Par Binta Soumahoro
Abidjan, 07 sept 2025 (AIP) – À quelques jours de la rentrée, l’ambiance est à la fois animée et partagée dans les quartiers populaires d’Abidjan. Devant les bureaux d’inscription, certains élèves affichent un vrai enthousiasme, cahiers et fournitures en main, prêts à commencer la nouvelle année. D’autres montrent un peu d’inquiétude, le regard hésitant, se demandant comment ils vont gérer les cours et les devoirs.
Chaque jeune vit la rentrée à sa manière. Certains ont travaillé pendant les vacances pour garder leurs acquis et se sentent confiants, tandis que d’autres ont profité du repos pour recharger leurs forces et aborder l’école avec sérénité. Tous partagent néanmoins la même attente. Celle de réussir et franchir cette étape essentielle avec le meilleur état d’esprit possible.
Trois élèves, trois regards sur la reprise
Dans la cour familiale de Koumassi Sogefia, Soumahoro Miriam Noëlli feuillette son cahier de vacances avec sérieux. Première de sa classe au lycée municipal 2, elle a préféré continuer à travailler pendant la pause scolaire. « J’ai continué à réviser pendant les vacances, cela m’a permis de rester concentrée. Je me sens prête pour aborder cette année décisive », confie-t-elle, sourire timide mais voix assurée. Pour elle, le travail acharné demeure le meilleur chemin vers la réussite.
À Marcory, l’approche est toute différente. Bras chargés de fournitures en sortant du marché avec sa mère, Naomi Acré respire la sérénité. « Je voulais profiter de mes vacances pour me reposer et faire d’autres activités. Comme ça, je reviens à l’école avec l’esprit posé et la motivation intacte », explique-t-elle. Naomi est convaincue qu’un esprit reposé vaut mieux qu’un excès de révisions, un avis partagé par de nombreux adolescents qui ont choisi de décrocher un temps.
Le témoignage d’Abdoul Kader Koné, élève de 3e rencontré dans une longue file d’inscription, tranche par son inquiétude. Le regard fuyant, il confie : « Je suis souvent fatigué et parfois stressé à l’idée de la reprise. L’année s’annonce difficile avec le brevet, et je ne sais pas si je pourrai tout gérer. » Son angoisse reflète celle de nombreux élèves qui, à l’approche des examens, voient le stress prendre le pas sur l’enthousiasme.
Les parents entre sacrifices et espoirs
Au marché d’Adjamé, les parents jonglent avec des listes de fournitures interminables. Mme Koné, commerçante, ne cache pas ses difficultés mais reste déterminée : « Même si c’est difficile financièrement, j’achète les fournitures à temps pour que mes enfants n’aient pas de retard. La réussite n’a pas de prix. » Pour elle, se priver parfois vaut mieux que de laisser ses enfants manquer de moyens.

À quelques pas de là, M. Diabaté, fonctionnaire, recompte ses billets une énième fois, le visage soucieux. « Les dépenses sont lourdes, surtout avec plusieurs enfants scolarisés. On se demande parfois comment concilier toutes ces charges avec le coût de la vie », soupire-t-il. Mais son ton se fait aussitôt plus ferme : « Malgré tout, notre rôle est de les soutenir et de leur offrir ce que nous-mêmes n’avons pas eu. »
Quant à Mme Yao, mère au foyer croisée à la sortie d’une librairie, son optimisme tranche avec l’ambiance ambivalente du marché. « Chaque rentrée est une chance pour nos enfants de progresser. Même si ce n’est pas facile, je garde confiance. Le plus important, c’est de leur donner du courage. » Un sourire accompagne ses paroles, comme pour montrer à ses enfants que la confiance vaut autant que les cahiers.
Trouver l’équilibre et rassurer
Pour comprendre ces états d’esprit contrastés entre élèves et parents, l’AIP a recueilli l’analyse du Dr Narcisse Essétchi Achi, psychologue du Travail et des Organisations, enseignant-chercheur à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody.
Selon lui, la rentrée ne doit pas être perçue uniquement comme une contrainte, mais aussi comme une opportunité de structurer les habitudes.
« La révision est utile pour entretenir la mémoire et conserver les acquis, surtout pour les classes d’examen. Mais l’enfant a aussi besoin de repos, car les vacances sont destinées à recharger son énergie psychique. Trop de travail pendant les congés peut provoquer démotivation et rejet de l’école », souligne-t-il.
Le spécialiste rappelle que repos et loisirs jouent un rôle clé dans la réussite scolaire. « Un enfant bien reposé consolide mieux sa mémoire, gère plus facilement son stress et améliore sa concentration. Les moments de détente, en particulier le jeu, favorisent aussi la créativité et l’équilibre émotionnel », explique-t-il.
Mais le constat est clair. Certains élèves ressentent déjà une fatigue ou une anxiété avant même le premier jour de classe. « C’est ce qu’on appelle l’anticipation anxieuse », décrypte le psychologue.
« Ils redoutent la difficulté de la nouvelle classe, craignent l’échec ou se sentent écrasés par les attentes des parents. À cela s’ajoutent parfois le manque de sommeil, une mauvaise hygiène de vie ou une absence d’organisation. »
Pour mieux préparer cette reprise, Dr Achi insiste sur des gestes simples mais essentiels : réajuster le temps de sommeil quelques jours avant la rentrée, pratiquer une activité sportive régulière, adopter une alimentation équilibrée et cultiver la confiance en soi.
Du côté des parents, le psychologue rappelle leur rôle déterminant. « Les émotions sont contagieuses. Si les parents affichent trop d’inquiétudes ou se plaignent constamment des charges financières, les enfants risquent de développer eux aussi une anxiété accrue. Même dans les difficultés, il est préférable de montrer du calme, de l’encouragement et de créer un climat rassurant à la maison », insiste-t-il.
Il recommande aux familles de rester attentives à certains signaux : irritabilité, troubles du sommeil, fatigue excessive, perte d’intérêt pour l’école ou conflits récurrents avec les camarades. « Ces comportements doivent alerter, car ils traduisent une angoisse liée à la rentrée et nécessitent un accompagnement immédiat », prévient-il.
Enfin, le psychologue propose une ligne directrice claire : organisation, hygiène de vie, gestion du temps et soutien psychologique. Préparer ses affaires la veille, limiter le temps d’écran, hiérarchiser les devoirs, mais aussi permettre à l’enfant d’exprimer ses émotions et de demander de l’aide. « La rentrée doit être vécue avec sérénité. Un élève qui commence l’année avec confiance et un cadre équilibré a plus de chances de réussir sur le long terme », conclut-il.
Entre les longues files d’inscriptions, les marchés bondés et les visages tantôt confiants, tantôt anxieux, la rentrée scolaire reste un moment charnière. Si les défis financiers et psychologiques demeurent, un même espoir réunit parents et élèves : que cette nouvelle année scolaire devienne un tremplin vers la réussite.
(AIP)
sbi/bsb