mercredi, octobre 8

Abidjan, 08 oct 2025 (AIP)- A quelques semaines du scrutin présidentiel du samedi 25 octobre 2025, la voix des personnes en situation de handicap peine encore à se faire entendre dans le processus électoral. Entre obstacles physiques, manque de documents administratifs et préjugés sociaux, leur participation citoyenne reste un défi malgré les efforts fournis par le gouvernement ivoirien.

Un vétérinaire en fauteuil roulant témoigne

À Duékoué, dans l’Ouest ivoirien, le délégué départemental régional de l’association des paralysés de Côte d’Ivoire, M. Poho Camille, vétérinaire, a vu sa vie basculer en 2018, après un accident de moto. Depuis, il se déplace en fauteuil roulant. En visite à Abidjan pour une formation, il raconte. « Dans mon bureau de vote, il y a un escalier. La dernière fois, les agents ont dû descendre avec les documents jusqu’à moi pour que je puisse signer et voter. Rien n’est préparé pour nous », déplore-t-il.

le délégué départemental régional de l’association des paralysés de Côte d’Ivoire, M. Poho Camille, vétérinaire

Il décrit aussi la réalité quotidienne de nombreux citoyens handicapés. « Beaucoup n’ont pas de pièces d’identité, parce qu’ils sortent rarement et que les démarches sont trop coûteuses. Sans documents, ils sont exclus du vote », regrette M. Poho.

Une inclusion encore fragile

Le président du Conseil d’administration de la Confédération des organisations des personnes handicapées de Côte d’Ivoire (COPH-CI), Sansan Dah, rappelle que son organisation est partenaire de la Commission électorale indépendante (CEI).

« Nous avons bénéficié d’un projet financé par l’Union européenne et CBM pour promouvoir des élections inclusives. Nous sommes même impliqués comme observateurs. Mais l’accessibilité reste un grand défi. Les lois sont en discussion et nous espérons que leur adoption rendra les scrutins futurs réellement inclusifs », souligne-t-il avec optimisme.

Pour lui, l’enjeu est clair. « Un non-voyant doit pouvoir voter seul, en toute confidentialité. Une personne de petite taille doit avoir accès à l’isoloir en lui proposant un marchepied, ou la possibilité d’abaisser l’urne, si l’aménagement de l’isoloir est insuffisant.  Et un électeur en fauteuil ne devrait pas être bloqué par des escaliers », expose le président de la COPH-CI.

Les femmes doublement marginalisées

 

La présidente de la fédération ivoirienne des femmes et jeunes filles handicapées, Mme Wartmann Germaine

Le constat est encore plus rude pour les femmes. La présidente de la fédération ivoirienne des femmes et jeunes filles handicapées, Koffi N’Tawo Germaine épouse Wartmann témoigne de toute la frustration des femmes au moment d’exprimer ce droit constitutionnel. « Quand une femme handicapée va voter, on lui lance : “Elle cherche quoi ici ?” Comme si nous n’étions pas des citoyennes. Pourtant, nous avons une carte d’électeur et nous avons le droit de choisir nos dirigeants », déplore-t-elle.

Avec l’appui de l’organisation britannique à but non lucratif et une organisation de développement internationale qui lutte contre la cécité évitable et les maladies débilitantes (SightSavers), son mouvement a mené des ateliers pour préparer la participation des femmes handicapées. « Nous voulons que nos sœurs non-voyantes et celles en fauteuil puissent voter dans la dignité. Qu’elles soient respectées, pas vilipendées », a martelé Mme Koffi.

Des avancées mais beaucoup reste à faire

La COPH-CI rappelle cependant que des pas ont été franchis ces dernières années. Le Président Alassane Ouattara a ratifié plusieurs conventions internationales protégeant les droits des personnes handicapées, et signé des décrets ouvrant des recrutements dérogatoires dans la fonction publique et le secteur privé.

En matière de protection juridique, il est à noter la prise de décrets relatifs aux Commissions techniques d’orientation et de reclassement professionnel (COTOREP), secteur public et secteur privé en 2021 ainsi qu’au Fonds d’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap, en février 2023.

Il a renouvelé l’engagement de la Côte d’Ivoire au respect des droits des personnes en situation de handicap pour une société plus solidaire, accessible et inclusive. « Nous saluons ces acquis, mais il faut aller plus loin, surtout en période électorale », conclut Sansan Dah.

Un appel à l’inclusion citoyenne

À l’approche du scrutin, tous les acteurs partagent le même message. Rendre le vote accessible. « Nous sommes des citoyens ivoiriens à part entière. Nous voulons voter comme tout le monde, pour participer à la construction de notre pays »,  insiste Mme Koffi Germaine.

D’autres acteurs poursuivent le combat. Thidéo Laurent, président de l’ONG Espoir Handicap, insiste sur trois priorités : « Premièrement, l’accessibilité aux bureaux de vote. Deuxièmement, éviter que les personnes handicapées fassent de longues files d’attente. Enfin, mettre à disposition des bulletins en braille pour les non-voyants ».

Pour le chef de programme au sein de la Fédération nationale des sourds de Côte d’Ivoire (FENASOCI), anciennement ANASOCI, Ouattara Yegueleworo, des échanges préliminaires ont déjà eu lieu pour sensibiliser les autorités sur la nécessité d’intégrer des mesures spécifiques favorisant l’accès à l’information électorale pour les citoyens sourds.

Il plaide, par conséquent, pour les prochaines échéances électorales, qu’on intègre des interprètes en langue des signes lors des campagnes et émissions politiques, que des capsules vidéo accessibles diffusées en langue des signes ivoirienne et que des agents électoraux sensibilisés à la communication avec les personnes sourdes.

Une assistance encadrée pour garantir l’autonomie

En Côte d’Ivoire, le dispositif prévoit que tout électeur présentant un handicap physique peut être assisté dans l’isoloir par une personne de confiance de son choix. Cette mesure, soigneusement encadrée, vise à préserver à la fois l’autonomie et la dignité des personnes concernées, en leur assurant la liberté de voter de manière confidentielle.

L’utilisation de l’empreinte digitale, exigée pour certifier le vote, est également repensée. Si l’index gauche est inutilisable, un autre doigt peut être pris en compte. Dans les cas où aucun doigt ne peut être utilisé, un tiers peut apposer l’empreinte sous la supervision stricte des agents électoraux. Ces adaptations techniques permettent de lever les obstacles qui pourraient exclure certains électeurs du scrutin.

Une démocratie qui s’affirme dans l’inclusion

Au-delà des aspects techniques, ces ajustements traduisent une réelle volonté politique de faire de l’égalité d’accès au vote une priorité. Le handicap ne doit plus représenter un frein à la participation démocratique, c’est un symbole fort de l’engagement de la Côte d’Ivoire à construire une démocratie plus juste, où chaque citoyen compte.

En adaptant concrètement son processus électoral, la Côte d’Ivoire fait un pas significatif vers une démocratie plus inclusive, où chaque voix peut être entendue.

En matière de protection juridique, il est à noter la prise de décrets relatifs aux commissions techniques d’orientation et de reclassement professionnel (COTOREP), secteur public et secteur privé en 2021 ainsi qu’au Fonds d’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap, en février 2023.

Ces actions montrent l’engagement de la Côte d’Ivoire au respect des droits des personnes en situation de handicap pour une société plus solidaire, accessible et inclusive.

Réportage réalisé par Philomène Koua

(AIP)

apk/zaar

 

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