Abidjan, 25 oct 2025 (AIP)-En Côte d’Ivoire, les périodes électorales sont souvent marquées par des tensions politiques, nourries par des rivalités intenses entre les partis. Cette crispation, renforcée par une mémoire collective encore marquée par les crises post-électorales de 2011, rend toute actualité facilement exploitable à des fins partisanes.
C’est le cas d’un reportage de Radio-Canada sur les « brouteurs » , les cyberescrocs opérant depuis la Côte d’Ivoire, instrumentalisés pour nourrir le narratif politique. Plutôt que d’être perçu comme une enquête journalistique indépendante sur un phénomène social, ce reportage est utilisé pour pointer du doigt la responsabilité morale ou politique des actuels dirigeants de la Côte d’Ivoire.
Le 19 septembre 2025, l’émission Enquête de Radio-Canada a diffusé un reportage intitulé : “L’arnaque amoureuse, spécialité de la « mafia africaine », impliquant un réseau criminel lié à la Côte d’Ivoire”. Ce reportage a provoqué plusieurs réactions partisanes sur les réseaux sociaux.
Plusieurs comptes provenant de la Côte d’Ivoire (lass_0155, Zone Presse) et de l’étranger (le.d.a.f2, ubuntucanal1), connus pour être proches des partis de l’opposition ivoirienne, ont employé différentes méthodes telles que le copié-collé et l’utilisation d’extraits et d’images du documentaire pour développer un narratif politique.

Une analyse des comptes fait ressortir la présence de pages Facebook liées à l’opposition ivoirienne, notamment le PDCI et le PPA-CI. Le compte ZonePresse (287 000 abonnés) publie souvent des messages critiques envers le gouvernement. Quant à la page Tity Tra DeTurin (82 000 abonnés), dirigée depuis l’Italie, elle diffuse également des contenus hostiles au pouvoir.
A partie du reportage de Radio-Canada sur les cybercriminels, ces pages ont développé un narratif qui soutient que ces réseaux criminels ont prospéré depuis l’arrivée au pouvoir du président Alassane Ouattara, parce que son gouvernement a permis et encouragé la propagation de fraudes massives.
Entre le 19 et le 25 septembre 2025, nos recherches ont permis d’identifier sept posts (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7) sur Facebook, 4 vidéos (1, 2, 3, 4) sur TikTok. Ces publications ont généré globalement environ 468 923 vues et 12 850 interactions dont plus de 749 partages sur Facebook et 620 198 vues et 33 484 interactions dont plus de 3 335 partages sur TikTok.

Dans les réactions, une partie des internautes rejette les interprétations du reportage du média canadien. Ils soulignent que le reportage ne démontre pas de lien officiel, avec des commentaires comme « manipulation politique » ou « amalgame volontaire ». D’autres internautes, en revanche, s’appuient sur ces images pour dénoncer « l’héritage de la fraude » et appeler à un changement de gouvernance.

Face à la montée de la polémique, l’Ambassade de Côte d’Ivoire au Canada a réagi dans un communiqué publié le 19 septembre 2025. Elle y dénonce “une production tendancieuse”, et rappelle que “les agissements isolés de quelques individus ne sauraient engager la responsabilité de l’État de Côte d’Ivoire”.
Les commentaires recensés sous le communiqué de l’ambassade traduisent un climat de méfiance et de désinformation. De nombreux internautes y voient une tentative de “déstabilisation” orchestrée contre le pays, tandis que d’autres accusent le gouvernement d’inaction.

Nonobstant cette réaction du gouvernement ivoirien, nous avons constaté que la récupération politique du reportage s’est déjà propagée, et dans l’opinion publique, le doute s’installe avec toutes sortes de supputations. Alors, pourquoi ce reportage maintenant ? Pourquoi ce focus sur la Côte d’Ivoire ? Et surtout, que fait le gouvernement contre les brouteurs, pouvons-nous nous demander ?
La polémique survient alors que la Côte d’Ivoire entre dans une phase sensible de campagne électorale. La publication du documentaire a coïncidé avec la montée des discours politiques sur la criminalité numérique, un sujet souvent instrumentalisé pour discréditer les adversaires.
Cette récupération politique risque de renforcer des stéréotypes négatifs sur le gouvernement de la Côte d’Ivoire, notamment en l’associant à un réseau criminel organisé, ce qui peut porter atteinte à la réputation du pays à l’international et à celle des Ivoiriens à l’étranger.
Cette controverse illustre comment un contenu journalistique international peut être utilisé pour alimenter des narratifs politiques dans un contexte électoral. L’absence de communication rapide et transparente des autorités a contribué à renforcer le doute dans l’opinion publique, laissant place à des interprétations multiples et parfois erronées.
Le contexte électoral choisi pour la diffusion de cette séquence peut affecter la façon dont certains électeurs (à l’intérieur ou à l’extérieur du pays) perçoivent la crédibilité des institutions ivoiriennes ou la probité des ressortissants ivoiriens. Cela peut aussi polariser la diaspora ivoirienne qui pourrait se sentir stigmatisés.

Cette récupération politique de cette actualité révèle surtout une nouvelle bataille qui se joue sur les réseaux sociaux ivoiriens : celle du contrôle de l’image du pouvoir et de la légitimité politique. Le reportage, devenu un outil de guerre communicationnelle, est qualifié par certains internautes de “documentaire instrumentalisé par les impérialistes”, tandis que d’autres y voient un cri d’alarme salutaire sur un sujet tabou.

En période électorale, toute crise d’image ou révélation peut être instrumentalisée par des partis adverses pour fragiliser l’adversaire ou pour mobiliser l’électorat. Bien que le documentaire ne traite pas directement de l’élection, il s’inscrit dans un climat général de méfiance, de critique institutionnelle, ce qui peut amplifier des tensions pré-électorales.
Ce rapport a été produit par Hubert-Armand Assin dans le cadre du projet d’incubation du Programme de bourses African Academy for Open Source Investigation (AAOSI). Il a été réalisé sous le parrainage de Code for Africa, avec le soutien technique de la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) GmbH, financée par le Bundesministerium für wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung (BMZ) et l’Union européenne (UE). AAOSI respecte l’indépendance journalistique des chercheurs, en leur offrant l’accès à des techniques et des outils avancés. La prise de décision éditoriale reste du ressort de Hubert-Armand Assin. Vous souhaitez en savoir plus ? Visitez https://disinfo.africa/

