Gagnoa, 22 juin 2023 (AIP)- Zérédji Dameneko Junior, 34 ans, fils du célèbre guérisseur-exorciste des années 80, Dodji Zérédji, du village de Gbagrélilié (département de Lakota) est un thanatopracteur (professionnel qui assure les soins de conservation du corps afin de retarder la thanatomorphose ou décomposition du corps). Zérédji Junior travaille dans une morgue de Gagnoa où il s’occupe des corps. Également maçon, il creuse des tombes et construit des caveaux. Dans un entretien à bâtons rompus, jeudi 15 juin 2023, à Gagnoa, l’homme raconte son quotidien de croque-mort depuis 10 ans et exhorte les jeunes à épouser ce métier.
Vous êtes ce qu’on appelle dans l’ancien temps, un croque-mort. Le savez-vous ?
Non. Je ne suis pas un croque-mort. Nous, on bosse et on gagne notre vie en aidant les parents. On fait ce que beaucoup ne veulent pas faire.
Comment en êtes-vous arrivé à travailler dans le domaine des cadavres ?
C’est un long trajet. C’est un ancien qui m’a mis dans le job. Il m’a dit, viens m’aider à faire quelque chose. Mais, je savais plus ou moins ce qu’il faisait et donc, je n’ai pas été surpris. J’étais petit et je voyais déjà papa travailler dans les cimetières pour guérir les gens, ouvrir des tombes où d’autres personnes avaient enterré des fétiches contre leurs semblables. J’étais déjà habitué au milieu de la mort et du cimetière.
Cette activité nourrit-elle son homme ?
Ça dépend de ta gérance. Quand tu prends un marché d’une tombe, c’est au moins 245 000 F CFA. Dans cette somme, il y a les matériaux : ciment, marbre et bien d’autres accessoires à acheter. Il te revient, en tant que maçon, de faire correctement le travail avec de bons matériaux. Il peut te rester, après toutes les dépenses, au moins 50 000 F CFA. Plus la tombe est chère, surtout si elle a été commandée par les gens de la diaspora, tu gagnes un peu gros.
![](https://www.aip.ci/wp-content/uploads/2023/11/Zredji-junior-explique-quil-aime-son-travail-que-beaucoup-considere-comme-un-croque-mort-300x200.jpg)
Dans ces cas-là, combien coûte la construction d’une tombe ?
Il y a plusieurs types de tombes. Il y a des tombes de deux millions, trois millions, d’autres de quatre millions de francs. Une tombe simple, dans laquelle on n’a mis que de simples carreaux peut te coûter entre 300 000 et 600 000 F CFA. Parce qu’aujourd’hui, on ne fait plus de tombe dans laquelle on fait descendre le cercueil du haut vers le bas. Le modèle de nos jours, c’est le type caveau, avec carreaux à l’intérieur et qu’on ferme. Et le jour de l’enterrement, on ouvre par-derrière pour y introduire le cercueil.
Donc, celui qui n’a pas au moins 500 000 francs, il lui est impossible de faire la tombe d’un parent ?
Non, ce n’est pas ce que j’ai dit. Il y a des maçons dans les villages, et donc certains font le travail selon la somme dont les parents du défunt disposent.
Quel est le montant de la tombe la plus chère que vous ayez construite ?
Celle de la mère d’un colonel qui a coûté huit millions de francs. J’en ai déjà construit plusieurs de deux à quatre millions de francs dans toutes les sous-préfectures de la région du Gôh. Gagnoa. Guibéroua, Ouragahio, Tonla etc…
Quelle est la particularité d’une tombe de huit millions de francs ?
C’est avec des carreaux importés et des piliers aux angles. C’est, en fait, comme si on construisait une petite maison.
Pourquoi c’est si cher, alors que c’est le ciment, le fer à béton et des carreaux qui sont utilisés ?
Sachez qu’un vrai maçon ne prendra jamais un paquet de ciment pour confectionner 50 briques. Le ciment doit être bien dosé. C’est ce qui fait que lorsque vous allez dans un cimetière, vous constatez que certaines tombes se fissurent et parfois s’effondrent. À force de chercher à réduire les coûts, vous vous rendez compte que l’ouvrier utilise du mauvais matériel, notamment les fers à béton qui ne sont pas aux normes.
Quelles dispositions prenez-vous, lorsqu’on vous sollicite pour construire une tombe dans un village ?
Avant l’arrivée du corps, je me rends sur place pour qu’on me montre le site. On demande ensuite aux populations de venir nous aider, parce que le village n’est pas le nôtre, puis nous procédons à des sacrifices.
De quel type ?
On verse un peu de liqueur, de préférence le gin, avant de commencer le travail.
Pourquoi faites-vous cela ?
Nous le faisons afin que nos ancêtres bénissent le travail, de sorte qu’avec leur accord, le travail puisse être mené normalement et sans grandes difficultés sans attaque spirituelle. Ensuite, le premier coup de pioche est donné. Nous jetons loin ce sable, pour ne pas que les esprits malins cherchent à contrôler notre action.
Un chrétien accepte-t-il ce genre de rituel ?
Celui qui est chrétien. Qu’il sache que c’est quelque chose que Dieu a créé. C’est notre racine et c’est ce que nos ancêtres ont toujours fait. Ce n’est pas parce qu’on est devenu chrétien un jour qu’on doit dire qu’on n’est pas d’accord. Il se doit de l’accepter et de s’y soumettre. Ce sont les lois de la nature que nous appliquons.
Que faites-vous donc s’il s’agit de la tombe d’un musulman ?
Bon. Je n’ai jamais réalisé une tombe de musulman, parce que généralement, les musulmans eux-mêmes ont leurs maçons. Je ne peux pas en dire plus parce que je n’ai jamais construit de tombe d’un musulman.
Que faites-vous donc s’il s’agit de la tombe d’un musulman ?
Bon. Je n’ai jamais réalisé une tombe de musulman, parce que généralement, les musulmans eux-mêmes ont leurs maçons. Je ne peux pas en dire plus parce que je n’ai jamais construit de tombe d’un musulman.
Comment les parents des défunts prennent-ils contact avec vous ?
De bouche à oreille ou à partir des travaux que nous effectuons dans les villages. Récemment, quelqu’un m’a appelé après sa présence aux funérailles d’un parent de son ami. Il avait été impressionné par la tombe et s’est renseigné sur l’auteur des travaux. Il y en a aussi qui nous rencontrent à la société des pompes funèbres, lorsqu’ils viennent pour les formalités du corps de leurs parents.
Quel travail faites-vous exactement dans la société de pompes funèbres ?
On va là-bas pour se « débrouiller » pour ne pas voler ou pour ne pas qu’un ami te conduise à l’erreur. On donne un coup de main au patron de la société.
C’est quoi pour vous « un coup de main » ?
Faire par exemple l’entretien du corps.
Et en quoi cela consiste-t-il ?
Hum, enfin, c’est la mise en bière.
Justement. Ce terme « mise en bière », on l’entend très souvent. Pouvez-vous me l’expliquer ?
Dans le processus de la mise en bière, on enlève le corps de la chambre froide, on le met sur le lavabo. Le chef « morguier », comme nous on l’appelle dans notre jargon et son adjoint, le lavent. Quand ils ont fini de laver le corps, nous les petits, on vient se débrouiller à côté.
Quand le corps est sur le lavabo, combien de temps met-on pour le laver ?
Ça peut prendre cinq minutes pour le laver.
Ah donc, on n’attend pas que le corps soit dégelé ?
Non, en fait, c’est depuis jeudi que les corps sortent de la chambre froide.
Donc, c’est jeudi en général qu’on enlève des chambres dans toutes les morgues ?
Jeudi. On les retire et on les fait descendre et le vendredi, on les lave. Jeudi et vendredi, le corps repose sur une espèce de lit, mais il n’est plus dans la chambre froide. Les corps sont lavés par le chef et son adjoint. Quand les chefs ont fini de les laver, à ce moment-là, nous autres intervenons pour habiller les corps.
C’est vous qui habillez les corps ? Expliquez-nous cela !
Habiller le corps est un acte ordinaire. Quand tu crois en ton Dieu. C’est comme une personne de son vivant qu’on habille. Habiller le corps, c’est comme si tu habilles ton propre enfant. Les vêtements que les parents donnent, c’est ce que l’on prend pour l’habiller.
Dans le processus de la mise en bière, on enlève le corps de la chambre froide, on le met sur le lavabo. Le chef « morguier », comme nous on l’appelle dans notre jargon et son adjoint, le lavent. Quand ils ont fini de laver le corps, nous les petits, on vient se débrouiller à côté.
Quand le corps est sur le lavabo, combien de temps met-on pour le laver ?
Ça peut prendre cinq minutes pour le laver.
Ah donc, on n’attend pas que le corps soit dégelé ?
Non, en fait, c’est depuis jeudi que les corps sortent de la chambre froide.
Donc, c’est jeudi en général qu’on enlève des chambres dans toutes les morgues ?
Jeudi. On les retire et on les fait descendre et le vendredi, on les lave. Jeudi et vendredi, le corps repose sur une espèce de lit, mais il n’est plus dans la chambre froide. Les corps sont lavés par le chef et son adjoint. Quand les chefs ont fini de les laver, à ce moment-là, nous intervenons pour habiller les corps.
C’est vous qui habillez les corps ? Expliquez-nous cela !
Habiller le corps est un acte ordinaire. Quand tu crois en ton Dieu. C’est comme une personne de son vivant qu’on habille. Habiller le corps, c’est comme si tu habilles ton propre enfant. Les vêtements que les parents donnent, c’est ce que l’on prend pour l’habiller.
N’avez-vous jamais eu peur ? On parle de morts qui parlent aux vivants.
Non, je n’ai jamais eu peur. Je dirai que c’est quelqu’un qui n’a pas l’esprit tranquille, qui peut s’interroger et s’inquiéter. Voyez-vous, si vous êtes témoin d’un accident et que l’une des victimes est dans une mauvaise posture, en train de baver et de saigner. Est-ce que vous allez l’abandonner sous le prétexte que vous avez peur ? Non, ça ne fait pas peur. En tout cas, pas à moi. Quelqu’un qui est mort, il est mort.
On dit également qu’on boit beaucoup d’alcool, pour pouvoir tenir dans cet environnement. Qu’en est-il ?
Ah ! Ce sont des légendes. Les gens racontent des bêtises. Par contre, il faut être moralement fort, lorsqu’il est question de procéder à une exhumation en ville, pour ensuite faire une autre inhumation au village par exemple. Un corps que les enfants ont auparavant enterré à Abidjan, et quelques années plus tard, pour d’autres raisons, ils veulent le ramener au village. Ça oui, il faut boire un peu.
Pourquoi cela ?
Ah ! Ce n’est pas facile. D’abord, il faut verser le contenu entier d’une bouteille de liqueur Gin dénommée « cercueil » devant la tombe. Ensuite, la casser par devant. Ensuite, ramasser les os pour les mettre dans une percale blanche. Tous les restes mortuaires placés dans le tissu sont mis dans le nouveau cercueil qui est aussitôt fermé. Direction, le cimetière du village et hop, dans la nouvelle tombe et on referme. Point final. Je ne conseille pas aux enfants du défunt ou aux âmes faibles d’être présents. Dans ces cas-là, oui, on a envie de boire un peu de boisson forte, sinon, en général, il n’y a pas de souci.
Comment est l’intérieur de la tombe dans les cas d’exhumation ?
Parlons d’autre chose. Si je vous explique cela, je ne suis pas sûr que vous ayez envie de manger à midi. Ça oui, c’est un travail dur. Plus le corps a duré dans la terre, plus c’est facile, parce qu’il y a moins d’eau dans le corps. Ce n’est que des os.
Revenons aux pompes funèbres. Comment les gens lavent-ils les corps ?
Quand ils lavent les corps, nous on n’est pas là. C’est quand ils finissent qu’ils nous appellent.
Encouragerez-vous les jeunes à faire ce travail ?
Moi-même, j’encourage toujours les jeunes à venir. Ce travail est comme tant d’autres. Il n’y a pas de mauvais boulot, et surtout qu’à Gagnoa, il n’existe pas d’unité industrielle qui puisse embaucher. Donc, quand je vois les jeunes venir se débrouiller dans les morgues, ça me fait plaisir.
Y a-t-il de nombreux jeunes dans votre société ?
Là où je suis, nous ne sommes pas nombreux. Mais dans les deux autres pompes funèbres de la ville, ils sont plus nombreux. Il y a également que les jeunes viennent pour de petits boulots. Quand un enfant travaille, toi l’homme, tu dois l’encourager. Souvent, les enfants travaillent et à la fin de la journée, le soir, ils n’ont pas un sou en poche. Parfois, s’ils ont un peu de chance, les parents du défunt voient que le petit a beaucoup bossé et a été courageux, il lui donne un peu d’argent. Sinon, c’est difficile.
Qui devrait les rémunérer selon vous ?
Bon, en fait, il n’y a pas de salaire en tant que tel. Chez nous, on n’a pas réellement de souci. Mais dans d’autres morgues, je vois de nombreux jeunes gens se plaindre à longueur de journée. Mes amis me disent : je travaille, on ne me donne rien. Donc, je ne travaille plus.
Êtes-vous des contractuels des pompes funèbres ou des gens libres qui proposent leurs services ?
On n’est pas embauché.
Alors, pourquoi voulez-vous être rémunérés donc ?
Chez nous par exemple, c’est le chef de la morgue qui s’occupe de tout. Donc, ailleurs, nous plaidons pour que les chefs de morgue puissent aussi leur donner un peu d’argent.
Souvent, on dit que le corbillard n’a pas de rétroviseur parce que le chauffeur voit le mort assis sur le cercueil. Est-ce vrai ?
(Rire). Tout cela, c’est des mensonges. Les gens racontent trop de choses inexactes sur les morts. Nous, on est ici. Quand tu n’es pas dans un milieu, tu en ignores tout et tu crois à toutes sortes de bêtises.
Et les cercueils qui se promènent ?
Moi, je n’ai pas vécu cela depuis 10 ans que j’exerce ce métier.
Ne voulez-vous pas en parler ou bien vous n’avez jamais vécu cela ?
Moi-même, j’entends souvent de tels propos, mais depuis que j’accompagne les corps dans les villages pour les inhumations, je n’ai jamais vécu de telles scènes.
On dit aussi qu’il y a beaucoup de business dans les morgues. Qu’en est-il ?
De quel business parlez-vous ?
Par exemple, des gens qui achètent des baves de mort, des ongles, des cheveux pour des rituels en vue de devenir riches, ou ensorceler des gens ?
Hum, ah ! Monsieur, vous avez de l’imagination ! Un homme qui est décédé, le corps ne t’appartient pas, et tu viens acheter les ongles et cheveux. Ça, c’est plus fort que moi. Chez nous ici à Gagnoa, je n’ai pas encore vu cela. Je ne dis pas que ce n’est pas impossible à 100 %, puisque moi-même, j’ai déjà eu écho de telles rumeurs. Mais, je ne crois pas trop en cela.
Avez-vous entendu quand même parler de cette pratique ?
Si, j’en ai entendu parler, mais je n’ai jamais été témoin ou acteur de telles pratiques. Si tu veux, tu attends que l’on te remette le corps de ton parent. Une fois chez toi au village, tu fais ce que tu veux sur ton corps. Sinon, ce n’est pas à nous de dépecer un corps, on n’est pas médecin légiste (rire.)
Est-ce facile d’exercer ce métier ?
Il n’y a pas de problème. C’est très facile.
Ah ! Manipuler des corps, c’est facile ?
Si tu n’es pas habité de mauvaise intention, si tu as l’esprit positif, ce travail ne peut pas te perturber. Je ne vois vraiment pas.
Déclinez-vous votre métier, quand vous courtisez une fille pour la première fois ?
Elle-même sait que c’est à la morgue que tu te débrouilles et que c’est là-bas que tu trouves de l’argent pour lui donner. Donc, elle ne peut rien dire. Moi, ma femme ne m’a jamais fait de palabre. D’ailleurs, je vais vous dire que dans notre milieu, que la majorité de nos copines sont des filles qui viennent pour des dépôts, entretien ou levées de corps de leurs parents. Parfois aussi, c’est lorsqu’elles viennent pour le choix des cercueils ou, quand elles veulent s’assurer que le corps est bien entretenu. (Rire)… Elle sait quel travail tu fais, donc… il n’y a pas de problème.
Qu’est-ce qui attire les filles vers vous ?
Là, je ne sais pas. Il y a des filles qui préfèrent ceux qui se débrouillent que ceux qui volent. Je ne crois pas que les filles viennent parce qu’on va les aider à obtenir des réductions, parce que ce n’est pas de notre ressort. Mais je crois que les femmes ont un faible pour tous ceux qui sont des battants. C’est tout.
Pourquoi en pays Bété, les corps restent-ils si longtemps à la morgue selon vous ?
Je ne saurais vous le dire, puisque c’est ainsi. Chaque peuple a ses coutumes. Peut-être que c’est dû aux parents de la diaspora qui tiennent à venir au pays, prendre part aux obsèques. À la vérité, je ne saurais vous le dire.
Donc, cela fait gagner beaucoup d’argent aux morgues ?
On peut le dire. Plus le corps reste longtemps, plus la facture monte, c’est vrai. Mais, le jour du paiement, les gens négocient et la facture descend. Si tu veux venir négocier, donc, ne laisse pas le corps de ton parent très longtemps à la morgue.
Un message aux jeunes ?
Soyez courageux. Il n’y a pas de sot métier et surtout, sachez qu’un mort est un mort. Un mort ne mord pas, ne parle pas et ne dérange pas. Soyez sereins, venez travailler et construisez votre vie. Tous ceux qui jacassent sont les mêmes qui viendront vous demander de l’argent pour résoudre une difficulté sachant pertinemment ce que vous faites comme boulot. Vous voyez donc que si des amis sont prêts à dépenser les sous que nous leur donnons, c’est que ce n’est pas de l’argent maudit.
Une interview réalisée par
Dogad DOGOUI
AIP Gagnoa
Encadré : Définition de ‘Mise en bière’
Selon un responsable de pompes funèbres, la mise en bière, consiste à mettre le corps sans vie dans un cercueil. Mais auparavant, ce corps exige une préparation, qui prend en compte le laver, l’habiller, le parfumer, le maquiller. C’est tout ce processus qui porte le nom de « mise en bière ».