mardi, novembre 11

Réalisée par Soro Sionfolo AIP Korhogo

Abidjan, 25 sept 2025 (AIP)-Face aux défis structurels de la filière cotonnière ivoirienne, Tim Agro- Industrie opère un virage stratégique vers la transformation du karité. Pionnière de la trituration cotonnière en Côte d’Ivoire depuis 2018, l’entreprise fait aujourd’hui face à de multiples contraintes telles que la raréfaction de la matière première due aux maladies végétales, les pratiques frauduleuses qui ternissent l’image du tourteau ivoirien sur les marchés régionaux, la concurrence accrue et la volatilité des prix. Pour diversifier ses activités, elle s’est tournée vers la production d’aliments pour bétail et surtout vers la transformation du karité, avec l’objectif ambitieux de produire 1 000 tonnes de beurre de karité en 2025. Un pari sur l’avenir qui pourrait redynamiser l’industrialisation locale. Dans cet entretien accordé à l’AIP le 18 septembre 2025, la représentante du groupe indien Goyun Group, Konaté Fatima, dresse un bilan du secteur cotonnier et expose les ambitions de son entreprise dans la valorisation du “or blanc” africain.

Pouvez-vous présenter Tim Agro-Industrie et Goyun Group ?

Je représente Tim Agro-Industrie et Goyun Group, un groupe indien spécialisé dans les installations industrielles en Côte d’Ivoire. C’est une société qui évolue dans la transformation des produits agricoles, en particulier la trituration du coton.

Comment avez-vous commencé vos activités ?

Nous avons démarré avec la trituration de la graine de coton. Mais la filière coton a connu beaucoup de difficultés ces dernières années, notamment avec la maladie « jasside ». Nous avons donc jugé nécessaire de diversifier nos activités. C’est ainsi que nous avons lancé la production d’aliments bétail en granulés, puis engagé un projet de transformation du karité.

Pourquoi avoir choisi la diversification ?

Parce que la Côte d’Ivoire est un grand producteur agricole, mais nous transformons seulement 10 à 20 % de nos productions. Il fallait participer à l’industrialisation du pays. Après les difficultés dans le coton, nous nous sommes tournés vers le karité, un produit local avec un fort potentiel.

Depuis quand êtes-vous dans la transformation ?

Depuis 2018. Au départ, la graine était exportée vers la sous-région. Mais en entrant dans la filière, nous avons œuvré pour transformer localement. Grâce au Conseil coton, l’exportation a été suspendue, et nous arrivons à transformer toute la gamme du coton en Côte d’Ivoire.

Quel est votre rendement annuel ?

Actuellement, nous sommes autour de 2 000 tonnes de coton transformées par an. Pourtant, notre capacité de production est de 90 tonnes par jour.

Quels sont vos produits finis ?

Nous produisons du tourteau de coton, très riche en protéines et utilisé pour l’alimentation du bétail, et de l’huile brute de coton, raffinée ensuite pour l’alimentation et la cosmétique.

En tant que femme, est-il facile de s’insérer dans cette filière ?

Non, ce n’est pas facile. J’ai été l’une des premières femmes à me lancer dans la trituration du coton. Mais, grâce à Dieu, les hommes que j’avais en face m’ont toujours respectée. J’ai même été élue vice-présidente de notre association, parce qu’on a reconnu ma compétence. Mais il faut beaucoup de persévérance pour se faire une place.

Quel est votre parcours académique et professionnel ?

J’ai fait un bac scientifique avant de poursuivre des études en anglais dans une université internationale anglo-saxonne, où j’ai obtenu un Bachelor en management (équivalent bac+4). Par la suite, je suis entrée dans l’industrie, d’abord à travers l’importation et l’installation d’équipements industriels, avant de me lancer dans la transformation.

Quelles sont les principales difficultés de la filière coton aujourd’hui ?

La rareté de la matière première, liée aux maladies du coton. L’implantation anarchique d’usines, qui perturbe l’approvisionnement. L’existence d’un marché noir de la graine de coton, revendue plus chère aux véritables transformateurs. Des pratiques frauduleuses de mélange (coton + son de riz), qui dégradent la qualité du tourteau ivoirien. Résultat : plusieurs clients se sont orientés vers le Bénin.

Un de mes clients m’a même écrit : « Je ne veux plus entendre parler du tourteau de Côte d’Ivoire, j’ai perdu plus de 200 millions à cause de vos mélanges ».

Quelles en sont les conséquences ?

La Côte d’Ivoire n’est pas un gros consommateur de tourteau. 80 à 90 % de notre production est exportée vers le Mali, le Sénégal, la Mauritanie ou le Bénin. Mais comme nos clients se détournent vers le Bénin, beaucoup d’unités locales se retrouvent avec du stock invendu. Moi, par exemple, je n’ai que 10 tonnes de tourteaux disponibles, mais l’association que je vice-préside recense plus de 20 000 tonnes invendues chez nos membres. C’est inédit !

Est-ce la raison de votre orientation vers le karité ?

Exactement. Le coton connaît trop de contraintes, il faut diversifier. Le karité est un produit encore artisanal chez nous, mais avec la technologie, nous pouvons moderniser et faciliter l’extraction. C’est à la fois un choix économique et social, car cela permet de soutenir les femmes rurales qui collectent les amandes dans des conditions difficiles.

Quels sont vos objectifs en matière de karité ?

Pour 2025, nous visons 1 000 tonnes de beurre de karité. L’année suivante, nous irons au-delà. La demande est très forte à l’international, notamment en Europe et en Asie, pour la cosmétique et même l’industrie du chocolat.

Disposez-vous de la matière première localement ?

Oui. Nous avons déjà un réseau de collecte en place et nous continuons à l’élargir pour garantir l’approvisionnement. Nos installations sont prêtes à 80 %, il ne reste que quelques ajustements avant le démarrage effectif.

Combien d’emplois générez-vous ?

À Korhogo, notre usine emploie une quarantaine de jeunes pendant la saison. Mais Tim Agro travaille aussi en partenariat avec d’autres unités industrielles, vu notre expertise dans l’installation d’équipements.

Quel est votre message aux autorités ?

Nous demandons  une révision du prix officiel de la graine de coton, fixé à 140 FCFA/kg, car dans la pratique il varie entre 60 et 140 FCFA, une adaptation du mécanisme de fixation des prix aux réalités du terrain et un recensement des unités de trituration pour éliminer les installations anarchiques qui créent une concurrence déloyale

Votre mot de fin ?

Il est temps d’assainir la filière coton et de soutenir les transformateurs qui respectent les règles. De notre côté, nous poursuivons notre engagement dans la transformation locale, à travers le coton, l’aliment bétail et maintenant le karité, afin de contribuer pleinement à l’industrialisation de la Côte d’Ivoire.

(AIP)

Ss/kp

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