Reportage de Joseph Agness Abouo (AIP Guiglo)
Guiglo, 02 sept 2025 (AIP) – Dans les collines verdoyantes du Cavally, région de l’ouest ivoirien autrefois réputée pour la qualité de son arabica, une révolution discrète est en marche. Après des années d’abandon, les caféiers reprennent racine sous l’impulsion du conseil régional, déterminé à redonner à cette culture ses lettres de noblesse.
Sous le ciel lourd d’août, cette zone forestière respire à nouveau l’espoir. Le conseil régional du Cavally porte le sceau d’une ambition, revitaliser une filière stratégique jugée plus adaptée aux réalités pédologiques locales que la cacaoculture traditionnellement dominante, elle-même menacée cette dernière décennie par l’expansion de l’hévéaculture.
Un projet ambitieux face aux défis
Le conseil régional du Cavally s’est engagé dans une dynamique de relance de la caféiculture à travers le projet de promotion de la caféiculture dans le Cavally (2PCC). Cette initiative, portée par la présidente Anne Désirée Ouloto Lamizana, répond à une urgence redonner vie à la filière caféière dont la production locale a chuté de plus de 50% ces dernières années.
Lors d’un séminaire organisé vendredi 13 juin 2025 à Guiglo, le 5ème vice-président Joseph Goulotehe a expliqué cette dégringolade par plusieurs facteurs tels que les conditions climatiques défavorables, le manque de main-d’œuvre, le faible prix d’achat et le vieillissement des vergers. Cette situation préoccupante s’explique également par le fait que de nombreuses plantations ont atteint ou dépassé leur seuil optimal de productivité, entraînant un net recul des rendements dans toute la région.
“La problématique de la caféiculture demeure préoccupante, certes, mais il y a des initiatives en cours offrant des perspectives d’amélioration”, a rassuré M. Goulotehe, estimant que des initiatives structurantes comme le projet 2PCC, visent à accompagner durablement les producteurs dans la mise en place de systèmes agricoles plus résilients.
Une adaptation aux réalités locales
Le coordinateur du projet, Emmanuel Tiedé Ouloto, plaide pour un changement d’orientation agricole avec détermination, invitant fermement les paysans à éviter “le tout hévéa”. “Notre région est propice à la culture de café. Des zones comme Toulepleu et Bloléquin produisent du cacao, mais à terme, cette culture ne résiste pas longtemps du fait de notre type de sol particulier”, soutient-il, ajoutant que ces réalités pédologiques ont conduit vers la culture de café, beaucoup plus adaptée à au sol assez particulier de la région.
Dans cette perspective ambitieuse, le projet prévoit l’implantation prochaine d’une unité industrielle de transformation de cerises de café, qui devrait également produire des sous-produits et dérivés, renforçant ainsi toute la chaîne de valeur locale. Parallèlement, des usines de transformation de maïs et de gombo seront bientôt installées dans cette région au potentiel énorme, le matériel destiné à ces unités ayant déjà été acquis.
Au total, quatre unités industrielles verront le jour dans le Cavally, visant la création d’emplois pour les jeunes et l’autonomisation économique des femmes, qu’il convient de rendre autonomes et financièrement indépendantes.

Un projet intégré aux multiples composantes
Le projet 2PCC s’articule autour de trois composantes essentielles telles que l’identification des producteurs bénéficiaires, la sensibilisation des acteurs de la chaîne de valeur, et enfin la création de plantations. À cette dernière étape, l’Agence nationale d’appui au développement rural (ANADER) joue un rôle central, en tant que partenaire clé pour le suivi et l’encadrement des bénéficiaires.
L’importance du suivi-évaluation assuré par l’ensemble des parties prenantes permet de mesurer l’impact et la performance du projet dans sa phase de développement. Une mission conjointe conseil régional-ANADER, qui s’est déroulée du 18 au 22 août 2025 dans les villages des quatre départements de la région (Guiglo, Toulepleu, Taï et Bloléquin), a confirmé que le projet est bien exécuté sur le terrain.
Des témoignages encourageants
Dame Emilienne Djonon apprécie la complémentarité des cultures et a accepté le projet de relance pour cette raison stratégique. “De septembre à novembre, l’argent du cacao finit d’être dépensé et l’argent du café prend le relais à partir de janvier-février”, explique-t-elle, ajoutant que cela aide les populations villageoises, et particulièrement les producteurs de café à s’occuper de leurs familles.
La présidente des femmes du village de Panhoulo (département de Toulepleu) et pépiniériste du projet 2PCC, Elise Gomanlan, témoigne : “Le travail se fait sur le terrain, en collaboration et dans la bonne entente avec les hommes.” Elle exprime sa gratitude envers la présidente du conseil régional pour cette initiative louable dans leur village.
À Guiglo 2, l’enthousiasme est palpable. Selon Mariam Traoré, 34 ans et mère de trois enfants, “avant, je faisais du petit commerce. Aujourd’hui, je travaille sur une parcelle avec d’autres femmes. On parle même de créer notre propre marque de café !”. Elle dit avoir reçu une formation financée par le projet qui redonne également de l’emploi aux jeunes, souvent tentés par l’exode rural. À Toulepleu, un centre de transformation du café est en construction, promettant une cinquantaine d’emplois directs à terme.

Des défis à relever : la question cruciale des prix
Malgré l’enthousiasme, les producteurs restent préoccupés par les prix et expriment leurs inquiétudes concernant la rentabilité. Le délégué de la coopérative SCOOPS-COOPROSAS (Société coopérative simplifiée des producteurs de Sada et secteurs) à Zouan (département de Guiglo), Hervé Mahé, apprécie le projet mais souligne les difficultés persistantes. “La culture du café a presque disparu dans notre région, parce que planter du café est très difficile. Il faut constamment nettoyer et entretenir sa plantation, alors qu’aujourd’hui les bras valides courent vers les villes. Au-delà, le café est mal payé, quand on sait que le producteur fait une seule récolte par an”, souligne-t-il.
Zongo Issa, planteur de 46 ans propriétaire de quatre hectares à Sada (plantation créée en 2005), a dû couper la moitié de ses caféiers pour planter du cacao afin de s’en sortir financièrement. “Si l’État ne rehausse pas le prix bord champ du café, je vais couper les deux autres hectares pour planter de l’hévéa”, affirme-t-il avec pragmatisme. “En son temps, le prix d’achat du café était acceptable, mais de nos jours, avec l’évolution des choses, le café perd sa valeur marchande. Comme le cacao est assez bien rémunéré et l’hévéa fait du producteur presqu’un fonctionnaire percevant chaque fin de mois le prix de sa production, cela engendre la ruée vers ces deux produits”, explique M. Zongo.
Un autre producteur, Coulibaly Mamadou, 43 ans, de Bedy-Goazon, propriétaire de trois hectares de café plus un hectare de cacao et trois d’hévéa, maintient ses trois hectares de café en espérant une hausse des prix. “Un prix rémunérateur est facteur de motivation”, pense-t-il. “Pour tout paysan, un prix rémunérateur de chaque spéculation est facteur de motivation, d’où le délaissement du café au profit du cacao et de l’hévéa.”
Une politique volontariste pour changer la donne
C’est dans ce contexte difficile que le conseil régional du Cavally, sous la houlette de sa présidente Anne Désirée Ouloto Lamizana, a lancé depuis 2023 un plan intégré de relance de la caféiculture. Un projet qui mêle réhabilitation, formation et valorisation des chaînes de valeur. “Il ne s’agit pas seulement de replanter des arbres, mais de reconstruire un écosystème économique durable”, explique le directeur de l’agriculture au conseil régional.
Les actions concrètes menées incluent la distribution de plants de caféiers hybrides plus résistants et productifs, la mise en place de coopératives locales pour mutualiser les efforts et faciliter l’accès aux financements, des formations agronomiques et entrepreneuriales pour les jeunes et les femmes, ainsi que l’accompagnement vers des labels de qualité, voire bio, pour cibler des marchés de niche à l’international.

Objectifs et perspectives d’avenir
Le projet 2PCC vise la création de 400 hectares de plantations en 2025, contre seulement 40 hectares créés en 2024 (première année d’exécution). L’objectif final est d’atteindre 1 000 hectares en trois ans, un défi ambitieux mais réaliste selon les responsables du projet.
Cette relance s’accompagne d’une approche durable privilégiant l’agroforesterie et la préservation environnementale. Comme l’explique un technicien du projet : “Le caféier aime l’ombre. Planter des arbres à ses côtés, c’est bon pour la terre et pour le climat.” Cette approche s’inscrit dans la vision plus large du Conseil régional de bâtir un modèle économique local fondé sur la valorisation des ressources naturelles et la création d’emplois dans les zones rurales quelque peu désenchantées.
Un modèle pour l’ouest ivoirien
Les autorités régionales espèrent faire du Cavally un pôle d’excellence agricole dans l’ouest ivoirien. Si les résultats sont encore à consolider, les premières récoltes, attendues en 2026, constitueront un test grandeur nature pour cette ambitieuse renaissance caféière.
Le Cavally, autrefois fleuron de la production caféière ivoirienne, a subi de plein fouet les contrecoups des récentes crises politico-militaires. À cela se sont ajoutés la chute des prix mondiaux, l’exode rural et l’épuisement des sols, avec pour corollaire des hectares entiers de plantations à l’abandon.
“Nous avons longtemps vécu de la rente. Aujourd’hui, nous voulons produire, transformer et exporter”, martèle-t-on au conseil régional. Dans l’odeur poivrée des feuilles de café en train de sécher, on sent plus qu’un parfum de renouveau : une promesse. Celle d’un territoire qui, enraciné dans son histoire, regarde l’avenir les mains dans la terre et le regard haut.
(AIP)
Ja/kp

