Divo, 26 août 2024 (AIP) – Né le 19 mai 1971 à la maternité de Divo, Didier Becken Kokobé est pasteur de l’Eglise méthodiste de Côte d’Ivoire, directeur national du département Réveil, Evangélisation et Croissance de l’Eglise méthodiste de Côte d’Ivoire. Il sera investi, samedi 31 août 2024, en qualité de chef du village de Gnama, dans le canton Diès, à 14 km de Divo, où le sous-préfet ira lui remettre officiellement son arrêté de nomination, en vue de l’administration de près de 13 000 habitants.
L’Agence ivoirienne de presse (AIP) a reçu, dans son bureau régional de Divo, le nouveau chef de village de Gnama, pour mieux connaître cette personnalité qui déclare être capable de concilier ses fonctions de pasteur et de chef de village, garant des us et coutumes.
Comment êtes-vous devenu pasteur ? D’où est venu le déclic ?
La pastorale est une vocation. Très jeune j’étais au groupe de jeunes (de l’église) à Abidjan Koumassi, où j’étais le président de la jeunesse de l’Eglise méthodiste Béthanie. En 1998, j’ai reçu l’appel du seigneur pour la pastorale, je me suis donc engagé et j’ai été admis au test d’entrée à l’école pastorale en 2004. J’ai fait la formation pour avoir une licence et je suis sorti pasteur en 2008.
Comment s’est fait la suite de votre parcours ?
J’ai exercé d’abord à Jacqueville pendant quatre ans et j’ai été consacré pasteur le 14 août 2011. Le 02 décembre 2012, j’ai fait mon culte d’action de grâce dans mon village à Gnama. Depuis, l’Eglise m’a affecté à tout ce qui est mouvement de réveil, tout ce qui est prière au niveau de l’Eglise méthodiste de Côte d’Ivoire. Au niveau national, depuis 2016, j’ai été nommé Directeur du département Réveil, Evangélisation, et Croissance de l’Eglise méthodiste. A Abidjan je suis basé à l’église méthodiste du Plateau depuis 2013.
Etes-vous issu d’une famille de chef de village ?
Par ma lignée maternelle, je suis issu d’une famille de chef de village, notamment mes grands-parents maternels furent chefs à Gnama. Mais, pour ce qui me concerne, c’est une grâce d’être désignée par le village pour asseoir la chefferie.
Mais comment s’est fait le processus de désignation pour faire de vous le chef du village de Gnama ?
Le défunt chef de village, Toti Gnagbo, a été très malade sur une longue période et donc invalide, et le village a demandé, en raison de son impotence, qu’il passe la main à quelqu’un d’autre. Au niveau du village il a été demandé à la diaspora de trouver quelqu’un pour assurer l’intérim. J’ai été approché par certains frères du village pour assurer cet intérim, mais en raison de la pastorale qui me prend assez de temps, je n’étais pas partant. Mais, dans ses derniers instants, le chef du village m’a appelé, en présence de sa femme, il m’a reçu sur son lit de malade, le 1erdécembre 2023. Il m’a dit que j’étais la personne indiquée pour assurer l’intérim, justement à cause de mes responsabilités pastorales qui me permettront de mettre en place les balises éthiques et spirituelles, les textes, en vue de l’installation d’une chefferie consensuelle.
Est-ce autorisé et possible qu’un pasteur méthodiste soit désigné chef de village ?
J’ai tenu d’abord à avoir l’avis favorable de ma hiérarchie avant de donner une réponse à la demande du chef. J’ai présenté la situation au Bishop et à mon surintendant le 05 décembre 2023, avant de partir en mission hors du pays. Ils m’ont donné leur onction.
Dans votre cas, la désignation en tant que chef s’est-elle faite à la suite d’une élection, même si le défunt chef voulait que ce soit vous son successeur ?
Le 06 décembre, le chef Gnagbo est décédé. A mon retour au village, les parents m’ont reçu sur la place publique et ont évoqué la dernière volonté du chef me voulant comme son successeur. J’ai répondu être d’accord si les parents eux-mêmes le veulent également. Une consultation populaire a donc été organisée à notre niveau et Madame le sous-préfet a été saisie. Après les obsèques du chef, en janvier 2024, elle a envoyé un émissaire au village pour une autre consultation populaire sur la place publique, où les sept grandes familles du village, les allogènes, et les allochtones ont tous donné leur quitus pour ma nomination. Et le 04 mars, madame le sous-préfet est venue elle-même au village, pour la dernière consultation populaire, et tous au village ont déclaré être d’accord pour que je préside à la destinée du village. Ce qui a amené le préfet à prendre un arrêté de nomination.
En Côte d’ivoire et en Afrique de façon générale, le chef du village est également le garant des us et coutumes. Vous en tant que pasteur et chef de village désormais, comment comptez-vous assurer cette fonction de gardien des us et coutumes ?
Notre Eglise, dans son programme ecclésial des années précédentes, a eu pour thème général « Eglise et tradition », parce que le pasteur est un agent de développement. Il ne fait pas table rase des us et coutumes, mais, œuvre à la lumière de l’évangile, pour que le développement se fasse. Oui aux us et coutumes, à la lumière de l’évangile nous travaillerons. Ils savent que je suis pasteur donc, si dans nos us et coutumes il y a des pratiques que je ne trouve pas justes, j’ai la bible, parce que j’ai dans la main droite, la bible et dans la main gauche, la tradition, les us et coutumes. Je travaillerai sans me compromettre et sans compromettre le développement de la tradition. Je suis aujourd’hui inscrit à la Chambre des rois et chefs traditionnels et je travaillerai sans compromettre.
Vous avez déjà commencé à exercer votre fonction de chef de village. Comment arrivez-vous à concilier cette fonction et celle de pasteur quand il s’agit d’honorer les ancêtres, quand l’on sait que certaines cérémonies traditionnelles au village imposent d’honorer les ancêtres et que dans les églises souvent l’on conseille de couper les liens avec les défunts, les ancêtres ?
Voilà en quoi le pasteur est important. Il y a aujourd’hui « une guerre » entre la religion chrétienne et certaines pratiques du village. Aujourd’hui je suis chef, je suis pasteur. Quand nous nous retrouvons au niveau de la notabilité, nous commençons nos réunions par la prière, ce qui ailleurs ne se fait pas. Donc, il y a du donnant donnant, il ne s’agit pas de brusquer les choses. On n’est pas chef pour vaincre, mais on est là pour convaincre. Il faut que la chose soit justifiée pour qu’on perpétue ce qui doit l’être. Et c’est à cela que nous travaillons, car doucement nous travaillons pour enlever ce qui peut l’être et perpétuer ce qui doit l’être. Cela prendra du temps, mais nous persévérerons. Dans nos villages, il y a des chefs terriens, il faut les honorer, chacun doit jouer sa partition. Quand l’Eglise donne sa caution, c’est pour que les choses aillent mieux dans le meilleur des mondes possibles.
En tant que chef de village vous avez une diversité de populations à gérer. Quelle est la démarche que vous adoptez dans le règlement des problèmes qui vous sont soumis ? Est-ce la référence à la bible qui vous guide ou tenez-vous compte des spécificités socioculturelles des personnes qui viennent à vous pour trouver une solution à leur problème ?
Le chef de village est le prolongement de l’administration. Ma première réaction est de me demander qu’aurait fait l’administration face à ce problème, parce qu’on ne peut régler un problème qui va nous mettre à mal vis-à-vis de l’administration. Quand l’administré vient, il faut qu’il trouve dans la chefferie, dans la notabilité, les lois de la République, car nous travaillons pour la République. Et la République est apolitique, laïque, elle est pour tous les administrés. Là ce n’est pas le pasteur qui parle, c’est le chef du village qui est le prolongement de l’administration qui parle. Je ne défends pas ma religion, mais la République. Certes, après la position de l’administration, le pasteur que je suis peut prendre la personne à côté pour prodiguer des conseils, mais autorité doit rester à la loi de la République.
Qu’est-ce que vous voudriez que l’on retienne de votre passage à la tête de la chefferie de Gnama ? Quel genre de chef souhaiteriez-vous être pour Gnama ?
Je souhaite que le pays soit fier d’avoir un représentant sur ce lopin de terre de Gnama. Le chef incarne des vertus, il doit inspirer confiance, il doit penser et parler développement. Pour le lapse de temps qui me sera accordé, je voudrais que le village puisse amorcer un développement, améliorer ce que nos prédécesseurs ont fait, laisser un héritage appréciable à ceux qui viendront après nous pour qu’ils travaillent dans des conditions plus excellentes. Dieu aidant, nous allons laisser une chefferie qui fera la fierté de l’administration, de sorte que Gnama soit demain une commune, une sous-préfecture avec des infrastructures appropriées.
(AIP)
jmk/fmo
Interview réalisée par Jean-Marie KOFFI
Chef du bureau régional du Lôh-Djiboua à Divo