégique dans l’économie ivoirienne. Elle représente 9 % du PIB agricole et se positionne comme le deuxième produit d’exportation du pays après le cacao, tant en volume qu’en devises. La filière génère au moins 5 000 emplois directs, selon N’Guettia Assouman, commissaire général des Journées nationales des exportateurs de cajou.
En 2023, les producteurs ont vu leurs revenus atteindre 391 milliards FCFA, en hausse par rapport aux 363 milliards de 2022. Pour la campagne 2024, le prix plancher bord champ était fixé à 275 FCFA/kg. Selon le ministre d’État, ministre de l’Agriculture, du Développement rural et des Productions vivrières, Kobenan Kouassi Adjoumani, la campagne 2024 a permis de commercialiser 944 673 tonnes, avec des prix oscillant entre 275 et 550 FCFA/kg (moyenne de 330 FCFA/kg), générant environ 312 milliards FCFA de revenus pour les producteurs. Les exportations ont totalisé 600 645 tonnes, tandis que la transformation locale a progressé à 344 000 tonnes, soit 36,4 % de la production commercialisée.
Une dynamique positive pour 2025
Les perspectives pour 2025 sont plus optimistes. À mi-parcours de la campagne 2025, le ministre Adjoumani a annoncé une commercialisation de 900 000 tonnes, soit 78 % des prévisions, contre 509 000 tonnes à la même période en 2024. Les prix bord champ se sont maintenus au niveau du prix plancher de 425 FCFA/kg dans la majorité des zones de production.
Le ministre a salué les efforts contre la fuite des produits vers les pays voisins, notant une augmentation sensible des volumes collectés dans les régions frontalières. La production pour la campagne 2025 est projetée à 1 150 000 tonnes, une augmentation de 20 % par rapport à 2024, avec un approvisionnement de 400 000 tonnes attendu pour les transformateurs.
Réformes structurantes et innovations
Ces résultats s’inscrivent dans le cadre d’une réforme de fond amorcée depuis plus d’une décennie par l’État ivoirien. Lancée en 2013, cette réforme, avec l’appui du Fonds interprofessionnel pour la recherche et le conseil agricole (FIRCA), vise à optimiser la production, la commercialisation et la transformation locale.
Des projets comme le Projet d’amélioration variétale de l’anacardier (PAVA) (2004-2017) ont permis d’identifier des arbres à haute productivité et de créer des parcs à bois et banques de gènes. Le Projet de promotion de la compétitivité de la chaîne de valeur de l’anacarde (PPCA), financé par la Banque mondiale depuis 2018, a renforcé ces acquis. Le Conseil du Coton et de l’Anacarde (CCA) joue un rôle central dans la régulation et le développement des filières coton et anacarde, cherchant à optimiser la production et garantir des prix rémunérateurs.
Cette réforme a également stimulé l’innovation, notamment dans la transformation et la gestion durable. Des unités de traitement des sols et un laboratoire pédologique ont été installés, et 44 stations agro-météo appuient désormais les décisions agricoles. Des avancées significatives ont été faites dans la valorisation de la pomme de cajou (jus, vin, vinaigre, confiture), avec une augmentation de 5 % du taux d’extraction du jus et une réduction de 99 % de son astringence.
Enfin, des formations aux pratiques climato-intelligentes (apiculture, régénération assistée, plantations de légumineuses) ont été dispensées à 170 producteurs, et des produits biologiques efficaces sont expérimentés pour lutter contre les bioagresseurs.
Réalité du terrain ou la perception des acteurs face au changement climatique

Dans la région du Bagoué, au nord de la Côte d’Ivoire, les producteurs d’anacarde font face à un bouleversement climatique sans précédent. À Kouto et dans ses villages environnants, la baisse drastique des rendements, les floraisons irrégulières et la détérioration de la qualité des noix inquiètent les acteurs de la filière, jadis florissante.
À Boyo, village situé à 5 km de la commune de Kouto, Diabaté Tiagona, propriétaire de sept hectares de plantations, témoigne avec amertume. « Avant, je faisais deux ou trois tonnes par traite. Aujourd’hui, même pas une tonne. Les anacardiers sèchent, les puits sont à sec, les bœufs n’ont plus d’eau. Le soleil brûle tout », a-t-il affirmé avec consternation, samedi 11 mai 2024.
Face à cette maigre production due à la sécheresse, Tiagona, parcourant son champ, s’en remet à Dieu. « Je ne sais pas ce qu’il faut faire contre cette sécheresse… je me remets à Dieu. Le changement climatique joue sur notre production et nos économies, c’est trop grave ! On ne sait pas ce qui va arriver plus tard », poursuit-il avec désolation.
Son homonyme, Diabaté Yafinin, connaît une chute similaire de production. De 2015 à 2018, il pouvait expédier cinq chargements de 40 tonnes. « Aujourd’hui, je peine à faire deux ou trois. La chaleur est trop forte et constante », sonne-t-il.

Même constat à Timboroni, autre localité du département. Ballo Piewi, cultivateur expérimenté, évoque une floraison faible, des vents qui font chuter les fleurs, des sols appauvris et une récolte divisée par deux. « Avant, je faisais six à sept tonnes et demie. Cette année, c’est à peine trois », souligne-t-il.
Ballo Siaka, acheteur local, confirme la baisse du volume et la dégradation de la qualité. « Les graines sont noires, de formes variées. On est passé de trois à cinq chargements par campagne à un seul. Beaucoup abandonnent l’activité », martèle M. Ballo.
La coopérative des agriculteurs de la Bagoué (SCOOP SOCAB), créée en 2016 à Kouto, couvre trois villages et une cinquantaine de paysans, qui collectent et commercialise l’anacarde. Le secrétaire de cette coopérative, Diabaté Zana déclare qu’« Apparavant, l’année, nous pouvions faire cinq chargements de 40 tonnes, mais cette année… cette année, vraiment c’est le fiasco sur l’anacarde Cette campagne -2024- a été un fiasco. Nous avons perdu plus de la moitié de notre rendement habituel. La floraison a été anormale, les noix sont petites et peu nombreuses », précise-t-il.
Des saisons devenues imprévisibles
Selon les producteurs et les techniciens agricoles, les conditions climatiques ont radicalement changé. La pluie se fait rare ou arrive tard, les températures sont élevées dès le lever du jour, et les vents violents aggravent la situation.
Conseillère agricole à l’ANADER, zone Boundiali, Ouattara née Yéo Maïmouna est chargée de l’encadrement des producteurs d’anacarde. Cet encadrement part du semi de l’anacarde jusqu’à la commercialisation. Mme Ouattara observe une évolution préoccupante.
« Dès 6h du matin, il fait déjà très chaud. La floraison est irrégulière, parfois même absente. Les fleurs tombent avant de devenir fruits. Cela affecte aussi les rendements du manguier, du café et du cacao », souligne-t-elle.
Une campagne de l’anacarde en chute libre
Le Conseil coton-anacarde (CCA) confirme ces constats. En 2023, le département de Kouto avait produit 42 691 tonnes d’anacarde. En 2024, selon Krabé Ahmed, responsable local du CCA, cette production est en chute libre. « Cette année (2024), elle n’a même pas atteint la moitié. On enregistre à peine quatre à cinq camions de noix par semaine contre onze à quinze les années précédentes », déclare-t-il.
Selon lui, le petit calibre des noix, les faibles volumes et la précocité de la fin de campagne sont des signes clairs du déséquilibre climatique. « Il n’a pas assez plu au bon moment. Les quelques pluies de mai ont un peu amélioré la qualité, mais c’est trop tard. »
Au final, la production de Kouto en anacarde pour la campagne de commercialisation de 2024 a été de 29 464 tonnes 884 kg.
Ce recul de la production est attribué à une saison sèche plus longue et plus intense, retardant la floraison des anacardiers et réduisant la taille des noix. « Les fortes chaleurs dès 6 heures du matin assèchent le sol et compromettent le développement des plants », confirme Mme Ouattara de l’ANADER.
Pour Soro Mahamadou, directeur départemental de l’Agriculture, du Développement rural et des Productions vivrières de Kouto, cette baisse de rendement pourrait aussi être liée à un phénomène biologique naturel.
« Il peut s’agir d’un repos biologique des anacardiers, comme on l’observe parfois dans d’autres cultures. Mais le changement climatique est indéniablement un facteur aggravant », affirme-t-il.
Un impact socio-économique
La situation a des conséquences directes sur les revenus des producteurs et des commerçants. Ballo Siaka parle d’une baisse des bénéfices et d’un avenir incertain. « Les marges sont faibles, tout est plus cher. Je pense même à changer de métier », affirme-t-il.
Même son de cloche du côté des coopératives. Diabaté Zana souligne l’absence de soutien financier malgré les formations et appuis techniques fournis par l’ANADER. « On nous conseille, mais il faut des moyens. Les producteurs sont découragés. »
Cette détresse économique pousse de nombreux jeunes à envisager la migration vers les villes, à la recherche d’opportunités plus viables.
La riposte climatique des producteurs d’anacarde, entre savoir-faire et innovation
Dans le contexte d’un dérèglement climatique de plus en plus perceptible, les producteurs d’anacarde, les encadreurs agricoles et les coopératives de Kouto ont mis en place des stratégies d’adaptation et de résilience pour maintenir à flot une filière vitale pour l’économie locale et les moyens de subsistance de milliers de familles.
La nécessité d’agir est confirmée par les données locales. Les relevés pluviométriques de la préfecture de Kouto indiquent une diminution progressive et préoccupante des précipitations. Le cumul annuel est passé de 1 346 mm en 2019 à 1 054 mm en 2021, avec une nette baisse du pic de précipitations en juillet. « Nous assistons à une diminution progressive et préoccupante des pluies, avec des saisons décalées et imprévisibles », explique Soro Mahamadou, directeur départemental de l’Agriculture à Kouto.

Des solutions locales et des pratiques agricoles innovantes
Devant ce constat, les autorités agricoles et les structures d’encadrement misent sur des stratégies d’adaptation concrètes. L’agroforesterie est fortement encouragée comme alternative durable. « Nous encourageons les producteurs à conserver les arbres comme le karité et le néré dans les plantations pour offrir de l’ombrage naturel et réguler le microclimat », conseille Mme Ouattara née Yéo Maïmouna, conseillère agricole à l’Agence nationale d’appui au développement rural (ANADER).
L’ANADER promeut également l’entretien rigoureux des parcelles, l’apport d’engrais et le désherbage manuel pour préserver les nutriments du sol. Des formations à l’agroécologie sont dispensées, même si seulement 50 % des producteurs appliquent encore pleinement ces bonnes pratiques, qui incluent la conservation d’arbres pour l’ombrage, l’introduction de variétés greffées plus résistantes à la sécheresse et l’adoption de techniques de taille appropriées.
Parallèlement, l’ANADER propose des projets de soutien directs, tels que la distribution de plants maraîchers et des subventions partagées pour les plants greffés, visant à diversifier les cultures et à renforcer la résilience des exploitations. Mme Ouattara précise que « pour 126 000 F CFA, un producteur peut réhabiliter un hectare avec nos encadrements. Mais il faut des subventions à coûts partagés pour que ce soit réellement accessible ». Le Conseil Coton-Anacarde (CCA), en collaboration avec le Centre national de recherche agronomique (CNRA) et l’ANADER, s’efforce également de proposer des solutions durables issues de la recherche.

Un encadrement technique renforcé pour de meilleures pratiques
L’accompagnement des producteurs est essentiel. Selon le directeur départemental de l’Agriculture à Kouto, Soro Mahamadou, des formations techniques, des actions de sensibilisation et des missions de terrain sont régulièrement menées. « L’introduction de systèmes d’irrigation reste un objectif, mais les coûts sont élevés. Nous misons donc pour le moment sur l’amélioration des pratiques culturales, notamment l’espacement des plants et la sensibilisation permanente des producteurs », explique-t-il.
Des ateliers, comme celui organisé à Boundiali par le CCA, permettent de renforcer les capacités des producteurs en matière de production et de commercialisation. « Nous leur apprenons à respecter les normes de qualité, à laisser mûrir les fruits sur les arbres, et à organiser la vente de manière plus rentable », ajoute M. Soro. La coopérative des agriculteurs de la Bagoué (SCOOP SOCAB), bien que confrontée à des défis, bénéficie également de cet encadrement technique de l’ANADER.

Des perspectives incertaines mais une volonté collective
Malgré la conjoncture difficile, un certain optimisme persiste chez les encadreurs. Pour Mme Ouattara, chaque année est différente : « Une mauvaise campagne peut être suivie de bonnes récoltes ». Elle fonde ses espoirs sur les nouvelles variétés résistantes développées par l’ANADER et sur la généralisation des pratiques agroécologiques.
À Kouto, la filière anacarde est à un tournant. Le changement climatique impose une transformation profonde des pratiques, mais les producteurs ne sont pas isolés. Encadreurs, coopératives, ONG et autorités locales unissent leurs efforts pour maintenir cette culture de rente et garantir la sécurité alimentaire dans une région de plus en plus vulnérable.
L’État et ses partenaires : Une mobilisation générale pour l’anacarde ivoirienne face au climat
Face aux effets croissants du changement climatique sur sa production agricole, le gouvernement ivoirien, en collaboration avec un éventail de partenaires techniques et financiers, déploie une stratégie multidimensionnelle. L’objectif est clair : renforcer la résilience de la filière anacarde, déterminante pour l’économie nationale, à travers l’adaptation, l’innovation et la transformation locale, notamment dans des zones vulnérables comme Kouto.
Le ministère d’État, ministère de l’Agriculture, du Développement rural et des Productions vivrières, en synergie avec le ministère de l’Environnement, du Développement durable et de la Transition écologique, est à la manœuvre. Leurs politiques visent à promouvoir les bonnes pratiques agricoles, l’agroforesterie, l’agroécologie et l’utilisation de semences résilientes.

les producteurs sur la qualité des noix de cajou
Un cadre juridique robuste soutient ces initiatives. Selon Stéphane N’Guessan, expert technique pour le projet Transition Bas Carbone mis en place par Expertise France, le nouveau code de l’environnement intègre d’importants enjeux comme le changement climatique, l’économie verte et le transfert de technologies. Il inclut également un principe de non-régression, qui engage l’État à améliorer continuellement ses politiques environnementales, et un principe de participation, garantissant l’implication des communautés locales dans les décisions.
Projets innovants et appuis structurants
À l’échelle locale, des initiatives concrètes sont pilotées par des bras techniques de l’État, comme l’Agence nationale d’appui au développement rural (ANADER). Ces actions se concentrent sur la diversification agricole, la réhabilitation des plantations, l’introduction de cultures maraîchères et l’amélioration des revenus des producteurs.
Mme Ouattara née Yéo Maïmouna, ingénieure agronome à l’ANADER, témoigne : « Nous avons mis en place des plans de développement pour chaque producteur. Il s’agit de plans de culture annuels qui permettent une meilleure organisation et une meilleure rentabilité. »
Deux programmes majeurs, le Projet de résilience climatique des systèmes agricoles (PRECSA) et la composante climat du Programme national d’investissement agricole (PNIA), accompagnent activement les communautés rurales. Ils fournissent des outils de planification, de suivi climatique et des systèmes d’alerte précoce essentiels.
Une synergie avec les partenaires internationaux
Ces efforts sont amplifiés par le soutien de plusieurs partenaires internationaux de poids, dont la FAO, le PNUD, l’Union européenne, Expertise France et le Fonds interprofessionnel pour la recherche et le conseil agricole (FIRCA). Leurs contributions sont orientées vers la modernisation des pratiques agricoles, la gestion durable de l’eau, le développement de l’agroforesterie et la transition vers une agriculture bas carbone.
Le FIRCA, en collaboration étroite avec le Conseil du Coton et de l’Anacarde (CCA) et diverses institutions de recherche (CNRA, Université Félix Houphouët-Boigny, INP-HB de Yamoussoukro, Université Nangui Abrogoua), met en œuvre depuis 2017 un Programme national de recherche sur l’anacarde (PNRA). Ce programme ambitieux vise à développer des variétés améliorées, résoudre les problèmes phytosanitaires et valoriser tous les produits issus de l’anacarde, y compris la pomme et la noix.
Défis et perspectives : Qualité et transformation au cœur de l’enjeu
Malgré cette mobilisation, des défis majeurs demeurent. L’amélioration de la qualité des noix de cajou est une priorité pour renforcer la compétitivité sur le marché international. « Nous produisons beaucoup, mais les rendements sont encore faibles et la qualité des noix doit être améliorée pour garantir de meilleurs prix aux producteurs », a déclaré l’ingénieur agronome Nonkpin Eman, chargé du programme Anacarde et Canne à sucre au FIRCA.
La productivité des exploitations, souvent issues de forêts naturelles avec des rendements limités, est également un enjeu crucial. Le FIRCA appuie la recherche pour développer des variétés plus performantes et promouvoir de nouvelles techniques culturales. Enfin, un autre défi de taille concerne la transformation locale de l’anacarde, dont moins de 10 % de la production est actuellement transformée en Côte d’Ivoire. Développer cette chaîne de valeur créerait un levier essentiel pour une durabilité économique accrue.

Encadré 1
L’essor de la filière anacarde en Côte d’Ivoire : de la lutte contre le désert au leadership mondial
Introduite en Côte d’Ivoire dans les années 1950 pour freiner l’avancée du désert, la noix de cajou (anacarde), originaire du Brésil, a transformé le paysage agricole ivoirien. Les premières plantations ont débuté dans le nord du pays dans les années 1960. Depuis, l’anacardier est devenu un pilier économique majeur, propulsant la Côte d’Ivoire au rang de premier producteur et exportateur mondial de noix de cajou brutes.
La production nationale de noix brute de cajou a connu une croissance exponentielle, passant de 19 000 tonnes en 1990 à un impressionnant 1 225 935 tonnes en 2023. Face à cette croissance et aux défis inhérents, le gouvernement ivoirien a adopté en 2013 une stratégie de réforme visant à améliorer les rendements et à mieux encadrer la filière.
Cette réforme, soutenue par le fonds interprofessionnel pour la recherche et le conseil agricoles (FIRCA), s’articule autour de trois axes fondamentaux. La production, englobant la recherche agronomique et l’encadrement des producteurs. La commercialisation, traitant de la sacherie, de la fixation et de l’application du prix bord champ, ainsi que des circuits commerciaux intérieurs et extérieurs et la transformation locale des noix de cajou brutes.
De 2004 à 2017, le FIRCA a financé de nombreux projets, dont le projet d’amélioration variétale de l’anacardier (PAVA). Ce projet a permis la création de nouveaux parcs à bois et la sélection de génotypes prometteurs, notamment l’identification de huit arbres à haut potentiel de production (AHP) au centre national de recherche agronomique (CNRA).
Des avancées significatives ont été réalisées pour le matériel végétal. Trois parcs à bois et vergers grainiers de 5 hectares chacun ont été établis à Lataha, Tanda et Madinani. Entre 2013 et 2017, six nouveaux parcs à bois d’un hectare chacun ont vu le jour à Bouna, Yamoussoukro (Kami), Béoumi (Mangrè-Dan), Tafiré (Badikaha), Toumodi (Lomo Nord) et Séguéla. Ces sites intègrent 203 Arbres à Haut Potentiel de production (AHP) sur les 209 identifiés en milieu paysan.
De plus, sept parcelles d’essais multi locaux d’un hectare, évaluant le comportement des AHP dans différents environnements (GxE), ont été implantées à Bouna, Béoumi (Mangrè-Dan), Katiola (Niédiekaha), Ferké (Poulo), Tengréla (Maniasso) et Séguéla.
Pour la conservation génétique, une collection de 42 “TOP” AHP a été créée à la station de Lataha, et une copie de 18 de ces “TOP” AHP a été dupliquée à la station de Tanda. Enfin, une banque de gènes de 35 hectares, abritant 108 AHP, a été établie à la station du CNRA de Ferké.
Depuis 2018, le projet de promotion de la compétitivité de la chaîne de valeur de l’anacarde (PPCA), financé par la Banque mondiale, a continué d’étendre ces efforts. Actuellement, la Côte d’Ivoire cultive plus de 1 400 000 hectares d’anacardiers impliquant plus de 420 000 producteurs. Le pays a également renforcé ses capacités de transformation, atteignant 265 863 tonnes d’amandes de cajou transformées en 2023, se classant ainsi au troisième rang mondial après le Vietnam et l’Inde.
Les actions financées par le FIRCA ont généré des avancées significatives.
La recherche et l’amélioration génétique : le programme national de recherche sur l’anacarde (PNRA) a permis la création de matériel végétal amélioré, l’identification et la multiplication de génotypes à haut potentiel de rendement, ainsi que l’établissement de banques de gènes et l’évaluation d’hybrides. Une banque de gènes de 176 génotypes a été mise en place au CNRA Ferké, et un programme de création variétale par hybridation a été amorcé.
La production durable et gestion des risques : des techniques de production durable, comme la production de plants greffés et le surgreffage, ont été mises en œuvre. Des cartes de fertilité des sols et 44 stations agro-météo ont été installées pour une meilleure gestion des risques climatiques. Trois unités de traitement des sols (UTS) et un laboratoire pédologique ont été mis en place. Plus de 170 producteurs ont été formés aux pratiques climato-intelligentes.
La lutte intégrée contre les bio agresseurs : Des méthodes et produits biologiques efficaces ont été développés pour une lutte intégrée contre les maladies et les ravageurs
La valorisation des produits dérivés : Huit procédés de production de produits dérivés de la pomme de cajou (vin, vinaigre, jus pasteurisé, confiture) ont été optimisés, avec une augmentation de 5% du taux d’extraction du jus et une réduction de 99% de son astringence. Des formulations d’aliments pour volaille à base de produits de l’anacarde ont également été développées.
La vulgarisation agricole et formation : La mise en place de Centres de Développement du Cajou (CDC), la formation de 274 conseillers agricoles et 35 techniciens spécialisés, ainsi que la sensibilisation de plus de 320 000 producteurs (dont 21% de femmes) aux Bonnes Pratiques Agricoles via des Champs Écoles Paysans (CEP) ont été des succès majeurs. Des systèmes de vulgarisation électronique, incluant un centre d’appels avec des messages techniques en 14 langues, facilitent l’accès à l’information. Plus de 58 000 hectares de vergers ont été réhabilités, améliorant la productivité et les revenus des agriculteurs.
La transformation locale : La conception d’équipements mécaniques pour le traitement des noix a amélioré les capacités de transformation locales
Les stratégies de réforme gouvernementales et le soutien du FIRCA ont permis à la filière anacarde ivoirienne de réaliser des progrès considérables. Ces initiatives ont non seulement renforcé la position de leader mondial de la Côte d’Ivoire dans la production et la transformation de la noix de cajou, mais ont également amélioré les conditions de vie des agriculteurs. Avec les projets en cours et à venir, la filière anacarde continue de se professionnaliser et de se développer durablement, assurant un avenir prospère pour ce secteur important de l’économie ivoirienne.
Encadré 2
La culture de l’anacarde en Côte d’Ivoire : Des défis climatiques et environnementaux à relever pour un avenir durable
La culture de l’anacarde (noix de cajou) en Côte d’Ivoire, pilier de l’économie locale et acteur majeur sur le marché mondial, fait face à des défis croissants liés au changement climatique et à une expansion rapide et souvent incontrôlée. Plusieurs études récentes soulignent l’urgence d’adopter des pratiques plus durables pour préserver cette filière.
Les variations climatiques, telles que les précipitations irrégulières, les sécheresses prolongées et les températures croissantes, ont des répercussions significatives sur la production d’anacarde. Une étude menée à Bako (Nord-ouest de la Côte d’Ivoire) entre 1965 et 2019 a montré que ces variations perturbent les calendriers agricoles et fragilisent les rendements.
Une autre évaluation datant de janvier 2021 met en lumière la vulnérabilité de l’anacarde face à ces changements, notamment dans les zones où elle a remplacé le cacao. Les producteurs ressentent directement ces effets à travers des saisons des pluies plus courtes, des sécheresses accrues et une élévation des températures, ce qui entraîne une diminution des surfaces cultivables et une baisse de la qualité des récoltes. Face à cette situation, les coopératives cherchent à diversifier leurs activités en introduisant des cultures associées, des variétés plus résistantes et des activités non agricoles.
Une étude de l’Université des sciences appliquées de Zurich, publiée en janvier 2022 et portant sur les principaux pays producteurs (Vietnam, Inde, Côte d’Ivoire, Bénin), confirme cet impact. Elle projette qu’en Côte d’Ivoire, la superficie des zones hautement adaptées à la culture de l’anacarde pourrait réduire de 16% à 32% d’ici 2050 en raison de la hausse des températures annuelles. Ces longues saisons sèches, particulièrement dans les régions nord, pourraient potentiellement redessiner la carte mondiale de cette production.
Au-delà des défis climatiques, un rapport conjoint de Mighty Earth, RAIDH et Green Forest Africa (2023) révèle une crise environnementale et sociale due à l’expansion non régulée de la culture d’anacarde en Côte d’Ivoire. Bien que le pays ait produit plus d’un million de tonnes en 2022 et généré près de 961 millions de dollars en exportations en 2021, cette croissance rapide a un coût.
L’extension de la monoculture d’anacardiers, principalement dans le nord, a transformé des centaines de kilomètres carrés de savane boisée en “déserts verts”. Cela réduit drastiquement les habitats naturels, met en danger des espèces endémiques et est aggravé par l’utilisation intensive de pesticides, détruisant les écosystèmes et présentant des risques pour la santé des agriculteurs.
Sur le plan social, cette expansion remplace les cultures vivrières traditionnelles, menaçant l’autosuffisance alimentaire et rendant les populations rurales vulnérables aux fluctuations du marché international. De plus, les conditions de travail dans la transformation des noix de cajou exposent les travailleurs, majoritairement des femmes, à des dangers sans équipement de protection adéquat. En 2021, Cathy Watson du CIFOR-ICRAF avait déjà alerté sur ces “erreurs répétées” de la monoculture.
Des recherches d’universitaires ivoiriens confirment la gravité de la situation. Une étude autour du Parc national de la Comoé, site du patrimoine mondial, a montré une augmentation de 160 % des terres dédiées à l’anacarde et une diminution de 76 % des zones forestières entre 2002 et 2014. L’utilisation des feux de brousse pour le défrichage contribue à la modification profonde des écosystèmes forestiers et à la perte de biodiversité.
Face à ces défis, les organisations appellent à une régulation stricte et à une traçabilité complète de la chaîne d’approvisionnement. Elles exhortent les entreprises internationales et les gouvernements à investir dans des pratiques agricoles durables pour préserver les écosystèmes et améliorer les conditions de travail.
Mighty Earth et ses partenaires locaux (RAIDH et Green Forest Africa) demandent au Conseil du Coton et de l’Anacarde (CCA) d’engager un dialogue multipartite sur l’impact environnemental des noix de cajou afin de renforcer les normes et promouvoir des chaînes d’approvisionnement responsables. Ils appellent également les législateurs de l’UE, du Royaume-Uni et des États-Unis à introduire des mesures interdisant l’importation de noix de cajou liées à la déforestation.
Les journées nationales des exportations de cajou (JNEC) 2024, tenues à Abidjan en février, ont réaffirmé l’importance de la durabilité pour la compétitivité et la contribution de la filière à la croissance économique nationale. La Côte d’Ivoire, troisième transformateur mondial de noix de cajou en 2021, doit impérativement modéliser et adopter des pratiques durables pour assurer la pérennité de cette filière.
Dossier réalisé par Ehouman Adrienne
(AIP)
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