mardi, novembre 11

Abengourou, 20 sept 2025 (AIP) – Sous un ciel radieux, le village de Djangobo, dans la sous-préfecture de Niablé, a accueilli du 10 au 13 septembre 2025, la 4ᵉ édition de l’Abodan Festival événement culturel visant à célébrer, transmettre et préserver la richesse de la culture Agni. Au cœur de cette initiative, un homme incarne cette noble mission avec passion: Nanan Koffi Messou II. 5ᵉ chef du village de Djangobo et le commissaire général du festival.

Ancien cadre reconverti en acteur culturel profondément attaché aux traditions de son peuple, il partage dans un entretien exclusif accordé à l’AIP, sa vision pour sauvegarder le patrimoine Agni notamment à travers la danse Abodan, une création artistique propre à ce peuple et symbole vivant d’unité et de la mémoire collective. Face à des menaces qui pèsent sur l’héritage ancestral, il propose des solutions concrètes, insiste sur l’importance de la reconnaissance comme valeur fondamentale de la culture Agni, et lance un appel aux jeunes pour un retour aux sources et à la préservation de leur identité culturelle.

Pouvez-vous nous raconter brièvement l’histoire du village de Djangobo ? Quand et comment a-t-il été fondé ?

Djangobo est un village qui a été créé dans les années 1745 par nos aïeux, conduits par Nanan Koffi Messou 1er, qui serait venu du Ghana à la recherche d’or et d’ivoire. À leur arrivée, ils ont constaté que la terre ici était propice à cela. Ils ont donc décidé de s’y installer.

Lorsqu’on parle du patrimoine culturel Agni, à quoi fait-on précisément référence ? Quelles sont ses composantes principales ?

On peut retenir que le patrimoine culturel Agni englobe tout ce qui caractérise l’Agni: sa culture, sa diversité culturelle et tous les éléments liés à la gestion de son quotidien, qui repose sur un système culturel riche, structuré et symbolique. Il fait référence à l’ensemble des pratiques, savoir-faire, traditions, croyances, à l’organisation sociale et familiale, ainsi qu’aux rites liés à la naissance, la puberté, le mariage et le décès. On y retrouve également le respect de l’autorité des anciens et des chefs coutumiers les techniques culinaires, les savoir-faire artisanaux tels que la poterie, la vannerie, la sculpture sur bois et le tissage. Il y a aussi l’éducation traditionnelle qui occupe une place importante, notamment à travers l’initiation des jeunes, l’enseignement des valeurs, des responsabilités, et la transmission orale des savoirs par les contes, proverbes et chants. Ce sont toutes ces pratiques qui forment le patrimoine culturel immatériel Agni.

Parmi ces nombreuses pratiques culturelles Agni, lesquelles sont en voie de disparition ?

Le peuple Agni est riche de ses traditions. Mais une grande partie de cette diversité est en train de disparaître, comme la forêt en Côte d’Ivoire. Nous y avons réfléchi et nous nous sommes dit que nous sommes, du moins pour ma part, la dernière génération. Et si nous n’y prenons pas garde, après nous, ce sera la dérive totale. C’est pourquoi, avec nos maigres moyens, nous organisons le festival Abodan, pour faire revivre tout ce que nous avons perdu.

L’artisanat traditionnel Agni, dans ses formes telles que le tissage, la poterie, la sculpture ou l’orfèvrerie, est-il encore pratiqué ?

Elle existait, mais elle est en train de disparaître. Cependant, je vous promets que, d’ici peu de temps, nous allons faire revenir beaucoup de choses.

Comment la culture Agni existe-t-elle aujourd’hui face aux bouleversements liés à l’influence étrangère, au numérique et aux nouvelles formes de spiritualité ?

Avec la mondialisation, notre jeunesse a tendance à s’éclipser vers ce qui vient d’ailleurs. Elle pense que ce qui vient d’ailleurs est meilleur, et que ce qui est ici est satanique, obsolète. Pourtant, certaines personnes se sont inspirées de nous pour améliorer la civilisation qu’elles sont venues nous imposer. Si nous ne réagissons pas, notre culture disparaîtra.

Dans un contexte où de nombreux jeunes semblent déconnectés de leurs racines culturelles, quelles actions concrètes mettez-vous en place pour les réconcilier avec leur patrimoine ?

Le chef de Djangobo Nanan Koffi Messou II lors d’une interview samedi 13 septembre 2025 à Djangobo

Il y a d’abord la communication et la transmission. Il faut beaucoup communiquer sur les acquis culturels de nos régions pour connaitre de nous avons pu conserver et ce qui est en train de disparaître . Il faut donc créer un répertoire culturel de toutes nos régions en Côte d’Ivoire. Et à partir de ce répertoire, identifier ce que nous pouvons valoriser et perpétuer. Ce n’est pas facille, mais nous devons réagir. Nous devons semer la graine de notre culture dans l’esprit de nos enfants. S’ils ne connaissent pas leur histoire, leur langue, leurs traditions, alors demain, tout cela disparaîtra. C’est d’ailleurs ici qu’Abodan Festival prend tout son sens.

Quel est objectif principal l’Abodan Festival?

Ce festival est né d’un besoin urgent: celui de sauvegarder et de valoriser notre patrimoine culturel Agni, aujourd’hui gravement menacé. L’Abodan Festival, ce n’est pas qu’un simple moment de réjouissance. C’est un projet de fraternité, un cadre de rapprochement, de célébration des valeurs qui nous rassemblent, de valorisation de nos traditions. Un espace de transmission et de promotion de la paix. C’est un acte de mémoire, un pont entre les générations. À travers ce festival, nous voulons raviver ce que nous sommes en train de perdre, réconcilier notre jeunesse avec leur identité, et rappeler à chacun que notre culture n’est ni dépassée ni inutile. Au contraire, elle est notre richesse et contribue pleinement au développement durable de notre région et à la consolidation du vivre-ensemble.

Quelles sont concrètement les activités ou les temps forts qui composent le festival ?

C’est l’Abodan, C’est une danse à la fois festive et funéraire. Elle est pratiquée lors des grandes fêtes, mais aussi pour célébrer les funérailles. Chez les Agni, il y a deux grands principes: les fêtes et les funérailles. La même danse est exécutée dans les deux cas, mais ce sont les chansons qui changent. Il y a des chansons pour les funérailles et les chansons pour les fêtes.

Que représente la danse Abodan dans la culture Agni et pourquoi en faire le socle de la renaissance culturelle ?

Il faut d’abord commencer par ce que nous pouvons maîtriser. À partir de l’Abodan, je pense que tout le reste suivra. L’Abodan est la danse typique des Agni, la danse identitaire. Elle nous est propre. L’Abodan vient de chez nous, et c’est ce que nous cherchons à valoriser. Les autres danses viennent d’ailleurs. Par exemple, la Doa et le Kété ne sont pas des danses Agni. Le Kété est une danse des Bron, et la Doa est une danse Ashanti. Au-delà de l’Abodan, nous avons aussi le mariage coutumier Agni. Certaines personnes disent: « Je vais doter ma femme », mais ce n’est pas la bonne expression. On ne dote pas sa femme. Chez les Agni, il y a un mariage qui est organisé, et c’est pendant ce mariage qu’on paie la dot. La dot fait donc partie des étapes du mariage, mais elle ne le résume pas à elle seule.

Vous voudriez bien nous expliquez comment sont esquissés les pas de danse de l’Abodan ?

Les pas de danse sont effectués en fonction des tamtams que l’on joue. Il y a quatre types de tamtams qui caractérisent la danse Abodan: la Klétia, les deux Asamalè, et le Kinizi.
La Kletia, c’est celui qui montre comment faire le pas. “A Klétia” ou “Kléetialè” signifie « celui qui montre comment on pose le pas ». C’est donc ce tamtam qui indique la manière de danser. C’est le plus petit des tamtams, mais c’est à partir de son rythme que les danseurs peuvent suivre et exécuter les pas. Chaque tamtam a un son spécifique. Lorsque l’on comprend le langage de l’Abodan, on sait ce que signifie chaque rythme, en fonction du tamtam utilisé. La danse Abodan peut être pratiquée par n’importe qui, mais il faut savoir danser !

Envisagez-vous, associer tous les chefs traditionnels Agni pour en faire faire de l’Abodan festival un grand mouvement culturel régional ?

Vous savez, il est important d’associer tout le monde mais le chasseur, c’est lui seul qui part en brousse. C’est lorsqu’il ramène le gibier à la maison que tout le monde se rassemble autour. Donc, vous conviendrez avec moi que, dans un premier temps, il faut commencer.

Depuis la première édition, quelques uns ont répondu présent. Plusieurs villages de l’Indénié ont rejoint le festival, suivis par ceux du Djuablin et du Moronou. Aujourd’hui, l’engouement est tel que même des villages où la danse Abodan n’existait pas ont formé leurs propres troupes. Et pour cette 4e édition nous avons au moins une vingtaine de villages qui participent Notre objectif, c’est d’étendre cela jusqu’au Sanwi, et à tous les Agni de Côte d’Ivoire. Avec le temps, chacun comprendra que notre démarche est sérieuse et portée par des valeurs collectives, capables de faire renaître notre société. Je souhaite que toute l’Indénié et le Djuablin s’approprient cette initiative, afin qu’elle devienne virale. C’est un héritage que nous devons transmettre à nos enfants. Certes, nous avons encore besoin de soutien, mais l’essentiel est là : nous avons commencé, et nous savons que nous allons y arriver.

 Entre traditions et exigences modernes, quelle devrait être selon vous la posture d’un chef pour impacter la vie culturelle et le développement de son village ?

Le chef, ce n’est pas forcément celui qui porte un gros pagne et qui s’assoit aux cérémonies. Le chef doit être comme le chef d’entreprise de son village. Il doit considérer son village comme une entreprise, et le gérer en conséquence.

Comment avez-vous su vous imposer et gagner la confiance de votre communauté ?

Lorsque j’ai été intronisé, je me suis rendu compte de la carence culturelle et morale de notre jeunesse. Je me suis alors évertué à réformer cette jeunesse. Cela fait 13 ans que je suis chef, et pendant ces 13 années, ça a été un travail de longue haleine. Au début, les gens ne croyaient pas en moi. Ils disaient « Oh, il est arrivé d’Abidjan, qu’est-ce qu’il peut bien faire ? Il est né ici, on le connaît ». Mais c’est ta manière de t’affirmer qui finit par inspirer la confiance. Avec le temps, les jeunes m’ont fait confiance, les femmes aussi, ainsi que les anciens. Ils m’ont apporté leur soutien.

Face à une jeunesse Agni souvent en quête d’identité ou en perte de repères culturels, quel message souhaitez-vous leur transmettre ?

Il faut que les jeunes prennent conscience que demain, ce sont eux qui seront les responsables. S’ils ne font rien aujourd’hui, demain, ils ne seront rien dans la société. C’est pourquoi, j’appelle cette jeunesse à être plus responsable, à se prendre en charge. Il faut qu’ils s’investissent, qu’ils s’approprient leur culture, car la culture est la racine de tout développement durable. Je voudrais aussi leur dire de ne pas copier tout ce qu’ils voient sur les réseaux sociaux, parce que ce n’est pas tout ce qui brille qui est de l’or. Je les invite plutôt à s’inspirer de l’exemple des anciens, à apprendre à se connaître, à savoir qui ils sont et d’où ils viennent. Il faut qu’ils reviennent à leurs racines à leur identité à leur culture. Nous avons notre propre richesse, et c’est notre devoir de la préserver.

Le thème de cette 4ᵉ édition du festival est : « La reconnaissance, facteur de cohésion sociale et de développement ». Pourquoi ce choix ?

Dans notre tradition, la reconnaissance est une valeur cardinale. Elle est au cœur de la vie communautaire. Les sages nous enseignent que “l’homme qui ne sait pas dire merci ne saura pas, demain, demander pardon”. La reconnaissance est la racine du pardon, de la solidarité et de la cohésion sociale — sans laquelle aucun développement n’est possible. Djangobo, jadis petite bourgade perdue dans la brousse, affiche aujourd’hui une fière allure. Pour cela, nous exprimons notre profonde gratitude au Président de la République, Son Excellence Monsieur Alassane Ouattara, pour tout ce qui a été accompli, et pour tout ce qui reste à venir. Car l’arbre de la gratitude porte toujours de nouveaux et bons fruits. Ensemble, nous avons le devoir de cultiver l’unité et la solidarité. Ensemble, préparons un avenir de paix et de prospérité pour Djangobo, pour l’Indénié-Djuablin, et pour toute la Côte d’Ivoire.

(Interview réalisée par Marcel N’Gbesso)

(AIP)

nam/cmas

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