Agboville, 07 nov 2025 (AIP) – Le médecin nutritionniste et vice-président de l’ONG Hope Life de lutte contre les cancers, Dr Tano Narcisse, évoque dans un entretien accordé à l’AIP, le lien entre alimentation et cancer, et plaide pour une prise de conscience collective autour d’une alimentation saine et biologique.
Quel lien concret existe-t-il entre alimentation et cancer ?
Les études ont établi un lien entre l’alimentation et le cancer même si ce n’est pas un lien direct. Ce n’est pas comme si le fait de manger ou ce que nous mangeons était la cause directe d’un cancer, mais nous avons constaté qu’il y a des éléments dans notre alimentation qui peuvent nous protéger du cancer, tandis qu’une alimentation polluée ou malsaine peut favoriser l’apparition de cancers.
Nous n’avons pas de chiffres prouvant qu’un cancer est uniquement causé par l’alimentation. Ce que nous avons plutôt remarqué, c’est qu’il y avait des personnes qui avaient un comportement alimentaire qui était plus sujet à un cancer. Mais nous ne pouvons pas dire que c’est seulement ce comportement alimentaire qui a entraîné le cancer.
Quels sont ces éléments qui peuvent nous protéger ou augmenter le risque d’avoir un cancer ?
Lorsque vous avez des aliments ont été cultivés avec des pesticides, des insecticides ou encore ou sur des sols pollués au mercure ou autres produits chimiques, ils deviennent nocifs pour l’organisme lorsqu’ils arrivent dans nos assiettes. Il est clair que nous consommons directement cette toxine et donc ils peuvent être causes de cancer pour l’organisme. Lorsque nous avons des aliments qui sont saints, qui contiennent des antioxydants, des minéraux qui augmentent les capacités du système immunitaire, ces aliments deviennent alors des sources de protection contre les cancers.
Presque tout semble exposé au risque, vu l’usage de produits chimiques en agriculture ?
Très belle question. Voilà d’où est né le concept « One Hearth ». On s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas isoler la santé de tout ce qui est environnement et produit animalier, d’où l’intégration de ces paramètres dans la prise en compte de la santé humaine. Aujourd’hui, nous sommes dans une sensibilisation de la population pour leur dire que ce que nous cultivons, la façon dont nous cultivons et ce que nous utilisons comme engrais et comme produit de graines pour la culture, doit être saint, doit être bio pour éviter d’avoir des produits toxiques dans nos aliments. Cela passe par une sensibilisation de nos agriculteurs, de nos populations autour d’une alimentation saine et biologique.
Nous ne déconseillons pas nos mets traditionnels comme le “garba” (semoule de manioc au poisson thon) ou l’alloco (friture de banane mûre). Ce que nous conseillons, c’est plutôt de l’accompagner avec des légumes, assez de légumes. Il faut aussi s’hydrater parce que l’Ivoirien aujourd’hui ne s’hydrate pas beaucoup. La bière ce n’est pas de l’hydratation. L’hydratation, c’est de l’eau.
Quels sont ces aliments qui peuvent contribuer à réduire le risque d’avoir un cancer ?
Aujourd’hui, il est prouvé qu’il y a des aliments qui aident à réduire le risque d’avoir un cancer notamment manger les fruits, les légumes, manger des aliments plutôt crus que cuits, aident à réduire les risques de cancer parce qu’ils nous apportent des micro-nutriments qui sont du calcium, du magnésium, du zinc et bien d’autres, qui vont aider l’organisme à être plus fort, à avoir une meilleure immunité pour lutter contre ces cellules qui, chaque jour, sont agressées et qui se transforment.
Il suffit simplement de laver correctement ces aliments crus soit avec du citron, du bicarbonate, de l’eau, du savon et les rincer correctement. Il est préférable de prendre ces aliments crus qui viennent de nos champs, de nos terre plutôt que de prendre des aliments qui sont ultra transformés tels que les boîtes de conserve, les aliments prêts à la consommation, les fast-food dont nous savons souvent même pas la composition parce que pour les conserver aussi longtemps, on a fait des additifs alimentaires et parfois qui sont toxiques.
Mais si nous avons un système immunitaire qui est faible parce que nous n’avons pas une bonne alimentation, au lieu de nous apporter de bons nutriments, elle nous apporte des toxines parce que ces aliments sont déjà contaminés depuis le sol. A ce moment, nous agressons encore notre système immunitaire, en plus de l’agression de notre environnement tels que les rayons X, les bactéries, les parasites que nous rencontrons au quotidien.

Le sucre “nourrit-il” le cancer comme on l’entend souvent ?
Oui. Il a été prouvé que le sucre a un impact négatif sur la santé humaine et il peut favoriser le développement des cancers. Le sucre est ce que nous appelons un environnement pro inflammatoire qui va créer un environnement inflammatoire lorsque nous l’avons consommé en excès. Quand il est en excès dans le sang et qu’on a un environnement inflammatoire, cela va favoriser la multiplication des cellules malignes qui vont entraîner progressivement un cancer.
Cela concerne tout type de cancer parce que le cancer, c’est d’abord la maladie de la cellule. C’est une maladie du génome de l’ADN et lorsque la cellule est malade et qu’elle se multiplie, elle va donner forcément des enfants qui sont malades. Ces enfants qui sont malades vont ensuite se multiplier pour donner des petits-enfants malades. C’est donc la multiplication de ces cellules malades qui ont acquis au fur et à mesure une immortalité de par la maladie de la cellule, qui vont se regrouper pour donner ce qu’on appelle une boule qui est une tumeur, qui va grossir à un moment donné pour envahir l’environnement où elle se trouve.
Au niveau des sodas, c’est pareil. Il ne faut pas la consommer parce que les sodas contiennent assez de sucre et le sucre est nocif pour l’organisme.
Quelle est votre position sur la consommation de l’alcool même modérée ?
L’alcool est un facteur de risque du cancer aussi bien chez l’homme que chez la femme. Nous déconseillons sa consommation excessive. En revanche, le tabac est totalement proscrit sous toutes ses formes. La consommation de tabac est nocive pour la santé même pour les personnes qui sont dans l’environnement du fumeur, qu’on appelle consommateurs passifs. On a plus de 60% des composants du tabac qui sont cancérigènes et ces produits ne sont pas identifiés sur les boîtes ou les paquets de tabac qui sont vendus. Le tabac va favoriser un environnement où s’il y avait déjà d’autres facteurs en plus de lui, la survenue rapide d’un cancer.
Fumer ne veut pas dire systématiquement qu’on a un cancer. On peut l’avoir au bout de 10, 15 ou 20 ans ou ne jamais même l’avoir pour certains fumeurs, il faut le dire réellement. Mais si vous êtes déjà prédisposé à faire un cancer du poumon de façon génétique et que vous fumez en plus, le cancer qui devait peut-être apparaître dans 50 ans, pourrait apparaître dans 10 ans ou dans cinq ans plus tôt.
Mais pour l’alcool, il faut y aller « molo molo » (ndlr : avec modération) comme on le dit chez nous en Côte d’Ivoire.
Quels sont les besoins nutritionnels spécifiques d’un patient en traitement ?
Pour un patient qui est en traitement ou qui présente un cancer, généralement on a une fonte musculaire parce qu’il y a les effets de la chimiothérapie ou de la radiothérapie qui impactent négativement l’état général du patient. Pour cela, nous conseillons d’augmenter la prise alimentaire pour apporter assez de protéines et de lipides à l’organisme, pour pouvoir se remettre rapidement après chaque traitement.
Dans ces périodes, on sait que la consommation alimentaire n’est pas au beau fixe. On a une anorexie qui s’installe et pour corriger cela, on conseille de fractionner les repas, donc de manger plusieurs fois au cours de la journée et des repas qui sont quasi variés. On peut donc prendre des fruits ou une petite salade le matin avec des omelettes. A 10h, un fruit selon les fruits de saison que nous avons. A midi, on prend un bon repas avec une sauce. À 16h, un quaker ou des fruits ou encore des cakes à base de farine complète. Le soir, se fait une soupe avec du poisson ou du poulet avec assez de légumes à l’intérieur. Donc voici en une journée, le contenu d’un repas qu’on pourrait présenter à un patient qui est en traitement de chimiothérapie ou qui est en train de faire son suivi pour son cancer.
L’alimentation joue-t-elle un rôle après une rémission ?
Oui. Des études ont prouvé que des patients, qui avaient une alimentation saine et équilibrée, avaient un système immunitaire qui était renforcé et avec moins de risques de faire des récidives par rapport à ceux qui s’adonnaient à une alimentation non surveillée, toute azimute. Aujourd’hui, il est prouvé que manger des légumes régulièrement, manger des fruits, manger varié et surtout vert avec tout ce qu’on connaît comme persil, curcuma, oignon, tomate, concombre, carotte, les feuilles de patate, d’épinard, manger également du poisson frais qui ne provient pas des pêches via des pesticide ou des eaux qui sont contaminées par des rejets de toxines de produits pétroliers, aident l’organisme.
Lorsqu’on a toutes ces conditions qui sont réunies et qu’on mange correctement, on fait du sport également. On fait aussi une exposition au soleil de 30 à 15 minutes par jour parce qu’on a la vitamine D qui entre dans le système immunitaire pour son renforcement. Tous ces éléments nous aident à pouvoir réduire les risques de récidive d’un cancer chez une personne qui est en rémission.
Que pensez-vous des régimes “miracles” souvent vantés sur Internet pour guérir le cancer ?
Je le dis toujours, tant qu’il n’y a pas d’étude randomisée et expérimentale pour ces traitements, ils ne peuvent pas être indiqués dans la prise charge d’un cancer. Il faut faire attention avec tout ce qui se lit et se partagent sur Internet. Tout n’est pas vrai. Il faut toujours se référer à un spécialiste et même l’alimentation ne remplace pas le traitement du cancer. L’alimentation est un additif dans la prise en charge du cancer. Il ne faudrait donc pas dire que j’ai l’alimentation, des supplémentations, des produits miracles donc j’arrête mon traitement. Non, cela n’est pas recommandé dans la prise en charge du cancer. Aussi, tous les compléments alimentaires ne sont pas forcément bons pour notre santé. Il y a parfois cet effet de compétition entre le traitement qui est donné et ce complément alimentaire dans notre organisme.
Vous avez insistez sur la nécessité de manger saint et varié. Qu’est ce que vous répondez à ceux disent bien manger revient cher ?
Comme je le dis souvent, parfois moins cher nous coûte encore plus cher. Il n’y a pas de bien plus précieux que la santé et nous nous rendons compte que c’est la plus grande richesse lorsque nous ne l’avons plus. Donc quand nous avons l’occasion de pouvoir préserver cette santé, il est important pour nous de mettre tout en place pour pouvoir le faire.
Comme le disait Hippocrate, que ta nourriture soit ta première santé, ton premier médicament. Il est prouvé aujourd’hui que 80 % de notre système immunitaire dépend de notre microbiote intestinale et cela est entretenu par notre alimentation. Si vous n’avez pas une bonne immunité, même une grippe ou une petite maladie pourrait vous emporter. Pour pourvoir entretenir cette immunité ou cette santé immunitaire, il faut avoir une bonne alimentation d’où notre sensibilisation sur une alimentation saine, variée, verte, vivante pour aider notre organisme à mieux se porter et être compétitif face aux différentes maladies ou agressions que nous subissons au quotidien et dont nous ne pouvons pas influencer. Par contre, je peux influencer mon alimentation mais je ne peux pas influencer tous les rejets de produits toxiques dans l’environnement. Influençons ce que nous pouvons influencer pour avoir une bonne santé.
(AIP)
ena/fmo
Interview réalisée par Esther Yao
Chef du bureau régional d’Agboville