Abidjan, 31 juil 2025 (AIP) –La fête de l’indépendance en Côte d’Ivoire suscite chez les jeunes des perceptions contrastées, façonnées par leurs origines géographiques, leurs appartenances socio-professionnelles ou encore leurs convictions politiques. Pour certains, elle représente un héritage précieux à préserver et à transmettre ; pour d’autres, elle apparaît comme une commémoration distante, parfois déconnectée de leurs réalités quotidiennes.
La fête de l’indépendance, un devoir de mémoire procurant un sentiment de fierté nationale
« Pour moi, la fête de l’indépendance est une occasion importante pour se rappeler d’où l’on vient. Je pense à nos parents, à nos grands-parents qui ont vécu les périodes difficiles avant 1960. C’est aussi un moment pour réfléchir à ce que nous, les jeunes, faisons de cette liberté », déclare Fatou Konaté, 23 ans, étudiante en droit à Bouaké. Elle estime que la fête de l’indépendance est « un repère historique et symbolique ». Pour matérialiser son attachement à cet événement, elle participe chaque année aux cérémonies organisées dans son quartier. L’édition 2025 revêt pour elle un intérêt particulier, la célébration officielle se déroulant à Bouaké.
Pour Jean-Louis Kouassi, 27 ans, jeune entrepreneur à Abidjan, la fête de l’indépendance est un rappel que le pays a dû se battre pour exister par lui-même. « En tant que jeune entrepreneur, je me sens responsable de bâtir sur cet héritage. » Il ajoute que cet événement est un moment d’unité nationale, où l’on oublie les différences.
Célébrer l’indépendance d’un pays, c’est marquer « l’aboutissement d’une lutte, la réalisation d’un espoir et la victoire de la diplomatie pour la souveraineté de notre pays », affirme Lucien Kouakou, évangéliste, qui ajoute qu’il s’agit d’un symbole de liberté et de fierté nationale.
Selon le délégué régional du Comité de gestion des établissements scolaires (COGES) du secondaire à Boundiali, par ailleurs responsable jeunesse, Fofana Sibiri, l’indépendance est une source de fierté pour les citoyens, car elle symbolise la capacité de la Nation à se gouverner elle-même.
La fête de l’indépendance doit être un héritage à transmettre. « On est né, on a trouvé. Nos grands-parents ont célébré, nos parents aussi. Nous devons faire pareil, et faire en sorte que nos enfants la célèbrent également. C’est une fête qui marque la liberté de la Côte d’Ivoire, et il est important qu’elle soit célébrée », a déclaré Aïdara Moussa, chauffeur de taxi à Adzopé.

Comme pour conclure le chapitre, le président régional de la jeunesse du RHDP du Guémon, Dah Massowodé Stéphane, souligne que l’indépendance a permis à la Côte d’Ivoire « d’avancer, de croire en l’avenir et de bâtir une Nation qui donne de l’espoir et rassure les Ivoiriens ».
Un appel à l’unité et au patriotisme
La célébration de l’accession à l’indépendance, en plus de constituer un devoir de mémoire pour les anciennes générations, est pour certains un appel à l’unité et à la préservation de la paix.
« Soyons chacun un acteur du changement à notre niveau. Aimons notre pays, croyons en nous et construisons ensemble une Côte d’Ivoire forte, juste et prospère », lance Mel Yamkilaire, réceptionniste à Dabou, pour qui le 7 août symbolise plus qu’une date : un rappel fort de la lutte, du courage et de la dignité retrouvée de tout un peuple.
La célébration de la fête de l’indépendance de la République de Côte d’Ivoire est importante pour les filles et fils du pays, estime Bamba Dotenemeni, membre actif de l’Union de la jeunesse communale de Boundiali (UJCB). Selon lui, pour les jeunes, qui représentent un maillon clé du développement, cette fête est une occasion d’affirmer leur patriotisme.
Le 7 août, une ambiance festive, marque d’une identité culturelle
La commémoration de la fête de l’indépendance est une occasion de réjouissances, mais aussi de participation à des activités culturelles propres à chaque localité.
« C’est l’atmosphère d’unité, les tenues traditionnelles, les danses et la fierté dans les regards qui marquent cette journée », souligne Manassé Emmanuel, étudiant en droit public.

Les activités telles que les matchs de football entre jeunes, les concerts musicaux, les jeux, les repas communautaires ou familiaux constituent des moments phares de cette célébration. Pour Kouamé Evrad, secrétaire comptable, la fête se résume à une journée de gaieté pour la nation. Des jeunes se contentent de participer aux festivités sans forcément leur accorder une autre valeur. « Je compte me rendre dans mon village afin de la célébrer avec mes amis de génération », ajoute-t-il.
Pour certains, la fête n’a pas de réelle valeur
Si la fête de l’indépendance revêt une importance historique et même culturelle pour certains, pour d’autres, elle n’a pas de véritable valeur.
Certains jeunes se montrent indifférents, notamment ceux qui considèrent cette journée comme une simple occasion de repos ou de sortie, sans grande signification patriotique.
Pour Natacha N’Da, leader de jeunesse originaire de la région de l’Iffou et animatrice radio, l’indépendance d’un pays ne doit pas se limiter à une commémoration festive et annuelle. Elle doit aller au-delà, en englobant une indépendance politique, économique, financière et sociale. « En parlant de la jeunesse, couche sociale à laquelle j’appartiens, je ne suis pas du tout indépendante », affirme-t-elle.
C. Peguy, 28 ans, restauratrice à Grand-Bassam, est plus catégorique « Honnêtement, ça ne me fait ni chaud ni froid. À Kanga Nianzé pourtant, tout le monde est mobilisé. Plusieurs activités sont prévues. » Pour elle, l’indépendance est devenue « quelque chose de naturel », donc il n’y a rien d’exceptionnel.
Mariam Samaké, 21 ans, coiffeuse à Abidjan, renchérit « Chaque année, on sort les drapeaux, on danse, les politiciens parlent… mais nos réalités restent les mêmes. Pas d’emploi, pas d’eau potable dans certains quartiers, des jeunes qui galèrent. » Pour elle, l’indépendance n’est que sur le papier. Dans la vie quotidienne, les jeunes ne la ressentent pas. « Alors célébrer, oui, mais à quoi bon si les choses ne bougent pas vraiment ? », déplore-t-elle.
« Être indépendant, c’est faire le choix de dépendre de soi-même dans toutes les décisions. Mais, en ce qui concerne notre pays, je ne pense pas que ce soit le cas. Sur le plan économique, politique et dans les relations bilatérales, je ne perçois aucune indépendance. C’est plutôt une dépendance voilée », déclare Bonzo Modeste, président des jeunes du quartier des 120 logements à Daoukro.
Koné Florence, 19 ans, nouvelle bachelière à Bangolo, abonde dans le même sens. Elle soutient que malgré l’indépendance physique, le pays reste influencé par l’Occident, notamment sur les plans culturel et politique. « Pour moi, une vraie indépendance passe aussi par la liberté de penser et d’agir par nous-mêmes », insiste-t-elle.
La fête de l’indépendance est ainsi perçue comme politique ou institutionnelle, centrée sur les cérémonies officielles (défilés militaires, discours présidentiels), sans réelle inclusion de la population, notamment de la jeunesse.
Elle devient de ce fait une tribune pour des revendications sociales et économiques sous-jacentes. Les jeunes relèvent la persistance des inégalités, du chômage et de la corruption. Nombre d’entre eux considèrent l’indépendance comme un idéal inachevé.
Amener la jeunesse à adopter une perception plus constructive de la fête de l’indépendance
Le président exécutif de la Jeune Chambre Internationale de Boundiali (JCI Boundiali), Soro Donafouo Ousmane, préconise une implication plus grande de la jeunesse afin de renforcer la participation des organisations de jeunes et de susciter un esprit civique et patriotique. Il suggère également la valorisation des initiatives locales pour promouvoir l’artisanat, la gastronomie et les valeurs culturelles de chaque région.
Akassou Médard, originaire de Daoukro, journaliste et animateur à la radio La Voix de l’Iffou, soutient cette idée. Il estime qu’il faut laisser les jeunes s’exprimer et leur permettre de s’affirmer à travers des projets et des prises de décision.
Pour Léonard Tanoh, ouvrier du bâtiment à Bonoua, il s’agit de rendre l’indépendance plus concrète pour tous, et surtout pour les jeunes, afin qu’ils se sentent plus impliqués dans la vie de la nation, et donc dans la célébration de son anniversaire.
L’organisation tournante de la fête dans les différentes villes de la Côte d’Ivoire semble être une solution pour susciter l’intérêt des jeunes. Le président des jeunes de la zone nord de Duékoué, membre de la Cellule de gestion des élections du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) (CEGEL) au niveau départemental, Djiguiba Camara, estime que cette décentralisation redonne de la ferveur aux populations.
« Cela permettra non seulement de créer plus d’engouement, mais aussi de motiver davantage la population », a-t-il indiqué, espérant que la prochaine édition aura lieu chez lui, à Duékoué.
Alors que la Côte d’Ivoire célèbre chaque année son indépendance dans la solennité, les perceptions contrastées de sa jeunesse interrogent sur le sens réel de cette commémoration aujourd’hui. Entre attachement à l’héritage des anciens et indifférence face à des défis jugés plus pressants, la fête nationale devient un miroir révélateur des aspirations et des attentes des jeunes.
(AIP)
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