jeudi, octobre 30

Abidjan, 25 oct 2025 (AIP) – Une rumeur sur les réseaux sociaux prétend que le vote pour la présidentielle du 25 octobre 2025 a débuté en avance, suggérant une fraude en faveur d’Alassane Ouattara. En réalité, il s’agit d’une vidéo montrant des spécimens de bulletins utilisés à des fins pédagogiques par des militants.

                                                                                           

                                                                                          Par Anderson Diédri, Eburnie Today

 

Dans une publication (archivée ici) faite sur Facebook le 19 octobre 2025, Oxymore de Woody un cyberactiviste proche de l’opposition ivoirienne vivant en France, a écrit : « Je vous avais dit que le RDR avait commencé à voter !!! Voilà ça oh ceux-là quoi !! il y’aura vraiment pas élection (sic) ». Oxymore de Woody est suivi par près de 315 mille comptes sur Facebook.

Le RDR (pour Rassemblement des Républicains), le parti d’Alassane Ouattara, s’est mué en Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) en 2018 avec une coalition d’autres partis politiques dont l’Union pour la démocratie et pour la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI), le Mouvement des forces d’avenir (MFA), l’Union pour la Côte d’Ivoire (UPCI), le Parti ivoirien des travailleurs (PIT), le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, a quitté cette coalition depuis août 2018).

La publication de Oxymore de Woody est accompagnée d’une vidéo dans laquelle on voit une dame assise, tenant un spécimen de bulletin de vote et un stylo. Cette dernière coche la case qui correspond au choix du président sortant Alassane Ouattara, candidat du RHDP. Sur les instructions d’une jeune fille, visiblement militante du RDHP, cette dernière semble apprendre comment voter pour le candidat de son choix le 25 octobre 2025, date prévue pour l’élection présidentielle ivoirienne.

Les échanges dans la vidéo sont essentiellement en malinké, une langue parlée majoritairement dans le nord de la Côte d’Ivoire. « J’ai vu maintenant », acquiesce la dame, vêtue en tissu pagne et portant un foulard sur la tête, avant de cocher la case correspondant au candidat Alassane Ouattara, devant les explications de la jeune militante, habillée d’un tee-shirt orange. Celle-ci explique : « 1, 2, 3, 4 ne sont pas dedans », faisant allusion aux autres candidats, avant de conclure : « ADO ou rien ».  Pour rappel, cinq candidats sont en lice pour la présidentielle d’octobre 2025 en Côte d’Ivoire.

Capture d’écran de la publication de Oxymore de Woody sur Facebook, effectuée le 22 octobre

 

 

 

 

 

 

 

Capture d’écran de la publication de Zone Presse sur Instagram, effectuée le 22 octobre

 

 

 

 

 

 

 

Vidéo virale et débat controversé

Cette vidéo est devenue rapidement virale, cumulant plus de 935 000 vues, plus de 2 200 commentaires et 2 300 partages sur Facebook à la date du 22 octobre 2025. La vidéo a été également publiée sur TikTok par le compte oxymoredewoody (archivé ici) et reprise sur Instagram par zonepresse, (archivé ici) qui se présente comme un « média indépendant » mais qui diffuse sur les réseaux sociaux des contenus plusieurs fois épinglés comme étant trompeurs.

La vidéo a créé la confusion et suscité la controverse au regard des commentaires sur la publication. En effet, sur Facebook, les internautes sont partagés. « On appelle ça apprendre à voter avec les spécimens », réagi l’un d’eux. « Maintenant pour ce que vous voyez dans la vidéo, ce sont des spécimens (ou exemplaires) de bulletins qui sont donnés à tous les candidats pour montrer à leurs électeurs comment faire le choix puisqu’il y a une manière de votre pour éviter les bulletins nuls. Evitez les propagandes inutiles », renchérit un autre. Certains soulignent que les spécimens de bulletin de vote ont toujours existé pour mieux préparer les électeurs au vote et tentent d’expliquer le processus de vote, quand un autre livre son témoignage : « Peut-être que ce sont des spécimens pour apprendre à voter aux parents. Puisque j’avais déjà participé à ces genres d’exercices dans ma région pour mieux expliquer le vote à nos parents du village ».

D’autres internautes y voient par contre une volonté de tricherie. « Arrêtez de raconter des balivernes. Le RDRHDP est un parti de FRAUDEURS », s’insurge l’un d’eux. « Oui bien vrai que c’est écrit dessus spécimens mais ce spécimen est écrit à l’arrière des photos des candidats et non pas sur les visages des candidats. Donc c’est une distraction, une tricherie déguisée… », estime un autre. « C’est interdit par le procureur, alors pourquoi le faire ? », croit savoir un autre.

De quoi s’agit-il dans cette vidéo ?

En analysant la vidéo publiée sur Facebook à l’aide de l’outil InVID, nous avons effectué une recherche inversée par image. Celle-ci nous a permis de retrouver la même séquence sur deux autres plateformes : TikTok, via le compte oxymoredewoody, et Instagram, via zonepresse, grâce au moteur de recherche visuel Google Lens. Aucun autre élément contextuel ou source complémentaire n’a été identifié pour cette vidéo. Toutefois, les étalages bien visibles en arrière-plan suggèrent que la scène a été filmée dans un marché.

Contacté par la Coalition Anti Dohi, le 20 octobre 2025, Inza Kigbafory, chef du service Communication de la Commission électorale indépendante (CEI), a déclaré à propos de cette vidéo que « ce sont des spécimens qu’on donne aux candidats pour apprendre à voter à leurs militants. Rien d’illégal ». « C’est la loi qui prescrit qu’il faut mettre à disposition des candidats des affiches et des spécimens de bulletin de vote », a-t-il ajouté.

En outre, le 7 octobre 2025, chaque candidat à l’élection présidentielle a reçu 100 000 affiches et 10 000 spécimens. À cette occasion, Ibrahime Kuibiert-Coulibaly, président de la CEI, a expliqué les objectifs de cette action. « Pour ce qui est du peuple, il faut qu’il sache à qui il va donner son pouvoir. C’est pour cette raison que l’un des objectifs de cette rencontre, c’est de remettre des affiches des candidats pour que le peuple puisse savoir qui est candidat, mettre un visage sur un nom (…) Pour éviter l’erreur sur la personne, la loi autorise donc un contact visuel entre le peuple, détenteur du pouvoir, et celui à qui il va donner son pouvoir, à travers donc ces affiches. C’est tout le sens. Donc voilà le premier objectif », fait-il observer avant de continuer : « Le deuxième objectif c’est comment je dois donner mon pouvoir à celui que j’aurais choisi, c’est comment voter. Voilà pourquoi en plus des affiches, on vous remet un spécimen de bulletin pour que vous alliez vers la population, candidat que vous êtes, leur apprendre à voter ».

Capture d’écran d’un spécimen de bulletin de vote sur le site Abidjan.net, effectuée le 22 octobre

 

 

 

 

 

 

 

Ce que dit la loi électorale

Sur la base de l’ordonnance n° 2020-356 du 08 avril 2020 portant révision du code électoral, plusieurs décrets ont été pris le 30 juillet 2025 fixant notamment la date du premier tour de l’élection présidentielle au samedi 25 octobre 2025 sur le territoire ivoirien et à l’étranger, la période de campagne électorale allant du 10 au 23 octobre 2025 et les spécifications techniques des affiches et bulletins de vote. En tout cas, « il est interdit d’apposer des affiches, de signer, d’envoyer ou de distribuer des bulletins de vote, circulaires ou professions de foi dans l’intérêt d’un candidat ou liste de candidats en dehors de la période réglementaire de campagne », stipule l’article 31 du code électoral.

L’article 22 du code électoral indique : « l’Etat prend à sa charge le coût d’impression des affiches, des enveloppes et des bulletins uniques de vote, les frais d’expédition de ces documents, ainsi que tous les frais relatifs aux opérations de vote. Les spécifications techniques ainsi que le nombre des affiches, enveloppes et bulletins de vote sont fixées par décret en Conseil des ministres sur proposition de la Commission chargée des élections ».

Interrogée sur les dispositions qui fondent la distribution de spécimens aux candidats, la CEI nous a renvoyé au décret n° 2025-654 du 30 juillet 2025 définissant les spécifications techniques des matériels et documents électoraux et déterminant le nombre des affiches et des bulletins de vote. Ce décret précise en son article 2 que « pour l’élection présidentielle, les élections parlementaires et les élections locales, le nombre de bulletins de vote, par bureau de vote, est égal au nombre d’électeurs figurant sur la liste d’émargement du bureau de vote, majoré de 10 %. Le nombre d’affiches électorales est le suivant : 100 000 exemplaires par candidat pour chaque tour pour l’élection du président de la république, 300 exemplaires par candidat pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale, 300 exemplaires par candidat pour l’élection des sénateurs, 300 exemplaires par candidat pour les élections locales ».

À l’analyse, la distribution de spécimens aux candidats pour sensibiliser les électeurs n’est pas explicitement mentionnée. C’est d’ailleurs ce que souligne Athena Yapi, juriste au département juridique, genre et cohésion sociale à l’Observatoire ivoirien des droits de l’homme (OIDH). « Après lecture de cet article 2, je ne vois pas de façon expresse qu’il a été mentionné les spécimens. Donc pour moi, il y a un vide juridique (…) Du coup, il y a un problème. Il faut peut-être légiférer en la matière, prendre une circulaire ou bien essayer d’amender cet article 2 et introduire là-dedans une clause qui fait référence aux spécimens pour pouvoir essayer de lever tout équivoque concernant cette situation », fait-elle observer.

La chargée de programme à l’OIDH suggère de renforcer la sensibilisation à travers la Commission électorale indépendante, mais aussi bien les partis politiques que les organisations de la société civile pour expliquer aux populations « c’est quoi un spécimen, à quoi ça sert et quelle est la différence entre un spécimen et le bulletin de vote ».

Athena Yapi rappelle que lors des élections présidentielles de 2020, une situation similaire s’était présentée à Yamoussoukro, la capitale politique de la Côte d’Ivoire. Une publication sur Facebook montrant des personnes avec des spécimens en leur possession avait suffi à certains pour conclure qu’il s’agissait de fraude. Lors de son monitoring, l’OIDH avait à l’époque expliqué qu’il s’agissait en réalité de spécimens de bulletins de vote. C’est ce même débat qui revient aujourd’hui encore. « C’est dire que c’est quelque chose qui est récurrent, donc il faut faire attention. Il faut vraiment mettre l’accent dessus pour qu’on puisse essayer de lever tout quiproquo concernant les spécimens », recommande-t-elle.

Une pratique habituelle

Dans les faits, la distribution de spécimens est une pratique habituelle à chaque élection. Ainsi, la Commission électorale indépendante a procédé le 7 octobre 2025, à la remise des spécimens de bulletins de vote et des affiches de campagne aux représentants des cinq candidats que sont Alassane Ouattara, Simone Ehivet Gbagbo, Ahoua Don Mello, Henriette Lagou et Jean-Louis Billon.

Ce fut également le cas lors de l’élection présidentielle du 31 octobre 2020. Les représentants des candidats Alassane Ouattara et Bertin Konan Kouadio avaient réceptionné le 9 octobre 2020 ces documents, les candidats Henri Konan Bédié et Pascal Affi N’Guessan, également figurant parmi les quatre candidats retenus pour l’élection par le Conseil constitutionnel, ayant boycotté le scrutin.

Ces spécimens de bulletins de vote avaient été également distribués le 6 octobre 2015 aux 10 candidats ou à leurs représentants lors de l’élection présidentielle du 25 octobre 2015 et aussi le 7 octobre 2010 aux 14 candidats retenus pour l’élection présidentielle de 2010.

En résumé, la distribution de spécimens de bulletins de vote aux candidats est une pratique habituelle lors des élections présidentielles en Côte d’Ivoire. La vidéo virale qui laisse croire à une fraude électorale en faveur du pouvoir est donc trompeuse. Il s’agit en réalité de spécimens de bulletins de vote utilisés par les candidats pour sensibiliser et former leurs électeurs au bon déroulement du vote.

Cet article a été réalisé par le média ivoirien Eburnie Today, membre de la Coalition Anti Dohi – une initiative qui œuvre pour l’intégrité de l’information dans le cadre de la présidentielle ivoirienne d’octobre 2025. La Coalition Anti Dohi est soutenue par le projet Renforcer la fiabilité de l’information en Afrique de l’Ouest de la GIZ, dans le strict respect de l’indépendance journalistique et éditoriale qui régit la Coalition.

 

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