Abidjan, 20 avr 2025 (AIP) – Alors que la fête de Paquinou », bat son plein dans les régions du centre de la Côte d’Ivoire, de nombreux foyers urbains, notamment à Abidjan, sont confrontés à une désertion massive de leurs aide-ménagères, originaires de ces régions, provoquant stress, surcharge de travail et déséquilibre dans l’organisation domestique.
Considérée comme une période de retrouvailles culturelles et familiales chez les peuples Akan du centre, Paquinou est traditionnellement marquée par un grand déplacement de populations vers les villages. Mais pour les familles employant des aides domestiques, cette période est synonyme de départs brusques, souvent sans préavis.
A Abidjan…
Dans la commune de Yopougon, Mme Koné, mère de famille, témoigne de cette réalité : « En une semaine, j’ai vu défiler trois filles à la maison. Toutes avaient promis de rester pendant Paquinou, mais elles sont parties sans crier gare. L’une est même partie avec l’argent du petit déjeuner ». Un phénomène désormais appelé par les familles concernées la « Pâques émue », en référence à l’émotion et à la frustration que ces départs suscitent.
Certaines jeunes filles, souvent âgées de 18 à 25 ans, anticipent leur départ en rejoignant des foyers quelques mois avant les fêtes. Elles perçoivent leurs salaires, puis disparaissent soudainement. Celles qui restent, comme Afoué, une jeune aide-ménagère d’une vingtaine d’années vivant à Yopougon, sont devenues rares.
Afoué travaille depuis près de dix ans au sein d’une famille qui l’a accueillie dès son jeune âge. Ne percevant pas de salaire mensuel classique, elle reçoit une allocation de 10 000 FCFA à la fin de chaque mois pour couvrir ses besoins personnels, tout en suivant des cours du soir. À l’approche de Paquinou, elle avait exprimé le souhait de rejoindre son village natal pour visiter son grand-père pendant deux semaines.
Sa tutrice, consciente de la difficulté de se passer d’elle – notamment à cause des deux jeunes enfants de la maison – avait accepté un départ limité du vendredi 18 au lundi 21 avril.
Mais le lundi 14 avril, jour de son anniversaire, Afoué a reçu en cadeau la somme de 10 000 FCFA de la part de ses tuteurs, un geste qui semble avoir influencé sa décision de renoncer à son départ. Elle reste donc au poste, contrairement à plusieurs de ses amies du quartier déjà parties pour les festivités.
« L’an dernier, une amie d’Afoué est revenue de Paquinou enceinte. Cette fête, bien que culturelle, peut avoir des conséquences lourdes sur la vie de ces jeunes filles », s’inquiète sa tutrice.

À Ahouakro…
Localité du sud-est de la Côte d’Ivoire située dans le département de Taabo, région de l’Agnéby-Tiassa, une foule nombreuse venue d’Europe, d’Afrique et de toutes les régions du pays s’est rassemblée à Ahouakro, pour célébrer la première édition du Molièh Eco Festival, organisée en lien avec les retrouvailles traditionnelles de Paquinou. Ce festival qui se tient du samedi 19 au dimanche 20 avril 2025, vise à promouvoir le riche patrimoine naturel et culturel de la région, encourager l’écotourisme et rendre hommage au chef du village.
Parmi les festivaliers, Melaine, venue de Yopougon Gesco, savoure chaque instant. Elle se félicite des relations de confiance avec son employeur :
« Je fais un travail de célibataire. Si je veux sortir, je lui dis et puis je sors. Si je veux faire trois ou cinq jours dehors, il ne se plaint pas. Je suis venue pour une semaine fêter Paquinou », confie-t-elle avec le sourire. Melaine compte bien retourner à son poste après les festivités.
À l’opposé, Chantal, serveuse dans un maquis à Anono, n’a pas eu cette chance. Fatiguée d’un salaire insuffisant et de conditions de travail précaires, elle a préféré quitter son emploi pour célébrer Paquinou auprès de sa famille. Une décision lourde de conséquences : à la fin du festival, elle devra entamer une nouvelle quête, celle d’un emploi capable de répondre aux besoins de sa famille.
Entre départs impromptus et retours incertains, Paquinou révèle chaque année les tensions invisibles du tissu social ivoirien. Si, dans les villages, la fête se vit dans la joie et les retrouvailles, elle met à rude épreuve l’organisation quotidienne des foyers urbains, souvent dépendants d’une main-d’œuvre féminine jeune, précaire et peu encadrée.
Cette réalité soulève la nécessité d’un dialogue plus franc entre employeurs et aides domestiques, mais aussi d’une meilleure reconnaissance du travail invisible qu’elles accomplissent au quotidien.
(AIP)
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