AIP/ Le travail domestique en Côte d’Ivoire: nécessité, précarité et quête de reconnaissance (Dossier)
Par ADRIENNE EHOUMAN / 6 octobre 2025 à 11:10 / il y a 6 jours / Temps de lecture : 27 minAbidjan, 06 oct 2025 (AIP) – Chaque début d’année scolaire, le problème ressurgit avec acuité: les foyers cherchent désespérément des aide-ménagères, mais il devient de plus en plus difficile d’en trouver. Cette quête témoigne d’une tension silencieuse dans les ménages urbains ivoiriens, où le rôle des aide-ménagères, essentiel au fonctionnement quotidien, demeure fragile et instable.
Ces départs, souvent massifs lors de la «Paquinou» ou d’autres célébrations, désorganisent les ménages et soulignent la précarité de travailleuses peu protégées, généralement sans droits sociaux. Face à cette tension silencieuse, les actions de protection sociale des travailleurs domestiques menées par la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) dont le régime social des travailleurs indépendants (RSTI), récemment lancé par l’État, apparaissent comme des pistes pour renforcer leur protection et amorcer une véritable reconnaissance sociale.
Abidjan : La quête difficile d’aide-ménagères en ce début d’année scolaire
Entre la reprise des classes, les horaires contraignants et la pression professionnelle, de nombreuses familles recherchent désespérément une personne de confiance pour s’occuper des enfants et des tâches domestiques. Mais l’offre se fait rare.
« Cela fait trois semaines que je cherche une aide, mais je n’en trouve pas », confie Koné Assita, mère de trois enfants à Cocody. « Celles qui acceptent demandent des salaires élevés, parfois au-delà de 70 000 FCFA, ce qui est difficile pour beaucoup de foyers », poursuit-elle.
Plusieurs agences de placement confirment cette tendance. « Les demandes ont doublé, mais nous n’arrivons pas à satisfaire toutes les familles », explique un responsable d’agence à Yopougon. Selon lui, les jeunes femmes, souvent originaires de l’intérieur du pays, préfèrent aujourd’hui s’orienter vers le petit commerce ou la restauration, jugés plus valorisants et mieux rémunérés.
Les départs impromptus, notamment lors des grandes fêtes, compliquent davantage la situation. « Beaucoup quittent sans prévenir pour rejoindre leur famille », déplore monsieur Aka, employeur à Marcory.
Ce phénomène révèle la précarité d’un métier encore largement informel, exercé souvent sans contrat ni protection sociale, en dépit des actions de communication et de terrain menées par la CNPS, notamment à travers le RSTI Tour, effectif depuis deux années sur toute l’étendue du territoire ivoirien. En attendant une meilleure adoption de ces options, les familles continuent de jongler entre travail et éducation des enfants, souvent au prix d’un stress supplémentaire.
Une fête, des départs et des foyers désorganisés

Ahouakro, dans la région de l’Agnéby-Tiassa, a célébré la «Paquinou» à travers le Molièh Eco Festival. Parmi les festivaliers, Lynne, 21 ans, ancienne aide-ménagère à Akouédo (Abidjan), raconte : « J’ai profité de la fête pour quitter mon travail. J’étais sous-payée, maltraitée, et accusée de vol sans preuve. J’ai préféré partir sans prévenir. »
Comme elle, de nombreuses aide-ménagères disparaissent chaque période de réjouissance, laissant les foyers désorganisés. Ozoua Bénédicte, entrepreneure à Bingerville, en témoigne : « Un mois avant Paquinou, trois aide-ménagères se sont succédé chez moi. Toutes ont fini par partir sans un mot, malgré leurs promesses. » Pour s’occuper de sa mère malade, elle doit s’appuyer sur sa sœur jumelle, au prix de sacrifices personnels et professionnels.
Ces départs impromptus entraînent surcharge domestique, fatigue et baisse de performance, touchant particulièrement les femmes actives. Des tensions peuvent même surgir au sein des couples, avec des répercussions sur les enfants.
« C’est comme si je n’existais plus. Je prépare (cuisine, ndlr) pour eux depuis plus d’une année. Après un an de service, je dois aussi voir ma mère à Paquinou », confie Marie-Josée, 24 ans, qui a quitté Yopougon pour Adzopé, sans retour prévu.
Pour la psychologue familiale, Anne-Marie Tago « On leur accorde rarement des congés. Alors elles se les prennent elles-mêmes ».
Cependant, ces situations restent minoritaires. Selon le Réseau ivoirien pour la défense des droits de l’enfant et de la femme (RIDEF), la plupart des aide-ménagères vivent dans une extrême précarité. « Elles évoluent dans des environnements non sécurisés, exposées à des abus, parfois même à des meurtres », déplore sa présidente, Chantal Ayemou.
Le rapport du RIDEF de 2014, actualisé en 2022, souligne que les conditions n’ont guère changé, plus de 40 heures de travail par semaine, sans repos ni congés, pour un salaire moyen de 23 000 FCFA. « Plus de 95 % d’entre elles dépassent les 8 heures légales par jour », insiste Mme Ayemou.
Le Réseau salue néanmoins la mise en place du RSTI, une première étape vers une meilleure protection sociale.
La protection sociale, une promesse de reconnaissance et de sécurité
Dans les foyers ivoiriens, des milliers de femmes, aide-ménagères pour la plupart, portent le quotidien de leurs employeurs. Un travail essentiel mais souvent exercé sans contrat, sans protection sociale et pour des salaires dérisoires.
« Je suis enrôlée au régime social des travailleurs indépendants, depuis trois ans, grâce à mon grand frère. Je suis chanceuse », confie Émilie, 28 ans, aide de cuisine à Cocody. Comme elle, rares sont celles qui bénéficient d’une couverture dans un secteur encore largement informel.
Pour Chantal Ayemou du RIDEF, la situation reste préoccupante. « Les travailleuses domestiques évoluent dans des environnements non sécurisés, exposées à des abus, parfois à des meurtres », dit-elle. Le RIDEF milite pour la ratification de la Convention 189 de l’OIT sur le travail décent.
« Beaucoup d’employeurs hésitent encore à souscrire à l’assurance par crainte de représailles de la part de leurs domestiques, souvent qualifiées d’instables, de malhonnêtes et d’inconstantes », souligne la secrétaire générale du Syndicat des travailleurs domestiques et des travailleurs de l’économie informelle de Côte d’Ivoire (STDEI-CI), Akaffou Chepo Emma Sandrine, ex-travailleuse domestique devenue syndicaliste.
Pourtant, pour certaines personnes comme Susy, 26 ans, la protection sociale est une réalité. « Mon employeuse m’a aidée à m’inscrire. Je suis déclarée à la CNPS depuis six mois. Maintenant, je me sens plus importante, plus en sécurité et confiante dans le travail », souligne-t-elle.
En intégrant ces travailleuses de l’ombre, la Côte d’Ivoire avance vers plus d’équité et de dignité sociale.

Des résistances, des méfiances et une sensibilisation encore timide
Malgré la mise en place du RSTI, les travailleuses domestiques restent en marge de la couverture sociale en Côte d’Ivoire. Méfiance, manque d’information et relations de travail précaires freinent l’intégration de ces femmes parmi les plus vulnérables.
« Et si elle part avec les papiers ? » s’inquiète Dame P. Valentine, employeuse à Cocody. « Pour le moment, je ne suis pas encore prête à inscrire mon employée à un régime de protection sociale. Et ce, pour deux raisons. D’abord, les domestiques sont des “travailleuses libérales“, libres de souscrire elles-mêmes. Ensuite, je n’ai pas encore eu de véritable relation de confiance avec une aide-ménagère. Je n’ai pas eu de coup de cœur qui me donnerait envie de la déclarer », poursuit-elle.
Comme P. Valentine, beaucoup estiment que les aide-ménagères devraient souscrire elles-mêmes à leur protection sociale. Pourtant, le code du travail les considère comme salariées, donc à la charge des employeurs. Mais l’absence de contrôle dans les domiciles privés entretient cette zone grise.
Certaines tentatives échouent. « J’étais prêt à déclarer mon aide-ménagère, lui payer la CMU, même financer des cours. Mais elle m’a déçue », raconte M. A. Hubert. Du côté des travailleuses, la peur domine : « On dit que le RSTI est payant. Je préfère garder mes sous », confie Adèle, 27 ans.
Pour Chantal Ayemou, présidente du RIDEF, le problème vient du vide juridique. Sur environ deux millions de domestiques, seules 3 000 sont inscrites à la CNPS. « Nous avons salué la mise en place du RSTI. Mais dans les faits, il ne prend pas en compte les travailleuses domestiques. La CNPS les considère comme des salariés, donc c’est à l’employeur de les déclarer. Résultat : elles restent sans protection sociale », explique-t-elle. Elle pointe aussi la responsabilité des agences de placement, qui se limitent à mettre en relation sans sensibiliser sur la déclaration sociale.
Les syndicats partagent cette vision. « Le RSTI est une opportunité. Mais il faut des contrats, des congés, une couverture sociale », insiste Akaffou Chepo, secrétaire générale du STDEI-CI. Elle appelle à un dialogue tripartite employeurs-travailleuses-État pour formaliser le secteur.
« Le RSTI est perçu comme une opportunité. Il offre une protection contre les accidents du travail, la maternité et permet de préparer la retraite. Notre mission est de sensibiliser les travailleurs domestiques et la population à son importance », explique Mme Akaffou.
Elle précise toutefois que ce régime ne concerne que les travailleurs domestiques dits « indépendants », c’est-à-dire ceux qui travaillent dans plusieurs foyers sans résider dans aucun. Ces aide-ménagères itinérantes, c’est-à-dire des travailleuses domestiques qui ne sont pas rattachées de façon permanente à un seul foyer. Elles se déplacent d’un ménage à un autre, parfois dans la même journée ou la même semaine, pour effectuer des tâches ménagères (nettoyage, lessive, cuisine, garde d’enfants, etc.). Contrairement aux aide-ménagères résidentes (qui vivent chez leurs employeurs), elles travaillent de façon ponctuelle ou à temps partiel, souvent rémunérées à la journée, à l’heure ou à la tâche. Ce sont des travailleuses domestiques mobiles et non permanentes, qui offrent leurs services à plusieurs familles ou employeurs selon leurs besoins.
Pour les aide-ménagères vivant au domicile de leur employeur, la loi fait obligation à ce dernier de procéder à leur déclaration auprès de la CNPS. En effet, les employeurs doivent déclarer de facto leurs aides-ménagères à la CNPS et les inscrire au Régime général des travailleurs salariés (RGTS) géré par la CNPS.
En attendant une réforme, des millions de femmes continuent d’évoluer dans une précarité silencieuse, sans assurance maladie, retraite ni espoir d’un statut digne.

Les aide-ménagères sont des travailleuses salariées et doivent être déclarées, selon la CNPS
Les aide-ménagères font partie intégrante de la catégorie des travailleurs salariés et doivent, à ce titre, être déclarées à la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS), a rappelé le directeur du recouvrement de l’institution, N’guetta Andju Roland.
« Le travail salarié suppose trois conditions cumulatives : une prestation de service, une rémunération et surtout un lien de subordination juridique. Dès que ces trois éléments sont réunis, on parle de travailleur salarié », a-t-il expliqué. À l’inverse, « le travailleur indépendant exerce à son propre compte, comme une commerçante qui vend ses produits au marché », a-t-il précisé.
Selon lui, la majorité des aide-ménagères remplissent ces critères. « Elles exécutent des tâches sous l’autorité d’un employeur et reçoivent un salaire. Juridiquement, elles sont donc des salariées et doivent être déclarées à la CNPS, comme tout autre travailleur. »
M. N’guetta a, toutefois, reconnu que certaines femmes travaillent ponctuellement dans plusieurs foyers, ce qui les rapproche du statut de travailleuses indépendantes.
Pour les aide-ménagères itinérantes, c’est-à-dire des travailleuses domestiques qui ne sont pas rattachées de façon permanente à un seul foyer, elles doivent souscrire au RSTI pour leur protection sociale.
Mais M. N’guetta insiste sur le fait que « la grande majorité des aide-ménagères travaillent de façon régulière dans un foyer. Elles relèvent donc du régime “salarié” ».
La déclaration revient à l’employeur, en tenant compte du salaire en numéraire et des avantages en nature comme le logement ou la nourriture. « L’objectif est clair : garantir à toutes ces travailleuses une véritable protection sociale, au même titre que les autres salariés du pays », a soutenu le responsable de la CNPS.
Déclarer une aide-ménagère n’est pas une charge, mais une protection à la fois pour l’employeur et pour la travailleuse
Déclarer une aide-ménagère à la CNPS n’est pas une simple formalité, mais une garantie de protection sociale durable, a affirmé le directeur du recouvrement de l’institution.
« Les avantages sont nombreux », a-t-il affirmé. Pour les femmes, le premier bénéfice est le congé de maternité. « Lorsqu’une aide-ménagère part en congé de maternité, la CNPS prend en charge le paiement de son salaire pendant la durée légale de couches, ainsi que les frais liés à l’accouchement », souligne N’guetta Andju Roland.
En cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, la CNPS couvre les soins, verse des indemnités journalières et, si la capacité de travail est réduite, accorde une rente viagère.
La retraite est également assurée. « Après 15 ans de cotisations en tant que salariée (ou 10 ans si elle devient travailleuse indépendante), elle a droit à une pension à vie. Même si elle change d’activité, toutes ses années de cotisation se cumulent. Sinon, ses cotisations sont reversées sous forme de capital unique à 60 ans. A l’inverse, si elle n’est pas déclarée à la CNPS, elle ne bénéficiera pas de prestations sociales », a insisté M. N’guetta.
Les aide-ménagères déclarées peuvent aussi percevoir des allocations familiales pour leurs enfants. « L’essentiel, c’est de comprendre que chaque période de travail compte. Si elle n’est pas déclarée, ces années sont perdues. La sécurité sociale protège contre le risque de perte de revenus, la précarité et la pauvreté. Elle permet à la travailleuse de ne pas dépendre uniquement de ses enfants lorsqu’elle vieillit ou tombe malade », a-t-il souligné.
Enfin, déclarer une aide-ménagère garantit sécurité juridique et sociale. « Une fois la travailleuse déclarée, en cas de risque, la responsabilité est transférée à la CNPS. C’est exactement le même principe qu’une assurance automobile », a poursuivi le directeur.
Pour lui, déclarer une aide-ménagère « n’est pas une charge, mais une protection, à la fois pour l’employeur et pour la travailleuse ».

Sécurité sociale pour tous : une protection ses aide-ménagères, sans distinction de nationalité
La CNPS rappelle aux employeurs l’obligation légale de déclarer toutes les aide-ménagères, y compris celles venant de l’étranger. « Notre mission, c’est de capter tous ceux qui doivent être déclarés à la CNPS, quels que soient la race, le sexe et la nationalité. Nous ne regardons pas la provenance de la personne. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir si elle remplit les conditions pour être déclarée », a rassuré M. N’guetta.
Selon lui, la clé pour l’inclusion de ces travailleuses dans le système de sécurité sociale est l’identification officielle. « Aujourd’hui, la condition, c’est d’être identifiable. L’État de Côte d’Ivoire a institué l’obligation d’enrôlement à la Couverture Maladie Universelle (CMU). Une fois que la personne est enrôlée et dispose d’une pièce d’identité, elle peut être déclarée. Qu’elle soit ivoirienne, réfugiée ou étrangère vivant sur le territoire, la loi lui fait obligation d’être affiliée à la CNPS à condition qu’elle exerce une activité. »
Pour garantir le respect de cette obligation, la CNPS mise sur la sensibilisation et la communication. « Nous travaillons avec des associations de travailleuses domestiques, comme la CITEF. Avec l’appui du Bureau international du travail (BIT), nous menons des missions et partageons les bonnes pratiques pour l’inclusion des travailleurs dans les dispositifs de sécurité sociale », a expliqué M. N’Guetta.
Face aux réticences de certains employeurs, il a souligné que « la loi ne fait pas de distinction entre emploi permanent et emploi temporaire : dès qu’il y a un lien de subordination, il y a salariat, donc obligation de déclaration. Grâce à notre plateforme e.cnps.ci, un employeur peut déclarer ou radier une travailleuse en ligne, sans se déplacer. Cela règle le problème des départs précipités. »
Cette démarche vise à garantir à toutes les aide-ménagères un accès effectif à la protection sociale, indépendamment de la durée de leur emploi ou de leur origine.
L’innovation et les bonnes pratiques internationales pour renforcer la protection sociale des aide-ménagères
La CNPS multiplie les initiatives pour garantir une protection sociale complète aux aide-ménagères et aux travailleurs domestiques en Côte d’Ivoire dans l’ensemble, alliant bonnes pratiques internationales et solutions numériques.
« Nous travaillons en partenariat avec le Bureau international du travail (BIT). Nous allons chercher les bonnes pratiques dans des pays avancés comme la France, la Belgique ou le Rwanda », a expliqué N’guetta Andju Roland, directeur du recouvrement à la CNPS. Cette veille internationale permet à l’institution de préparer de nouveaux dispositifs tels qu’« une retraite complémentaire par capitalisation, une assurance chômage ou une assurance logement. La Côte d’Ivoire se distingue déjà par son régime des travailleurs indépendants, reconnu par le BIT comme un modèle à suivre ».
Le directeur du recouvrement identifie toutefois de grands défis. « Beaucoup de travailleuses domestiques passent plus de huit heures par jour dans les ménages, parfois sans repos. Il faut leur offrir une véritable protection sociale et leur permettre de cotiser pour bénéficier d’une pension », déclare-t-il.
Il souligne également la difficulté liée à l’absence de pièces d’identité. « Sans document officiel, il est impossible de les immatriculer. Les associations et syndicats doivent aider leurs membres à obtenir une identité légale ».
Pour faciliter l’accès à la sécurité sociale, la CNPS a développé des outils numériques comme la plateforme e.cnps.ci et l’application RSTI, disponibles sur les téléphones androïd. Ces dispositifs permettent aux employeurs de déclarer leurs aide-ménagères en ligne, simplifiant les démarches administratives et renforçant la conformité légale.
À ce jour, la CNPS recense 3 566 travailleurs domestiques déclarés par 1 893 employeurs. « C’est encore peu par rapport au nombre réel d’aide-ménagères, mais c’est un signal encourageant. Nous sommes en phase de sensibilisation et nous pensons que ces chiffres vont progresser », a souligné M. N’Guetta.
Sensibilisation et digitalisation pour une meilleure protection sociale des aide-ménagères en Côte d’Ivoire
Des actions sont mises en route pour assurer une protection sociale durable aux aide-ménagères et aux travailleurs domestiques en Côte d’Ivoire, alliant mesures légales, outils numériques et sensibilisation.
« Mon appel va d’abord aux médias. Nous avons besoin de vous comme ambassadeurs de la sécurité sociale. C’est à travers vos articles et vos reportages que la population comprendra l’importance de déclarer les aide-ménagères et, plus largement, toutes les personnes qui ont droit à une protection sociale », a déclaré N’guetta Andju Roland, directeur du recouvrement à la CNPS.
Le directeur a rappelé l’engagement de l’État : « Nous voulons que, partout en Côte d’Ivoire, chaque citoyen ait une protection sociale. Ce n’est pas une affaire de parti politique, mais un engagement fort de l’État. » Il souligne également les facilités offertes aux employeurs et aux travailleurs : « Nous avons assoupli les formalités administratives pour permettre aux employeurs comme aux travailleurs de s’affilier facilement, sans se déplacer, grâce aux outils numériques. »
Cette démarche complète les initiatives déjà mises en œuvre par la CNPS, telles que l’enrôlement obligatoire à la Couverture maladie universelle (CMU), la déclaration en ligne via la plateforme e.cnps.ci et l’application RSTI, ainsi que les campagnes de sensibilisation sur tout le territoire.
Pour N’guetta Andju Roland, l’objectif est clair à savoir, garantir que chaque aide-ménagère bénéficie d’une couverture sociale adaptée, y compris les pensions de retraite, les indemnités en cas d’accident ou de maternité, et l’accès aux allocations familiales, contribuant ainsi à renforcer la sécurité et l’autonomie financière des travailleuses domestiques.
Encadré 1
Les départs des aides-ménagères en période de fêtes, une analyse psychologique et des pistes d’action pour les employeurs
Pour Anne-Marie Tago, psychologue spécialiste des dynamiques familiales, ces départs ne sont ni anecdotiques ni simplement capricieux. Ils sont profondément ancrés dans les réalités sociales, culturelles et émotionnelles de ces jeunes femmes.
« Paquinou est une période très spéciale, surtout en pays baoulé. C’est un moment de retrouvailles communautaires, de joie collective, presque un rituel identitaire. Tous les ressortissants, même éloignés, reviennent au village. C’est donc bien plus qu’une fête religieuse. C’est un événement culturel puissant. Dans ce contexte, il devient très difficile pour une jeune femme d’y résister, surtout si elle est loin de sa famille ou de ses racines », analyse la psychologue.
Selon elle, plusieurs facteurs expliquent ces départs, souvent soudains. Le cadre de retrouvailles familiales et communautaires, notamment l’appel du village qui est fort. Un environnement de travail insatisfaisant qui peut les inciter à partir sans remords. Quand elles sont désillusionnées ou démotivées, la fête devient une opportunité. Ou encore, elles peuvent chercher à cotiser de l’argent pour financer leur participation aux festivités ou leurs sorties.
À cela s’ajoutent des raisons plus discrètes. Certaines femmes de ménage travaillent juste pour gagner de l’argent afin de se montrer socialement durant les fêtes et parfois à retrouver discrètement leur compagnon.
Pour Anne-Marie Tago, lorsqu’une aide-ménagère a pris la décision de partir, rien ne peut réellement la retenir. « Si une fille décide de partir, elle partira. À moins d’utiliser de la magie noire, de l’alchimie ou une formule magique », affirme-t-elle. Et d’ajouter : « Même avec un contrat en bonne et due forme, peu importe les arguments, les rappels au règlement ou aux responsabilités. Il m’est même arrivé d’entendre ‘Elles peuvent inventer la mort de leurs parents déjà décédés pour justifier leur départ.’ C’est dire à quel point, certaines sont prêtes à tout pour ne pas rater ce rendez-vous annuel. »
Face à cette réalité, elle propose trois leviers d’action pour les employeurs.
Tout d’abord, anticiper : « Il faut s’y prendre deux ou trois mois à l’avance, entamer des discussions informelles avec elles pour sonder leurs intentions. Créer un climat de confiance permet de leur tirer les vers du nez ».
Ensuite, améliorer le cadre de travail. « Une employée écoutée et bien traitée aura moins de raisons de vouloir fuir », soutient-elle.
Aussi, prévoir un plan B. « Il est important de ne pas être totalement dépendant d’elles. L’erreur souvent commise est de leur confier toute la gestion du foyer, au point de devenir vulnérable en cas d’absence », affirme Mme Tago.
Enfin, la psychologue propose ceci : « anticipez, discutez, observez. Et surtout, ne vous laissez pas surprendre par une réalité qui se répète chaque année. Paquinou n’est pas seulement une fête, c’est une vraie boussole culturelle pour beaucoup. Il faut savoir composer avec », conclut Anne-Marie Tago.

Encadré 2
L’effectivité du SMIG au cœur du défi dans le travail domestique en Côte d’Ivoire
Le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) en Côte d’Ivoire, fixé à 75 000 francs CFA depuis le 1er janvier 2023, constitue une avancée pour les travailleurs, notamment les aides-ménagères, souvent confrontées à la précarité et à l’informalité.
Malgré cette revalorisation, la réalité du terrain reste marquée par le non-respect du Code du Travail qui impose pourtant la déclaration de ces employées et le versement du salaire minimum. Pour tenter d’inverser la tendance, un partenariat a été lancé depuis octobre 2022 entre syndicats, CNPS et Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) afin de formaliser les contrats de travail et inclure ces travailleuses dans le système de protection sociale. Des discussions sont également en cours avec la direction générale du Travail pour l’élaboration d’une législation spécifique.
Le directeur du recouvrement de la CNPS, N’guetta Andju Roland, a rappelé que les aides domestiques déclarées bénéficient d’une protection sociale complète.
Selon lui, le SMIG doit être considéré dans son ensemble, en intégrant les avantages en nature. « Si vous payez votre aide à 40 000 francs, ce n’est pas conforme au SMIG. Mais si l’on ajoute logement, nourriture, électricité, puisqu’elle habite avec vous, son revenu réel peut atteindre 120 000 francs CFA par mois », a-t-il expliqué.
Plus précisément « les 40 000 francs versés directement constituent la partie en espèces, tandis que le logement, la nourriture, l’électricité et l’eau à sa disposition sont considérés comme des avantages en nature. Si l’on fait une estimation de tous cela, la femme de ménage peut recevoir environ 120 000 francs CFA par mois de son employeur ».
Toutefois, la CNPS recommande aux employeurs de déclarer leurs aides domestiques sur la base du SMIG, soit 75 000 F. La cotisation globale est estimée à 16 300 F CFA, dont 11 600 F à la charge de l’employeur et 4 700 F pour la travailleuse domestique. Certains employeurs choisissent même de prendre en charge la totalité, y compris la part de la salariée, a-t-il ajouté.
Pour M. N’guetta, l’application effective du SMIG, combinée aux dispositifs de protection sociale, permettra de renforcer la dignité et la reconnaissance des aides domestiques dans la société ivoirienne.
Encadré 3
La députée Adjaratou Traoré plaide pour une législation protectrice et une inclusion effective des aides domestiques
La députée de Koumassi, Adjaratou Traoré, également 2ᵉ vice-présidente du Parlement de la CEDEAO, salue les efforts du ministère de l’Emploi et de la Protection sociale à travers des dispositifs tels que la CMU et le RSTI, qu’elle juge essentiels pour renforcer l’autonomie des travailleuses. « Ces programmes offrent un socle de sécurité indispensable, particulièrement pour ces femmes souvent marginalisées par le système classique. En leur garantissant un accès aux soins, une protection contre les aléas de la vie et la perspective d’une retraite digne, ces programmes redonnent une place légitime aux aides domestiques dans le tissu social ivoirien », a-t-elle précisé.
Toutefois, a-t-elle ajouté, « il ne suffit pas de décréter l’inclusion. Il faut la rendre possible. Cela passe par une simplification des démarches administratives, une meilleure vulgarisation des mécanismes d’adhésion et un accompagnement spécifique à travers des campagnes ciblées dans les quartiers populaires, les communes et les villages ».
Elle estime que cette avancée doit s’accompagner d’une législation nationale adaptée : « Ce que nous observons pendant les fêtes est révélateur d’un déséquilibre profond. Relancer la loi sur le travail domestique, c’est reconnaître que derrière chaque tâche ménagère accomplie, il y a une vie, des droits et une histoire humaine. »
Encadré 4
Entrée en vigueur en 2026 de la Convention de l’OIT sur le travail domestique : un tournant pour la protection des aides-ménagères
La Côte d’Ivoire franchit une étape décisive dans la protection du personnel domestique avec la ratification de la Convention n°189 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) sur le travail domestique, adoptée en 2011. Ce texte, approuvé par décret en Conseil des ministres le 26 février 2025 et ratifié le 3 avril, entrera en vigueur dans le pays le 3 avril 2026.
« La ratification de la Convention n°189 vise à garantir des conditions de travail décentes pour le personnel domestique, à lutter contre l’exploitation et à renforcer les droits et protections des travailleurs domestiques, y compris les jeunes filles mineures », a indiqué le Conseil des ministres. Elle couvre plusieurs domaines, notamment la durée de travail, la rémunération, les congés, la sécurité au travail, la protection contre les abus et l’accès à la protection sociale.
Pour le ministère de l’Emploi et de la Protection sociale, « cette ratification constitue un verrou supplémentaire contre les abus dont sont souvent victimes les aides-ménagères, notamment les jeunes filles mineures ».
En Côte d’Ivoire, le secteur domestique, estimé à plus d’un million de personnes, reste largement informel. De nombreux cas d’exploitation, de maltraitance et d’absence de rémunération ont été signalés ces dernières années par les syndicats. Entre 2021 et 2023, l’Association de défense des droits des aides-ménagères et domestiques (ADDAD) et le Syndicat national des travailleurs domestiques de Côte d’Ivoire (SYNATD-CI) ont enregistré 673 plaintes liées à des abus physiques, verbaux, à des cas de viol ou à l’absence de rémunération.
Des mesures d’accompagnement sont annoncées, incluant des campagnes de sensibilisation, la formation des agences de placement et le renforcement de l’information des aides domestiques sur la CMU, le RSTI pour celles qui sont itinérantes, ainsi que le régime de base pour celles travaillant à demeure.
Avec cette entrée en vigueur prévue en 2026, la Côte d’Ivoire deviendra l’un des premiers pays francophones d’Afrique subsaharienne à reconnaître pleinement les droits du personnel domestique, marquant ainsi un tournant historique vers plus de justice sociale et d’égalité.
Il faut rappeler que l’Etat de Côte d’Ivoire a mis en place un dispositif juridique innovant et flexible afin de favoriser l’inclusion des travailleurs indépendants dans le système de prévoyance sociale en vue de leur fournir une sécurité contre les risques de perte de revenu financier.
Il s’agit de l’arrêté n°2020-065 /MEPS/CAB du 16 juillet 2020 fixant le revenu minimum de cotisation par catégorie socioprofessionnelle et le revenu plafond social du régime social des travailleurs indépendants.
Ensuite le décret n°2020-308 du 4 mars 2020, fixant les modalités de fonctionnement des régimes de prévoyance sociale des travailleurs indépendants. Et enfin, l’ordonnance n°2019-636 du 17 juillet 2019, portant institution de régimes de prévoyance sociale des travailleurs indépendants.
(Dossier réalisé par Adrienne Ehouman)
(AIP)
eaa/cmas