Abidjan, 29 sept 2025 (AIP) – Pilier essentiel de l’économie ivoirienne, l’artisanat contribue à la création d’emplois, à la réduction de la pauvreté et à la préservation du patrimoine culturel. En Côte d’Ivoire, ce secteur regroupe plus de 245 métiers organisés en huit branches principales et mobilise près de trois millions d’actifs.
Dans cet entretien, Traoré Hamed N’Guessan, président du Groupement des artisans ivoiriens nouveaux (GAIN), expose les défis et les opportunités du secteur, tout en plaidant pour une meilleure organisation, une sécurisation des sites et une reconnaissance accrue du rôle des artisans dans la cohésion sociale et le développement national.
AIP : Quelle est votre relation avec la Chambre nationale des métiers de Côte d’Ivoire (CNMCI) ?
Traoré Hamed N’Guessan (THN) : La Chambre nationale des métiers est une institution d’État à laquelle nous appartenons tous. Mais elle ne peut pas tout faire seule. C’est pourquoi nous, artisans, devons l’accompagner. Nous travaillons pour la Côte d’Ivoire, pas uniquement pour nous-mêmes. Dans l’esprit du Président Alassane Ouattara, qui prône la paix et la cohésion sociale, nous considérons que la paix doit être notre deuxième religion, notre deuxième métier. C’est dans cette vision qu’est né le GAIN.
AIP : Quelles sont vos priorités pour redynamiser un secteur confronté à de nombreuses difficultés ?
THN : Notre priorité reste la paix et la cohésion sociale. La crise post-électorale de 2010 a été particulièrement destructrice : ateliers pillés, équipements volés, activités interrompues. Aujourd’hui encore, nous sensibilisons les artisans pour qu’ils fassent de la paix leur boussole, car en cas de crise, ce sont toujours nous qui en subissons les conséquences les plus lourdes.
AIP : Comment les artisans ont-ils vécu la crise de 2010 ?
THN : Elle nous a durement éprouvés. Contrairement aux fonctionnaires qui percevaient encore leurs salaires, nous avons tout perdu : nos ateliers, nos revenus et nos outils de travail. Certains ont dû se reconvertir en cultivateurs ou éleveurs pour survivre. Cette épreuve nous a appris que sans paix, aucune activité artisanale ne peut prospérer.
AIP: Comment jugez-vous les opérations de déguerpissement ?
THN : Elles ont été très difficiles. Beaucoup d’artisans ont été déplacés sans concertation préalable, alors qu’ils avaient contracté des prêts pour développer leurs ateliers. Certains se retrouvent aujourd’hui endettés et sans espace de travail. Grâce à la solidarité, des artisans partagent leurs locaux, mais la question du recasement demeure cruciale.
AIP : Où en est le site de N’Dotré censé accueillir les artisans ?
THN : Le site abrite aujourd’hui environ 8 000 artisans, alors qu’il avait été prévu pour accueillir plus d’1,5 million de professionnels. Faute d’aménagement suffisant, beaucoup continuent de travailler dans des zones périphériques. Malgré cela, ceux qui y sont installés parviennent à s’organiser et à maintenir leurs activités.
AIP : Certains évoquent un soutien financier pour les artisans. Qu’en est-il ?
THN : À ce jour, il n’y a pas eu de financement structuré de l’État pour la réinstallation des artisans d’Abobo. Toutefois, Mme Kandia Camara, alors maire de la commune, avait personnellement octroyé un fonds de soutien. Cela a aidé certains, mais reste insuffisant pour un recasement durable.
AIP : Comment gérez-vous la présence de squatteurs sur les sites destinés aux artisans ?
THN : C’est l’un de nos plus grands défis. Le site d’Abobo N’Dotré couvre 40 hectares, mais il est aujourd’hui en partie occupé par des squatteurs qui y ont même construit des immeubles. Pourtant, nous disposons de tous les documents légaux. L’absence de clôture et de surveillance dès le départ a favorisé cette situation, qui engendre des conflits avec certains riverains.
AIP : Quelles solutions proposez-vous au gouvernement ?
THN: Nous demandons l’aménagement et la sécurisation des sites existants, notamment N’dotré et Abobo. Il faut créer des zones modernes adaptées aux garages, aux ateliers de ferrailleurs et aux autres corps de métiers. Avec les 16 à 17 hectares déjà disponibles à Abobo, il est possible d’installer durablement les artisans et de préserver la paix sociale.
AIP : Quelle est votre appréciation du Certificat de qualification aux métiers (CQM) ?
THN : C’est une excellente initiative. Elle valorise aussi bien les artisans diplômés que ceux qui ont acquis leur savoir-faire sur le terrain. Avec le CQM, un mécanicien sans CAP, mais compétent, peut obtenir un diplôme reconnu et travailler dans de grandes entreprises comme la SOTRA ou la SIR.
AIP : Vous insistez aussi sur l’importance du permis de conduire. Pourquoi ?
THN : Avant, on formait des mécaniciens mais sans leur donner les moyens de tester une voiture, faute de permis. Aujourd’hui, le permis est intégré à la formation. Ainsi, un élève obtient à la fois son diplôme et son permis, ce qui fait de lui un véritable professionnel.
AIP : Combien de jeunes s’orientent vers l’artisanat chaque année ?
THN : On peut estimer entre 2 000 et 2 500 jeunes par an. Mais beaucoup abandonnent, par impatience ou attirés par l’immigration clandestine. Grâce à notre sensibilisation, plusieurs ont compris qu’avec un métier, on est son propre patron.
AIP : Que fait votre groupement contre l’immigration clandestine ?
Traoré Hamed : Nous menons une grande campagne de sensibilisation. Plusieurs jeunes revenus de Libye, de Tunisie ou de France ont pu se réinsérer grâce à nous, en devenant peintres, menuisiers, électriciens ou ferrailleurs. Nous travaillons aussi avec des partenaires, notamment des Libanais de bonne volonté, pour offrir des opportunités d’emploi. L’Eldorado des artisans, ce n’est pas ailleurs : il est ici, en Côte d’Ivoire.
AIP : Pourquoi insistez-vous sur le rôle capital de l’artisanat dans la société ?
THN : Parce que le métier est une richesse inaliénable. Quand tu l’apprends, il t’appartient pour toujours. L’Allemagne, la France, la Chine ou le Japon ont bâti leur puissance sur la valorisation des métiers. La Côte d’Ivoire peut suivre cette voie. L’artisanat est un pourvoyeur d’emplois incontournable. L’État ne peut pas employer tout le monde, mais grâce à nos métiers, nous pouvons contribuer pleinement au développement du pays.
AIP : Quelle est la situation de l’organisation et de la fiscalité des artisans ?
THN : Nous sommes près de trois millions d’artisans, mais seulement 600 000 sont en règle vis-à-vis du fisc. Le secteur est encore très désorganisé. C’est pourquoi nous appelons l’État à renforcer son accompagnement pour nous aider à sortir de l’informel. Malgré cela, nous demeurons à la base de la création d’emplois : j’ai moi-même formé plusieurs techniciens et ingénieurs devenus aujourd’hui de grands cadres.
AIP : Combien de membres compte votre organisation ?
THN : Nous revendiquons près de 4 000 membres actifs au sein du GAIN.
(AIP)
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