Abidjan, 1er sept 2025 (AIP) – Les bordures marines et lagunaires abidjanaises, autrefois immaculées, sont aujourd’hui le miroir d’une pollution sournoise et tenace. Sur le sable de Vridi-Ako, en bordure de mer (commune de Port-Bouët), ainsi qu’à Abobo- Doumé et Djéné Carré, en bordure de lagune (commune d’Attécoubé), la palette chromatique naturelle de la plage a cédé la place à une mosaïque criante de déchets plastiques : fragments bleus, verts, roses, jaunes et blancs, éparpillés à l’infini. Ce décor, loin d’être un simple désagrément visuel, est le théâtre d’une menace invisible à l’œil nu : celle des microplastiques. Ces fragments de moins de cinq millimètres, issus de la dégradation des déchets plastiques, s’immiscent partout, jusque dans l’estomac des poissons que les habitants continuent de pêcher.
Les microplastiques, un péril pour les activités de pêche
Malgré cette dégradation flagrante, la vie suit son cours. Des pêcheurs aux visages marqués par le soleil et le sel continuent de jeter leurs filets. Ils sont les premiers témoins de cette pollution insidieuse. Ici, les eaux se transforment peu à peu en dépotoirs saturés de résidus plastiques.
Yao Kouamé, pêcheur à Djéné Carré, observe avec inquiétude ces “petits caoutchoucs” qu’il retrouve parfois dans ses plus grosses prises. Il confie son ignorance des conséquences réelles de cette pollution. « Depuis quelque temps, on a des usines qui déversent un peu de tout au bord de la lagune ici, et surtout des plastiques, ce qui rend nos lagunes insalubres. Nous avons aussi constaté la présence de ces petits caoutchoucs dans certains poissons que nous pêchons, surtout les gros poissons, mais pas chez les petits. Mais nous ne savons pas si c’est dangereux », témoigne Yao Kouamé, revenant de la pêche.

À Vridi-Ako, d’autres pêcheurs comme Ismaël Tanoh se montrent plus conscients des dangers. Pour lui, la présence de microplastiques dans l’organisme des poissons menace non seulement la survie des espèces, mais aussi celle des hommes qui les consomment. « Nous sommes en danger et notre activité risque de disparaître à la longue, car il pourrait ne plus y avoir de poissons », s’inquiète Ismaël Tanoh.
Koné Amadou, un autre pêcheur, raconte quant à lui qu’il lui arrive de ramener dans ses filets plus de sachets plastiques que de poissons. Le plastique s’entremêle aux prises, brouillant la frontière entre ce qui nourrit et ce qui empoisonne.
Une menace sournoise : de l’océan à l’organisme
Ces observations de terrain trouvent un écho scientifique. Chercheure au Centre de recherches océanologiques (CRO), Dr Maryse Aka Koffi explique que les organismes aquatiques n’ingèrent pas volontairement les microplastiques, mais les confondent avec leurs proies naturelles. Ainsi, les poissons planctophages (espèces se nourrissant principalement de plancton) avalent ces particules en pensant se nourrir. Selon ses études, toutes les sardinelles analysées par son équipe contenaient des micro-déchets d’origine humaine.

Elle illustre ce phénomène avec un exemple frappant : une baleine, en ouvrant la gueule pour aspirer du krill (petites crevettes dont elle se nourrit), ingère en même temps des plastiques flottants. Le krill est digéré, mais les plastiques restent, provoquant des lésions internes, libérant des substances toxiques et donnant une fausse impression de satiété qui mène à la sous-alimentation, voire à la mort. Ce sort est également observé chez les tortues marines et de nombreuses espèces d’oiseaux.
Le danger ne s’arrête pas aux animaux marins. Selon Dr Aka Koffi, « si rien n’est fait, ces microplastiques se retrouveront dans la chaîne alimentaire par l’ingestion des organismes aquatiques. Comme nous consommons ces espèces, ils vont forcément se retrouver dans certains de nos organes. »
Elle rappelle que des études ont déjà détecté des microplastiques dans le cerveau, le foie, le placenta et les reins humains.
Un cocktail de produits chimiques toxiques
La toxicité des microplastiques ne vient pas seulement de leur présence physique, mais aussi de leur composition. Ils contiennent des phtalates (agents assouplissants utilisés dans le plastique, perturbateurs endocriniens) et des bisphénols (produits chimiques comme le bisphénol A, susceptibles de dérégler le système hormonal). Ces substances, appelées perturbateurs endocriniens (substance chimique naturelle ou fabriquée par l’homme qui interfère avec le système hormonal du corps), peuvent provoquer des troubles de la croissance, du développement sexuel, de la fertilité et du métabolisme.
Dr Aka Koffi précise que ces perturbations peuvent commencer dès le stade fœtal, affectant le développement du système reproducteur masculin et la fonction thyroïdienne. Elles peuvent aussi influencer l’identité ou le comportement sexuel futur.
Une prise de conscience collective
Face à ce péril, des voix s’élèvent pour réclamer une action immédiate. Le président de l’ONG 350 Côte d’Ivoire, Cheick Ladji Traoré, milite pour l’intégration de l’éducation environnementale dans les programmes scolaires.

La présidente de la fondation WESISAH, Marie-Josée Houénou, partage ce combat. Pour elle, les “petits gestes du quotidien” (ramasser ses déchets, éviter de jeter par terre) sont le premier pas vers une société plus responsable. Elle insiste sur le rôle des enfants, relais essentiels d’une éducation environnementale durable.
Des solutions ancrées dans le quotidien et la politique
Pour Philippe Cecchi, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), la réponse doit s’articuler autour de la règle des 5 R : Réutiliser, Réduire, Recycler, Refuser, Rendre.
Dr Aka Koffi, elle, insiste sur l’application stricte de la loi ivoirienne de 2013 interdisant les déchets plastiques. « Celui qui pollue doit payer », martèle-t-elle.
Des initiatives concrètes existent déjà ailleurs en Afrique. Au Burkina Faso, par exemple, les déchets plastiques sont transformés en sacs, chapeaux ou pavés.
Une urgence pour la Côte d’Ivoire
Chaque année, la Côte d’Ivoire produit entre 40 000 et 100 000 tonnes de déchets plastiques, dont seulement 5 à 20 % sont recyclés. Selon le projet PADI (Plastique d’Abidjan : Devenir et Impact), la filière plastique représente 457 000 tonnes importées chaque année, dont 200 000 rejetées dans l’environnement, et génère environ 200 000 emplois directs (soit 2 % du PIB). Mais près de 200 000 tonnes rejoignent malgré tout l’océan chaque année.
Cette pollution silencieuse, qui souille les plages et envahit les organismes vivants, appelle une réaction immédiate. De la prise de conscience individuelle à l’application rigoureuse des lois, chaque geste compte pour endiguer cette vague de plastique qui menace le littoral ivoirien.
(Reportage : Philomène Kouamé)
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