(Par Tanguy Gahié)
Abidjan, 29 sept 2025 (AIP)- Un simple trajet, mardi 16 septembre 2025, au grand carrefour de Koumassi s’est transformé en un véritable calvaire pour de nombreux automobilistes circulant avec des plaques d’immatriculation non conformes. Depuis plusieurs jours, la Police nationale mène une opération “coup de poing” pour traquer ces véhicules, et les conséquences ne se sont pas fait attendre.
Parmi les personnes en ce lieu très fréquenté par les automobilistes, deux hommes dont la vie a été bouleversée en l’espace de quelques minutes. D’un côté, il y a Henri Yao, le fils d’un cadre qui a vu ses espoirs de voyage s’envoler. Avec sa valise posée sur le siège arrière, il se rendait avec son père à l’aéroport pour prendre un vol, pour poursuivre ses études en Europe. Un barrage de police a mis fin à leur course. Le véhicule de son père, avec sa plaque banalisée, a été immobilisé par les forces de sécurité, avant d’être ensuite mis en fourrière, manquant ainsi son vol pour ce jour. Certainement que son père va prendre un autre billet avec des pénalités. Tout en espérant rattraper la rentrée scolaire qui a déjà commencé dans l’école où il est inscrit.
De l’autre côté, l’histoire de Jean-Marc est encore plus poignante. Au volant de sa voiture avec sa femme, sur le point d’accoucher, il se précipitait vers la maternité. Les contractions s’intensifiaient, mais le véhicule a été arrêté. Les supplications de l’homme n’ont pas suffi à convaincre les agents. Devant l’urgence de la situation, sa femme a dû quitter la voiture et prendre un taxi de fortune pour atteindre l’hôpital. Ces deux incidents mettent en lumière les conséquences de cette opération.
En fait, des contrôles inopinés, des immobilisations sur-le-champ et des sanctions immédiates : l’ère de l’impunité semble révolue, laissant derrière elle une vague de mécontentements et d’incertitudes. Ce n’est plus un secret, les routes ivoiriennes sont sillonnées par des milliers de voitures aux immatriculations “banalisées”. Souvent pour échapper aux taxes ou pour ne pas être identifiés, leurs propriétaires ont longtemps cru pouvoir circuler en toute tranquillité.
Mais pourquoi malgré cela, des automobilistes continuent-ils de circuler dans des véhicules avec des plaques d’immatriculation ‘’banalisées’’ ?
#Les raisons de la prolifération
Des véhicules circulant avec des plaques d’immatriculation fantaisistes, fausses ou banalisées, ont été observés dans pratiquement toutes les communes du District d’Abidjan, malgré une campagne de répression menée en juillet 2025 par la direction générale du transport terrestre et de la circulation, a constaté l’AIP.
Sur le quatrième pont et l’autoroute du Nord, reliant la commune de Yopougon à celles d’Adjamé et du Plateau, plusieurs voitures dont de grosses cylindrées portant les immatriculations « WW..», circulent librement. Dans les communes du District d’Abidjan, notamment Yopougon, Songon, Adjamé, Abobo, Marcory, Cocody, Koumassi, Port-Bouet, Treichville, Anyama et Bingerville, des véhicules arborent également des plaques banalisées dissimulant parfois celles de pays voisins.
L’utilisation de plaques d’immatriculation non réglementaires, souvent qualifiées de “banalisées” ou “fantaisistes” est devenue un fléau sur les routes ivoiriennes. Ces plaques, qui s’écartent du format officiel (couleur, typographie, lisibilité, ou absence de certains codes de sécurité, posent de sérieux défis aux autorités, notamment en matière de sécurité routière et de lutte contre l’incivisme. Alors que le ministère des Transports, à travers la Direction générale des Transports terrestres et de la circulation (DGTTC) mène des opérations de traque et de répression pour mettre fin à cette pratique illégale, plusieurs raisons profondes expliquent pourquoi certains automobilistes continuent d’y avoir recours.
L’une des principales raisons de l’utilisation de plaques banalisées est le désir d’éviter les taxes et les frais d’immatriculation. De nombreux véhicules d’occasion importés sont introduits en Côte d’Ivoire sans passer par les circuits légaux. Leurs propriétaires, pour ne pas payer les droits de douane et les frais de mise en circulation, optent pour des plaques non officielles. C’est une manière de dissimuler l’origine du véhicule et d’échapper à la fiscalité. « Le marché de la voiture d’occasion est florissant, mais une partie est hors du système. Pour ces véhicules, il est impossible d’obtenir une immatriculation officielle. La plaque banalisée est la seule solution pour circuler », a expliqué un agent des douanes, sous couvert d’anonymat.
De plus, le déploiement de caméras pour sanctionner les infractions routières (excès de vitesse, franchissement de feu rouge, etc.) a incité certains conducteurs à rendre leurs plaques illisibles, fantaisistes ou modifiées. L’objectif est simple : si la caméra ne parvient pas à identifier clairement le numéro d’immatriculation, le contrevenant espère se soustraire à l’amende. Ainsi, l’anonymat conféré par une plaque non conforme permet de commettre des infractions en toute impunité. Car, pour certains conducteurs, circuler avec une plaque non conforme est un signe qu’ils sont « au-dessus » des règles communes, renforçant un sentiment d’impunité souvent lié au statut social ou à l’appartenance perçue à un groupe.
En sus, l’utilisation illégale de plaques dites “banalisées” (celles qui ressemblent à s’y méprendre à celles utilisées par les Forces de l’ordre) ou de plaques falsifiées peut être motivée par des desseins criminels ou frauduleux. En effet, certains particuliers se font passer pour des agents des forces de l’ordre ou des personnalités administratives pour bénéficier d’une certaine impunité ou de la priorité sur la route.
C’est une manière de s’afficher comme étant “au-dessus de la loi” et d’intimider les autres usagers de la route. « C’est une manifestation de ce que nous appelons ‘l’incivisme élitiste », indique un sociologue ivoirien, Dr Jean Jacques Kouamé. Selon l’enseignant-chercheur, ces conducteurs se sentent intouchables et utilisent ces plaques pour le montrer. « C’est un défi lancé à l’autorité de l’État », déclare-t-il.
L’aspect le plus inquiétant de cette pratique est son usage par le milieu criminel. Des véhicules avec des plaques banalisées sont fréquemment impliqués dans des délits tels que les braquages, les enlèvements ou les trafics illicites. L’anonymat qu’offrent ces plaques permet aux criminels de ne laisser aucune trace et de compliquer le travail des enquêteurs. Selon un officier de la police criminelle, les plaques banalisées sont devenues l’un des outils les plus prisés des réseaux criminels. « Elles sont le parfait camouflage pour opérer en toute impunité. Nous sommes souvent face à un mur lorsque nous cherchons à identifier un véhicule impliqué dans un crime », explique-t-il.
Parfois, ces plaques sont utilisées pour donner l’apparence de véhicules de fonction ou de sécurité, ce qui peut permettre à leurs occupants de bénéficier d’une certaine “immunité” sur la route. Un laxisme dangereux pour la sécurité. Ce phénomène est d’autant plus préoccupant que les véhicules à immatriculation ‘’banalisée’’ sont souvent impliqués dans des accidents ou des délits. Le fait qu’ils ne puissent pas être identifiés rend leur poursuite et leur sanction quasi impossibles pour les forces de l’ordre. « C’est un véritable casse-tête pour nous. Si un véhicule avec une plaque banalisée commet un délit de fuite après un accident, il est très difficile, voire impossible, de le retrouver. C’est une porte ouverte à l’impunité », affirme un officier de police, sous couvert d’anonymat.
Enfin, il y a des véhicules en situation irrégulière qui utilisent des doubles plaques ou de fausses plaques pour masquer la véritable identité d’un véhicule, qui pourrait être un ‘’véhicule volé, hors-taxe, ou dont les papiers sont irréguliers’’. En utilisant une immatriculation existante, l’usager légitime se retrouve pénalisé en cas d’infraction. « C’est une manifestation de ce que nous appelons ‘l’incivisme élitiste’. Ces conducteurs se sentent intouchables et utilisent ces plaques pour le montrer. C’est un défi lancé à l’autorité de l’État », souligne le sociologue Jean Jacques Kouamé.
#Les véhicules hors taxes
L’opération “Tolérance Zéro” contre les véhicules aux plaques d’immatriculation non conformes a révélé un autre problème persistant et coûteux pour l’État : la circulation de véhicules « hors taxes ». Ces voitures, importées sans que les droits de douane et taxes ne soient correctement acquittés, représentent un manque à gagner fiscal majeur. Interceptés lors des contrôles, leurs conducteurs, parlant sous couvert d’anonymat, livrent leur version des faits, expliquant le lien direct entre leur statut illégal et l’usage de plaques banalisées.
D’abord, la raison première de l’utilisation de plaques banalisées illisibles, fantaisistes est la dissimulation pure et simple. Un véhicule « hors taxes » n’a pas de papiers en règle et ne peut obtenir une immatriculation officielle (carte grise). « Si j’avais la vraie plaque, je serais arrêté au premier barrage. On me confisquerait ma voiture et je perdrais tout », explique Sékou, un jeune entrepreneur roulant dans un SUV de luxe. « La plaque banalisée me donne l’illusion de la normalité. Elle me permet de me fondre dans le trafic et de ne pas attirer l’attention des douanes ou des agents qui recherchent spécifiquement les véhicules en situation irrégulière. », témoigne-t-il.
Ainsi, en utilisant une fausse plaque ou une plaque de format non réglementaire, des conducteurs tentent de contourner les systèmes de traçabilité mis en place par le Ministère des Transports et les forces de l’ordre.
De plus, pour certains automobilistes, le recours au marché des véhicules « hors taxes » est souvent le seul moyen d’accéder à des modèles récents ou haut de gamme. Ils pointent du doigt le coût jugé prohibitif de la régularisation. « Les taxes d’importation sont trop chères. Un véhicule qui coûte 10 millions FCFA à l’achat peut me revenir à 15 ou 16 millions avec toutes les taxes. C’est inabordable », confie dame Aïcha qui utilise une voiture non dédouanée.
« Le circuit parallèle, même s’il est risqué, permet de rouler avec une belle voiture pour la moitié du prix. C’est une question de moyens et d’image », admet l’entrepreneure. Comme elle, certains jeunes cadres préfèrent avoir recours à ce circuit parallèle pour s’offrir une voiture. Ils reconnaissent cependant le manque à gagner pour l’État, mais ils estiment que la pression fiscale sur l’importation de véhicules d’occasion crée un marché noir florissant et difficile à enrayer.
Un autre facteur clé est l’usurpation d’identité. Beaucoup de ces véhicules « hors taxes » sont équipés de plaques qui imitent celles des corps “habillés” (Armée, Police, Gendarmerie). « Quand vous avez une plaque qui ressemble à celle d’un corps habillé ou d’un service de l’État (comme les plaques temporaires ou certaines lettres d’immatriculation réservées), vous n’êtes pas contrôlé », avoue un autre conducteur sous le couvert de l’anonymat.
« C’est un passe-droit illégal qui remplace le dédouanement. On utilise l’apparence de la légitimité pour masquer la fraude », ajoute-t-il. Cette tactique sert à la fois à éviter les contrôles de routine pour le dédouanement et les sanctions liées aux infractions routières, créant ainsi un sentiment d’impunité qui aggrave l’incivisme.
Pour sa part, le ministère des Transports et la Direction générale des Douanes réaffirment que la traque contre ces véhicules vise à la fois à sécuriser le parc automobile et à garantir l’équité fiscale. Les véhicules « hors taxes » interceptés avec des plaques banalisées s’exposent non seulement à la mise en fourrière et à l’amende, mais aussi à la saisie définitive en l’absence de régularisation des droits de douane. Malgré la répression, la circulation de ces véhicules « fantômes » souligne la complexité de réguler un marché où le coût d’accès à la légalité reste, pour beaucoup, un obstacle insurmontable.

#De l’approche stratégique des autorités compétentes
Les forces de l’ordre, en particulier la Police et la Gendarmerie nationales, mènent régulièrement des opérations de contrôle pour intercepter les véhicules aux plaques non réglementaires. En effet, dans le cadre de la lutte contre l’incivisme routier, le 11 juillet 2025, s’est tenue à la Préfecture de police d’Abidjan une séance de travail co-présidée par le commissaire divisionnaire major de police, Yéo Kollo Roger, Préfet de police d’Abidjan et du Directeur général des Transports Terrestres et de la Circulation, Oumar Sacko, en présence des chefs de District de police et des commandants d’unité de la préfecture de police d’Abidjan.
Cette rencontre s’inscrit dans la continuité de l’opération “Épervier sur nos routes”, initiée par la Police nationale, en vue de lutter contre les incivilités routières. Elle a permis de rappeler à tous les acteurs intervenant dans cette lutte de renforcer davantage leurs dispositifs afin de réduire considérablement la circulation des plaques banalisées sur le territoire national.
Par la suite, l’opération de la traque contre les plaques d’immatriculation « banalisées » ou « fantaisistes » a effectivement démarré le 15 juillet à Abidjan, avec le retrait de plusieurs plaques illégales de la circulation. Cette campagne qui s’étend aux véhicules administratifs consiste à instaurer des points de contrôle de police dans le district d’Abidjan afin que les plaques « banalisées » ou « fantaisistes » soient totalement retirées de la circulation.
La principale mesure du gouvernement est la répression sur le terrain. Les forces de l’ordre, en particulier la Police et la Gendarmerie nationales, mènent régulièrement des opérations de contrôle pour intercepter les véhicules aux plaques non réglementaires. Ces opérations, souvent annoncées par le ministère des Transports, visent à sensibiliser le public et à dissuader les contrevenants. Des barrages routiers sont également mis en place de manière aléatoire sur les grands axes. C’est dans ce cadre que le commissaire divisionnaire-major Yéo Kollo Roger. Le préfet de police d’Abidjan a procédé le 15 juillet, au lancement officiel d’une vaste opération de répression visant les véhicules administratifs circulant avec des plaques d’immatriculation non conformes, communément appelées banalisées ou fantaisistes.
Cette initiative, menée en étroite collaboration avec le ministère des Transports à travers sa direction générale des transports terrestres et de la circulation, s’inscrit dans le cadre de la Politique nationale de lutte contre l’incivisme routier et de promotion de la sécurité sur la voie publique. Selon le préfet de police d’Abidjan, cette opération s’inscrit dans la continuité des efforts engagés par les autorités policières en vue d’assainir le réseau routier et de faire respecter la réglementation en vigueur. Elle vise à instaurer une discipline rigoureuse en matière d’identification des véhicules circulant sur le territoire national, afin de prévenir les abus et de renforcer l’efficacité des contrôles.
Le préfet de police a rappelé que tout véhicule en circulation doit impérativement être muni de plaques d’immatriculation visibles, solidement fixées et strictement conformes aux normes en vigueur. Il a souligné que les forces de l’ordre sont appelées à agir avec fermeté, mais également avec discernement, dans le respect des droits des citoyens et de la législation. Des dispositifs de contrôle ont été déployés aux principaux points d’entrée de la ville, témoignant de la volonté des autorités de traiter ce phénomène avec sérieux et détermination.
Le préfet a exprimé sa profonde gratitude à la DGTTC, en insistant sur le fait que cette action ne relève pas exclusivement de la compétence de la police, mais constitue un enjeu national auquel chaque citoyen est appelé à contribuer.
Par ailleurs, le commissaire divisionnaire a précisé que des mesures strictes sont désormais appliquées à l’encontre des contrevenants, à savoir les véhicules particuliers concernés sont conduits en fourrière, tandis que les véhicules administratifs se voient retirer immédiatement leurs plaques non réglementaires, en vue de leur remplacement par des plaques officielles.
Selon le directeur général des Transports terrestres et de la Circulation, cette opération marque une étape importante dans la lutte contre les pratiques illégales sur les routes d’Abidjan. “Le gouvernement entend maintenir la pression, dans une logique de fermeté et de prévention, afin de garantir un cadre de circulation sécurisé, respectueux des lois et porteur d’un véritable civisme routier”, affirme Oumar Sacko.
#Un bilan provisoire
Selon les premières informations communiquées, en quelques heures seulement, le 15 juillet, des dizaines de véhicules ont été interceptés et leurs plaques irrégulières retirées. Le ministère des Transports a même annoncé que dans la commune du Plateau, une centaine de plaques fantaisistes avaient déjà été retirées au cours de cette journée de traque des plaques d’immatriculation banalisées en Côte d’Ivoire.
Toutefois, si les opérations de contrôle inopinée ont un effet dissuasif à court terme, la pratique des immatriculations banalisées persiste. Les trafiquants et les fraudeurs trouvent toujours des moyens de contourner la loi. Les sanctions, bien que plus dures, ne sont pas toujours appliquées avec la même rigueur partout. Le ‘’laisser aller’’ au sein de certains services de contrôle est également un frein à l’efficacité de ces mesures. En fin de compte, la réussite de la lutte contre ce fléau dépendra non seulement de la fermeté du gouvernement, mais aussi de la collaboration de la population et de l’intégrité de ceux qui sont chargés de faire respecter la loi.

#Un projet à l’échelle nationale
Initialement centrée sur le district d’Abidjan, la traque contre les plaques banalisées s’étend progressivement sur tout le territoire national. Des contrôles ont déjà été signalés à partir du 2 août sur l’autoroute du Nord, précisément sur les axes interurbains au point kilométrique 71 (PK 71), situé sur l’axe Abidjan–Yamoussoukro.
L’opération est soutenue par des agents de la Direction générale des Transports terrestres et de la circulation. Elle est placée sous la supervision du colonel Dodora Serge. Cette action s’inscrit dans une politique plus large de sécurisation routière qui vise à lutter durablement contre l’incivisme et la fraude en Côte d’Ivoire.
Pour le directeur général des Transports terrestres et de la circulation, cette phase interurbaine marque une intensification des actions déjà engagées depuis le 15 juillet 2025 dans le Grand Abidjan avec la Police nationale. « Aujourd’hui, la Gendarmerie nationale entre officiellement en scène pour couvrir les axes interurbains, à commencer par ce point stratégique qu’est le PK 71, à la sortie d’Abidjan », précise-t-il.
En ce qui concerne l’extension de l’opération sur l’autoroute du Nord, une quinzaine de véhicules ont été interceptés en une journée. Certains ont été immobilisés ou remorqués, les plaques illégales retirées, et les amendes pour infractions antérieures réglées sur place. « Il ne s’agit plus de sensibilisation mais d’une application stricte des textes en vigueur. Nul n’est censé ignorer la loi », a martelé M. Sacko.
Des usagers influents, dont des élus, ont été interpellés dans le respect de la procédure. Ils ont retiré leurs plaques non conformes et se sont engagés à respecter désormais la réglementation. Le ministère des Transports prévoit d’étendre cette opération à l’ensemble des grands axes routiers du pays afin de restaurer la discipline et garantir la sécurité des usagers.
#Les conséquences
L’utilisation croissante de plaques d’immatriculation non conformes ou banalisées en Côte d’Ivoire n’est pas qu’une simple infraction au Code de la route. Cette pratique illégale a des conséquences dangereuses pour la sécurité publique, l’économie et l’ordre social.
En effet, l’impact le plus direct des immatriculations banalisées se fait sentir sur la sécurité routière. Ces véhicules sont un outil pour l’impunité. Car, en l’absence de toute identification légale, leurs conducteurs peuvent commettre des infractions, excès de vitesse, conduite dangereuse, non-respect du Code de la route, sans craindre d’être sanctionnés. « Si un véhicule avec une plaque banalisée cause un accident et prend la fuite, il est quasiment impossible de le retrouver », explique un agent de la police routière, en ajoutant que « cela crée un sentiment de frustration et d’injustice chez les victimes. Les conducteurs respectueux de la loi ont l’impression que d’autres peuvent se permettre de rouler sans conséquences ».
Aussi, les plaques banalisées sont-elles un véritable atout pour les activités criminelles. Elles permettent aux délinquants d’opérer dans l’anonymat, compliquant le travail des forces de l’ordre. Les véhicules équipés de ces plaques sont souvent utilisés pour ‘’les braquages et les enlèvements’’. A bord des véhicules avec des plaques banalisées, les criminels peuvent opérer sans craindre d’être identifiés par des témoins ou des caméras de surveillance.
En outre, l’anonymat du véhicule facilite le transport de marchandises illicites. Il y a également la fuite après la commission d’un délit. Car sans plaque d’immatriculation officielle, la traçabilité du véhicule est impossible, ce qui permet aux malfaiteurs d’échapper à la justice. Cette opacité favorise l’expansion des réseaux criminels et contribue directement à l’insécurité grandissante dans les grandes villes ivoiriennes.
D’ailleurs, l’usage des immatriculations banalisées a également des conséquences économiques importantes pour l’État. En évitant les procédures légales d’immatriculation, les propriétaires de ces véhicules se soustraient au paiement des taxes et des droits de douane. Cette évasion fiscale représente un manque à gagner colossal pour le trésor public, qui pourrait utiliser ces fonds pour financer des projets de développement, d’infrastructures routières ou de services publics. « Chaque véhicule qui circule sans être enregistré est un coup de canif dans le budget de l’État », déplore un expert en fiscalité routière. « C’est de l’argent qui ne servira pas à construire des écoles ou à réparer les routes », renchérit un agent de douane.
Au-delà des aspects concrets, le phénomène des plaques banalisées est un symbole de l’affaiblissement de l’autorité de l’État. Il témoigne d’une impunité perçue et d’une défiance vis-à-vis des institutions. Lorsque la loi n’est pas appliquée de manière égale pour tous, cela érode la confiance du public dans le système judiciaire et les forces de l’ordre, estiment des automobilistes.
Pour beaucoup d’Ivoiriens, la présence de ces véhicules sur la route est la preuve qu’il existe une catégorie de personnes au-dessus des lois. Cela encourage l’incivisme et la désobéissance civile, créant un cercle vicieux difficile à briser.
La lutte contre ce fléau est un enjeu majeur pour la crédibilité de l’État ivoirien et la pérennité de l’ordre public. Toutefois, initiée par la Police ivoirienne depuis le 20 août 2024, l’opération spéciale de contrôle des plaques d’immatriculation banalisées; véhicules administratifs portant (WWW); vitres teintées; plaques illisibles et de véhicules neufs hors délai d’immatriculation se poursuit.
Dans une vidéo publiée sur la page officielle de la Direction générale de la police nationale (DGPN) le 24 août 2024, Koffi Dadjikan, chef du district de police d’Adjamé, cite les enjeux de l’opération autorisée par le ministère de l’Intérieur et de la Sécurité. Il s’agit principalement d’éradiquer le problème de l’usage de ces engins sur la route.
Spécifiquement, il est question de lutter contre l’insécurité. Car, soutient-il, les véhicules à plaques banalisés et/ou aux vitres teintées sont constamment utilisés par les malfrats pour commettre des forfaits. Ce qui rend difficile les recherches pour trouver les auteurs.
Il a ensuite souligné que cette opération est également menée pour lutter contre l’incivisme sur les routes. Les plaques banalisées pour camoufler les plaques normales ou apposer des films sur les vitres des véhicules sont des actes d’incivisme.
Aussi, révèle-t-il que les véhicules à plaques banalisées sont fréquemment impliqués dans les accidents de la voie publique avec délit de fuite. « Lorsque ces derniers n’ont pas été interpellés très tôt, il est difficile de les retrouver du fait de la non identification du véhicule impliqué… », a-t-il laissé entendre. En conclusion, il a invité tous les usagers de la route à se conformer aux règles en vigueur en matière de circulation routière.
# Des sanctions
Des barrages routiers mis en place de manière aléatoire sur les grands axes ont permis d’arrêter et sanctionner des conducteurs dont les véhicules sont équipés de plaques banalisées. Les sanctions peuvent aller d’une amende à la mise en fourrière du véhicule. Cette approche, bien que réactive, a pour but de créer un climat de peur chez les fraudeurs. « Nous avons des directives claires. Un véhicule avec une plaque banalisée est un véhicule en infraction. Nous les mettons à l’arrêt, et les propriétaires doivent s’expliquer. Souvent, cela se termine par une forte amende et l’obligation de se conformer à la loi », témoigne un officier de la police routière.
Les contrevenants s’exposent à des sanctions immédiates. Le retrait de la plaque illégale est la première conséquence. De plus, une amende forfaitaire est appliquée, dont le montant varie entre 200 000 et deux millions de Francs CFA, selon l’infraction. Dans les cas les plus graves, notamment l’utilisation de fausses plaques, des poursuites judiciaires pour usage de faux sont prévues, pouvant mener à des peines de prison. Les autorités ont clairement prévenu : la politique est celle de la “tolérance zéro”.
L’opération a été bien accueillie par une partie de la population, qui y voit un pas vers un plus grand respect du Code de la route. L’objectif final est de rappeler à tous les automobilistes que l’immatriculation est un acte sécurisé, numérique et traçable, et non une simple formalité.
#Ce que disent les automobilistes
Selon des conducteurs rencontrés par l’AIP, l’adoption d’une plaque non conforme est une stratégie de défense face à des contrôles routiers perçus comme abusifs. « Avec une plaque bien lisible et conforme, vous êtes une cible facile. Chaque contrôle est une occasion pour certains agents de vous trouver un défaut et de vous racketter », explique Moussa Fofana, un commerçant de Cocody. « En modifiant la plaque, je gagne du temps, car souvent, on m’intercepte moins. C’est illégal, je le sais, mais c’est un choix pour protéger mon gagne-pain », justifie-t-il.
Une autre raison évoquée est la lenteur ou la complexité perçue des démarches d’immatriculation officielles, malgré les efforts de modernisation de l’administration. « J’ai acheté un nouveau véhicule, mais le temps d’obtenir la plaque définitive est un calvaire. Je n’ai pas le temps d’attendre. Le ‘WWW’ provisoire, ou une plaque bricolée, me permet de travailler en attendant. Le commerce n’attend pas l’administration », confie Kouadio Franck, propriétaire d’une entreprise.
Par contre, certains automobilistes reconnaissent un motif plus égoïste en soulignant qu’ils désirent bénéficier d’un statut privilégié sur la route. Les plaques banalisées qui imitent les formats des ‘’corps habillés’’ confèrent un sentiment d’immunité. « Quand je mets ma plaque qui ressemble à une plaque de l’Armée, je roule plus vite, je ne respecte pas toujours les feux, et on me laisse passer. C’est mal, mais cela me permet d’éviter les embouteillages du Plateau », avoue Patricia Yao, cadre dans une multinationale. Pour elle, c’est une manière d’acheter du temps et d’affirmer une position sociale.
Par ailleurs, l’accès à ces plaques non homologuées est étonnamment facile, souvent pour un coût dérisoire. De petits ateliers de fortune proposent ces services en marge de la légalité, rendant la fraude accessible à tous.
Paradoxalement, la mise en place du système de la vidéo-verbalisation mise en place par Quipux, destinée à renforcer l’ordre, a encouragé la fraude. « Je n’ai pas les moyens de payer les grosses amendes de la vidéo-verbalisation », a déclaré Jean, un jeune chauffeur de taxi compteur. « Je préfère rendre ma plaque floue ou illisible pour la caméra. C’est la seule façon d’éviter une sanction qui pourrait m’obliger à arrêter de travailler », souligne-t-il.
Comme lui, de nombreux conducteurs de transport en commun préfèrent utiliser cette méthode pour échapper aux amendes fixées par le système de vidéo-verbalisation. Ces automobilistes, tout en reconnaissant l’illégalité de leur acte et les risques encourus (retrait du véhicule, amende, poursuites), perçoivent leur comportement comme une réponse pragmatique aux dysfonctionnements perçus du système. Il s’agit notamment du ‘’racket’’, ‘’de lenteur administrative’’, et ‘’des sanctions trop lourdes pour les petits budgets’’.
Quant aux autorités, elles maintiennent cependant que ces justifications ne sauraient excuser une pratique qui met en péril la sécurité routière et la traçabilité des véhicules, éléments clés de la sécurité publique. L’opération de répression, qui vise désormais les véhicules administratifs et privés, se poursuivra avec une “tolérance zéro”.
(AIP)
tg/cmas
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# Encadré
#L’armée à la rescousse avec sa nouvelle unité d’immatriculation
Le ministère de la Défense a renforcé son arsenal interne avec l’inauguration d’une Unité d’immatriculation des véhicules et engins militaires (UIVEM) logé au sein de l’Etablissement général des services (EGS). Cette double action vise à éradiquer la source principale d’insécurité liée à l’usurpation d’identité et à l’incivisme routier. L’UIVEM vise à mettre de l’ordre dans les rangs.
Inaugurée le 27 février 2025 à Abidjan par le ministre d’État, ministre de la Défense, Téné Birahima Ouattara, l’UIVEM est une structure stratégique dont la mission est d’assurer l’immatriculation sécurisée et centralisée de l’ensemble du parc automobile des Forces armées. La création de cette unité répond à un constat alarmant : des véhicules appartenant aux forces de l’ordre étaient eux-mêmes régulièrement épinglés pour l’utilisation de plaques non conformes. L’objectif est clair : mettre fin aux plaques militaires fantaisistes qui permettent à des civils mal intentionnés de se faire passer pour des militaires, ou à certains membres des FACI d’échapper aux sanctions en cas d’infraction.

« La mise en place de cette structure est un projet structurant qui vise à garantir la traçabilité de nos véhicules et engins militaires, » a souligné le ministre d’Etat, Téné Birahima Ouattara, en ajoutant qu’elle est un pas vers l’autonomie stratégique et surtout, elle contribue à la lutte contre l’insécurité due à l’usage de faux engins militaires.
Il a assuré que, dans ce nouveau système, les instruments de sécurité intégrés permettront de déceler plus facilement les tentatives frauduleuses d’emprunter des identifiants des équipements des forces armées de Côte d’Ivoire pour commettre des délits.
Pour le directeur général des Affaires logistiques et techniques, Général Soro Kodan, la création de cette unité d’immatriculation vise à garantir son autonomie stratégique et également la parfaite maîtrise du parc automobile de la défense.
Selon lui, les objectifs opérationnels sont surtout d’ordres sécuritaires. « Ainsi, la montée de l’insécurité due à l’usage de faux engins militaires sera résorbée. L’incivisme causé par les engins roulants militaires trop frauduleux sera résolu. Le maillage du territoire par les forces de défense sera affiné avec une meilleure répartition des moyens de mobilité et d’intervention », a-t-il indiqué.
Le Général a ajouté que les véhicules militaires indûment immatriculés disparaîtront de la circulation et les unités illégales de fabrication d’artisans de plaques d’immatriculation frauduleuses disparaîtront également.
L’unité d’immatriculation est implantée sur un site militaire et gérée par les militaires et gendarmes. Ils sont formés d’une part à la procédure d’immatriculation, au principe de génération des numéros dans le respect du code des immatriculations militaires et d’autre part, à l’utilisation des équipements techniques et technologiques pour l’enregistrement des données techniques des engins et pour la fabrication des plaques et leurs codes.
L’UIVEM fabrique désormais des plaques aux caractéristiques spécifiques et sécurisées, difficiles à reproduire, permettant aux corps de défense et de sécurité d’être irréprochables en matière d’identification.
Cette mobilisation des forces armées, loin d’être une simple démonstration de force, est la traduction d’une approche globale : l’État commence par faire le ménage dans ses propres rangs (avec l’UIVEM) avant d’appliquer la tolérance zéro à l’ensemble des usagers.
Le message du ministère de la Défense est sans équivoque : tous les citoyens, qu’ils soient civils ou militaires, doivent se départir de l’utilisation de plaques non réglementaires, pour la sécurité collective et le respect de la loi. L’UIVEM symbolise une démarche d’assainissement par le haut, où l’Armée devient à la fois le garant de l’ordre public sur les routes et le modèle de la conformité administrative.
(AIP)
tg/cmas