Côte d’Ivoire-AIP / De la cabosse à la potasse : à Gagnoa, les femmes donnent une seconde vie au cacao (Reportage)
Réalisée par Dogad Dogoui AIP Gagnoa
Gagnoa, 30 oct 2025 (AIP) – Sous un soleil brûlant, au détour d’une route poussiéreuse de Gagnoa, des tas de cabosses de cacao brûlent lentement. Là où d’autres ne voient que des déchets, des femmes y trouvent une richesse insoupçonnée : la potasse. Un savoir-faire artisanal qui leur assure indépendance économique et dignité, tout en redonnant vie au fruit roi du cacao.
Une activité méconnue mais florissante
Aimée Essai, 30 ans, alimente un feu de cabosses séchées. « Je cherche de l’argent », lance-t-elle en riant, avant d’expliquer plus sérieusement son activité. Depuis une semaine, ses sœurs et elle ramassent le cortex de cabosse de cacao dans les plantations environnantes. Les coques sont séchées, brûlées, puis réduites en cendre, première étape d’un processus artisanal de fabrication de la potasse.
Le processus de transformation
Dans le village de Brihi, des sacs de cendre sont versés dans un panier en raphia suspendu au-dessus d’une bassine. Lentement, l’eau y est versée, filtrant à travers la cendre pour donner un liquide grisâtre. Ce dernier est ensuite bouilli pendant trois jours. « Plus le liquide s’évapore, plus il devient épais : c’est la potasse », explique Aimée, fière du résultat.
Autour d’elle, d’autres femmes s’affairent. Des sacs de 25 kg de potasse s’empilent, prêts pour la vente aux grossistes. Chaque sac rapporte entre 23 000 et 25 000 FCFA. Avec deux ventes mensuelles, Aimée engrange environ 150 000 FCFA, une somme qui lui permet de subvenir aux besoins de sa famille. « C’est un métier que ma mère m’a appris au Togo. Grâce à cela, je vis sans dépendre de personne », confie-t-elle.
Une ressource convoitée
Issue du cacao, cette potasse alimente plusieurs circuits. Des restauratrices qui l’utilisent pour ramollir le maïs ou le bœuf, aux foyers où les femmes confectionnent la sauce feuille, en passant par des artisanes pour le savon noir, la potasse est très prisée sur les marchés. Dans les villages de Gagnoa, cette activité attire de nombreuses femmes, souvent venues d’autres régions. « Ici, il y a du cacao en abondance, c’est notre chance », affirme Korotoumou, 40 ans, installée à Bayota avec son conjoint maraîcher.
Un métier à risques
Mais ce savoir-faire artisanal n’est pas sans danger. Les brûlures et irritations cutanées sont fréquentes. « Malgré les gants, la chaleur et les éclaboussures nous brûlent les bras et les pieds », témoigne Korotoumou, montrant des taches sombres sur sa peau. L’inhalation des fumées et le contact prolongé avec la potasse provoquent aussi des problèmes respiratoires et dermatologiques. Les marmites et seaux utilisés se dégradent rapidement sous l’effet corrosif du produit, obligeant les productrices à les remplacer régulièrement.
Entre résilience et incertitude
Malgré la pénibilité, ces femmes restent attachées à leur activité, symbole d’autonomie et de valorisation locale des déchets agricoles. Elles espèrent toutefois un appui des autorités pour bénéficier d’équipements de protection et de matériel plus résistant.
La raréfaction du cortex de cabosse, un autre défi se profile à l’horizon pour les braves utilisatrices du cortex de cacao. La maladie du swollen shoot qui ravage les cacaoyères et les projets industriels de transformation des sous-produits du cacao, notamment la fabrication de briquettes combustibles lancée à Gagnoa en 2024, pourraient menacer leur approvisionnement.
À Brihi, Bayota et Ziplignan, la potasse du cacao raconte donc bien plus qu’un métier. Elle incarne la lutte quotidienne de femmes rurales pour donner une seconde vie à un déchet et, surtout, à leur propre destin.
(AIP)
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