Abidjan, 23 déc 2025 (AIP) – Deux mois après l’élection présidentielle ayant acté la réélection d’Alassane Ouattara, le collège électoral ivoirien est de nouveau convoqué le 27 décembre 2025 pour choisir les députés qui vont siéger à l’Assemblée nationale, l’une des plus anciennes institutions politiques du pays.
Par Anderson Diédri et Bakary Traoré (Eburnie Today)
L’assemblée nationale de Côte d’Ivoire représente le peuple, légifère, contrôle l’action du gouvernement et vote le budget. Son évolution est liée à l’histoire de la Côte d’Ivoire depuis son indépendance. La Côte d’Ivoire devient colonie française en 1893 et est administrée dans le cadre de l’AOF (Afrique occidentale française) à partir de 1904. Avant la Seconde Guerre mondiale, les Ivoiriens n’avaient pas de représentants directs en France. Un unique député, le Sénégalais Blaise Diagne, représentait l’ensemble des colonies de l’AOF.
Après la Conférence de Brazzaville (1944), une ordonnance du 22 août 1945 crée deux collèges électoraux dans les colonies, amorçant une représentation locale. Ces évolutions ouvrent la voie à la création des premières institutions pré-parlementaires que sont le Conseil général, l’Assemblée territoriale et l’Assemblée législative (1959). L’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire est instituée par la Constitution ivoirienne du 31 octobre 1960. La première Assemblée est composée le 27 novembre 1960, avec 70 députés, tous Ivoiriens. Elle devient alors l’unique chambre du Parlement sous la Première République.
Une Assemblée nationale monocolore entre 1960 et 1990
Entre 1960 et 1990, la vie politique ivoirienne était animée et dominée par la pensée unique, celle du président Houphouët Boigny et le parti unique, le PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire), membre du RDA (Rassemblement démocratique africain). Durant cette période dominée par le PDCI-RDA, cinq législatures se succèdent.
Le président Philippe Yacé dirige l’Assemblée nationale de 1960 à 1980. Lui succède Henri Konan Bédié de 1980 à 1993, avant qu’il ne devienne président de la République. Les ères Philippe Yacé et Henri Konan Bédié sont marquées par une forte centralisation du pouvoir exercée par le PDCI et l’absence de pluralisme politique réel.
Mais les choses vont réellement changer avec le vent de la démocratie qui souffle sur le monde. Il n’y a pas que le Mur de Berlin qui tombe : les systèmes politiques monopartistes s’effritent et disparaissent avec l’ouverture démocratique et les bouleversements démocratique des années 1990.
La Côte d’Ivoire organise pour la première fois, en 1990 des élections législatives dans un système de multipartisme avec la participation de dix-neuf partis et groupements politiques dont dix-huit de l’opposition. Des partis comme le Front Populaire Ivoirien (FPI), le Parti Ivoirien des Travailleurs (PIT), l’Union des Sociaux-Démocrates (USD), le Parti Républicain de Côte d’Ivoire (PRCI) et le Parti Socialiste Ivoirien (PSI) présentent des candidats.
Sur les 175 députés élus après les élections législatives de 1990, il y a deux candidats indépendants et 10 députés dont 9 du FPI et 1 du PIT. Une timide présence de l’opposition dans une Assemblée nationale encore dominée par le PDCI. L’institution va évoluer au rythme des tensions et querelles politiques en Côte d’Ivoire.
La présidence Bédié et le coup d’État militaire
À la mort du président Félix Houphouët-Boigny, le 7 décembre 1993, deux hommes se retrouvent en compétition directe pour lui succéder. Henri Konan Bédié, président de l’Assemblée nationale et dauphin constitutionnel et Alassane Ouattara, alors Premier ministre. Une dualité de légitimité explosive s’installe et va créer une longue rivalité politique entre les deux hommes. Henri Konan Bédié finit par s’imposer grâce au texte constitutionnel.
« La constitution, notre loi suprême, me confère dans cette dramatique situation, des responsabilités dont je mesure le poids, des responsabilités de chef de l’État. Je les assume dès maintenant. Je les assumerai dans le droit fil de celui qui en fut l’inspirateur et le pays sera gouverné. Le pays sera gouverné pour tous, Ivoiriens et étrangers vivant sur notre sol. À cette fin, je demande à tous de se mettre à ma disposition », indiquait sur les antennes de la télévision nationale Henri Konan Bédié le 7 décembre 1993.
Devenu président, Henri Konan Bédié cède son fauteuil de président de l’Assemblée nationale à Charles Bauza Donwahi qui va diriger la 8ème législature de 1993 à 1995. L’Assemblée nationale n’est plus monocolore : quelques partis d’opposition y sont représentés. En 1997, Charles Bauza Donwahi décède et est remplacé à la tête de l’institution par Émile Atta Brou dont le mandat est écourté par le coup d’Etat militaire du Général Robert Guéï en 1999. La neuvième législature de la première République censée s’achever en 2000 va s’écourter brusquement.

La deuxième République et la marche vers le Parlement
Le coup d’État de 1999 marque une rupture majeure dans les activités de l’Assemblée nationale puisque, pour la première fois depuis 1960, sa dissolution est prononcée par les nouveaux maîtres d’Abidjan. Les putschistes annoncent également la suspension de la Constitution de 1960, du Conseil économique et social et du Conseil constitutionnel. Le pays est désormais dirigé par le Comité national de salut public (CNSP) avec à sa tête le général Robert Guéï. Les militaires dirigés par le général Guéï se présentent en réformateurs. L’une de leurs priorités est de doter la Côte d’Ivoire d’une nouvelle Constitution.
Le texte proposé par les militaires par référendum, le 23 juillet 2000, est adopté par le peuple. La Constitution est officiellement promulguée le 1er août 2000 par la loi n°2000-513. Cependant, il faudra attendre la fin de la crise post-électorale de 2000 pour que la Côte d’Ivoire puisse retrouver une Assemblée nationale.
L’élection présidentielle du 22 octobre 2000 est organisée après le coup d’État du 24 décembre 1999 et la transition militaire dirigée par le général Robert Guéï. Elle devait marquer le retour à un régime civil mais les militaires tentent de se maintenir au pouvoir. Face aux militaires, Laurent Gbagbo et le FPI est le seul parti politique majeur en compétition. La Commission électorale va déclarer Gbagbo vainqueur (59,36 % soit 1 065 597 voix).
Robert Guéï refuse de reconnaître sa défaite et fait dissoudre la Commission nationale électorale. Ensuite, il se proclame vainqueur via le ministère de l’Intérieur. Les partisans de Laurent Gbagbo descendent dans la rue et demandent le départ des militaires. Robert Guéï tente de se maintenir au pouvoir mais finalement sous la pression populaire le 25 octobre 2000, il fuit le pays. Le bilan humain de la crise est lourd : entre 150 et 300 morts (1, 2, 3).
Le retour à l’ordre constitutionnel et l’arrivée au palais présidentiel de Laurent Gbagbo vont permettre l’organisation de l’élection législative de décembre 2000.
La première législature de la deuxième République va officiellement siéger de 2001 à 2011. Mamadou Koulibaly préside l’Assemblée nationale durant une décennie traversée par une crise politico-militaire qui éclate en 2002 et une crise postélectorale fin 2010-début 2011. Le mandat des députés élus en 2000 est prolongé par décrets successifs et l’Assemblée nationale ne se renouvelle pas pendant plus de 10 ans, fonctionnant avec une légitimité affaiblie durant toute la crise. Après l’installation d’Alassane Ouattara en 2011, les législatives de décembre 2011 mettent fin à onze ans de blocage institutionnel et renouvellent enfin l’Assemblée.
Mamadou Koulibaly va céder son fauteuil à Guillaume Soro en 2012. L’ancien chef rebelle va diriger l’institution jusqu’en 2016, année d’une nouvelle réforme constitutionnelle en Côte d’Ivoire. Durant toute cette période, l’Assemblée nationale ivoirienne va fonctionner correctement en jouant un rôle politique important par l’adoption des lois, la promotion de la diplomatie parlementaire et les débats en commission sur des décisions importantes comme la réforme de la coopération militaire avec la France.
L’adoption d’une nouvelle Constitution en 2016 va consacrer le troisième République et crée un Parlement bicaméral composé du Sénat qui est la chambre haute et de l’Assemblée nationale, désormais chambre basse. En 2025, l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire compte 255 députés élus en 2021 pour 5 ans au scrutin majoritaire à un tour. Adama Bictogo, un homme d’affaires et membre influent du RHDP (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix) est l’actuel président de l’Assemblée nationale.
Cet article a été réalisé par Eburnie Today, membre de la Coalition Anti Dohi – une initiative qui œuvre pour l’intégrité de l’information dans le cadre de la présidentielle ivoirienne d’octobre 2025. La Coalition Anti Dohi est soutenue par le projet Renforcer la fiabilité de l’information en Afrique de l’Ouest dans le strict respect de l’indépendance journalistique et éditoriale qui régit la Coalition.