Abidjan, 1er août 2025 (AIP)- Le réseau Alliance Droits et Santé (ADS) est une initiative de la société civile ouest africaine née en 2013 dont l’objectif est d’améliorer la santé des femmes et des filles en droits et la santé sexuelle et reproductive, la planification familiale et les violences basées sur le genre (VBG) des pays de la sous-région, à savoir, le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger et le Sénégal. L’alliance regroupe 22 associations de jeunes et de femmes spécialistes du domaine.
Le réseau ADS est porteur de l’initiative « Alliance Transformative » dont l’objectif est de soutenir la force transformative des mouvements collectifs de la société civile pour accélérer, par des actions de plaidoyer, la progression des Droits à la santé sexuelle (DSS), c’est-à-dire, sensibiliser, mobiliser et renforcer l’engagement des différents acteurs politiques dans les six pays membres et au niveau régional.
L’AIP a interrogé le porteur de cette initiative, Ghislain Pélibien Koulibaly, sociologue, champion national de la masculinité positive, et par ailleurs président du Réseau des hommes engagés pour l’égalité du genre en Côte d’Ivoire. Interview
AIP : Comment définissez-vous les Violences basées sur le genre (VBG) ?
Les VBG sont l’expression de la violation flagrante des droits humains. C’est un acte perpétré contre le gré d’autrui, qui est déclenché par des stéréotypes. Malheureusement, on utilise soit le sexe, l’ethnie, ou la race pour discriminer ou soumettre, en s’inscrivant dans une logique de domination. Il y a plusieurs types de VBG, mais la caractéristique unique, est que l’acte posé est fait sans un consentement commun et/ou non éclairé.
On peut citer entre autres, les viols, les cas d’agressions physiques ou de violences physiques, les mutilations génitales féminines (MGF), le mariage précoce et/ou forcé, les violences psychologiques et émotionnelles…
AIP : Pourquoi soutenez-vous l’initiative « Alliance Transformative » de lutte contre les VBG ?
Cette initiative est une aubaine pour que les réseaux d’organisation de la société civile des six pays de se mettre ensemble pour mettre le doigt sur des problématiques du droit à la santé sexuelle et reproductive. Elle permettra de prévenir et de lutter contre les VBG qui sont un frein au développement économique et social de ces pays. On peut dire que la persistance des VBG maintiennent nos pays en voie de développement dans une situation de précarité ou de pauvreté. Le plaidoyer du réseau est fait auprès des décideurs pour que les VBG soient une priorité nationale.
Lorsqu’on positionnait l’approche genre dans nos pays africains, il y avait des résistances au niveau des hommes alors que le genre est une approche de développement inclusive. Ainsi, le 13 juillet 2019, nous avons créé le Réseau des hommes engagés pour l’égalité de genre en Côte d’Ivoire, avec pour objectif d’avoir une masse d’hommes ayant pris conscience de la réalité des VBG à la fois dans nos cellules familiales, dans nos sphères professionnelles et dans nos communautés.
Les hommes doivent prôner une masculinité positive, qui commence par le respect de la dignité de la femme, qui est un être compétent, de qualité et il ne faudrait pas la confiner. C‘est le combat aux côtés des femmes pour le développement inclusif, équitable et durable. Ce réseau existe également au Congo et au Cameroun.
On peut éradiquer ce phénomène si les hommes s’engagent. Les hommes en Afrique ont le pouvoir. Ce sont eux qui ont été socialisés à l’exercice de l’autorité, à l’exercice du pouvoir. Ce sont eux qui régulent le champ de la santé sexuelle et de la reproduction. Il faut qu’ils prennent toute leur place dans ce processus de promotion des droits liés à la santé sexuelle, à la santé de la reproduction, et qu’ils arrivent à accompagner le processus de prévention et de lutte contre les VBG.
AIP : Avez-vous des chiffres sur les cas de VBG ?
En 2010, la Côte d’Ivoire a effectivement pris en charge 711 cas de VBG. En 2019, il y a eu 3.193 cas de VBG. En 2020 : 5405 cas. En 2021 : 6040 cas. 2022 : 7919 cas. 2023 : 8782 cas. Et en 2024 : 9607 cas.
Vous constatez que le nombre de cas va crescendo. Cela est dû à la synergie d’actions du gouvernement, des projets, des partenaires au développement, des organisations de la société civile et du secteur privé, qui a permis la dénonciation des cas de VBG. La sensibilisation et la formation des acteurs, l’avènement des réseaux sociaux (…), ont favorisé une culture de dénonciation.
En réalité, les cas de VBG n’ont pas vraiment augmenté, mais c’est plutôt les communautés qui ont transcendé la loi de l’omerta, la loi du silence, qui est une caractéristique de la société africaine. Les victimes ou parents des victimes ne dénonçaient pas par peur de fragiliser la cohésion sociale, le risque de prison, car généralement les bourreaux viennent de la famille, du voisinage… Les règlements se font d’habitude à l’amiable.
AIP : Quels sont les principaux défis et points d’amélioration dans la prise en charge des victimes et survivantes des VBG ?
La caractéristique commune des pays bénéficiaires de l’initiative « Alliance Transformative » est la persistance des cas de VBG. L’approche recommandée doit être une prise en charge holistique, c’est-à-dire, à la fois médicale, psychosociale, économique, juridico-judiciaire, et qui va jusqu’à la réintégration socio-économique et communautaire, selon les cas.
Cependant, le gros défi reste les infrastructures (les centres d’accueil) pour accueillir les survivantes. Prenons l’exemple d’une femme qui fuit un foyer violent, abandonne ses enfants… Faute de centres d’accueil, elle préfère rester dans ce foyer malgré les violences, parce qu’elle ne sait pas où partir. Mieux, nous sommes en Afrique où les femmes sont formatées à encaisser les coups et à ne surtout pas divorcer, sinon elle sera mal perçue.
L’autre défi majeur est la traçabilité des victimes ou des survivantes, « les perdues de vue » dans les mécaniques de référencement et de contre-référencement. Il faut encore plus d’efforts malgré l’existence de plateformes de lutte contre les VBG.
Dans cette dynamique, chaque pays s’est doté d’une Stratégie nationale de lutte contre les VBG. Celle de la Côte d’Ivoire a été élaborée en 2012 et diffusée en 2014-2015. Pour l’opérationnalisation, il existe le Programme national de lutte contre les VBG (PNL-VBG) qui s’appuie sur la centaine de plateformes (à travers les centres sociaux, les complexes socio-éducatifs, les points focaux de la police et/ou de la gendarmerie), réparties sur tout le territoire national. Ces plateformes sont composées de travailleurs sociaux, de médecins, de la police et de la gendarmerie, de guides religieux, de chefs traditionnels…
AIP : Qu’est-ce qui explique malgré tout la persistance des VBG malgré les lois et les campagnes de sensibilisation ?
Nous sommes optimistes, parce que le changement de mentalité, d’attitude et de comportement vient avec le temps. Le gros défi est sociologique, c’est-à-dire, la perception traditionnelle qu’a la société et la communauté face aux femmes. Il faut une tolérance zéro pour appliquer les textes, c’est très important. Il y a eu beaucoup de campagnes de sensibilisation. A un moment donné, il va falloir sanctionner. Savez-vous que le harcèlement sexuel en milieu professionnel fait que beaucoup de femmes ne saisissent pas l’opportunité de travailler durablement ? La promotion de certaines femmes est brusquement interrompue à cause des cas de harcèlement. Il faut dénoncer!
Lorsque nous sommes en milieu scolaire, c’est encore plus grave. Le maintien de la jeune fille est problématique à cause des grossesses en milieu scolaire, ou encore les cas d’hygiène menstruelle mal gérées.
Nous pensons qu’en dépit de ces difficultés, il faut toujours espérer, parce que la synergie des acteurs, le gouvernement, le secteur privé, les partenaires au développement et la société civile est en train de payer.
AIP : Quels ont été les grands succès dans l’histoire de la Côte d’Ivoire en termes de mesures politiques dans la lutte contre les VBG ?
Lorsque nous regardons le cadrage normatif, la Côte d’Ivoire s’est dotée d’une constitution dont la disposition 35 interdit toutes les formes de discrimination.
La deuxième chose, c’est que nous avons des lois spécifiques, telle que celle de 1998 qui interdit tout ce qui est MGF, mariage précoce, mariage forcé. Il a aussi la stratégie nationale de lutte contre les VBG qui a donné naissance à une centaine de plateformes.
Nous plaidons pour l’Etat fasse de la lutte contre les VBG, une priorité. Il faut l’engagement de tous les ministères parce que c’est une problématique transversale.
AIP : Un espoir, un rêve pour un monde sans VBG?
Notre objectif est d’avoir une société africaine qui présente un environnement inclusif et sécurisé où les droits humains ont droit de cité que l’on soit un homme ou une femme. Nous faisons également un plaidoyer pour que l’État puisse allouer des ressources financières conséquentes pour la mise en œuvre du plan d’actions de notre stratégie nationale, mais aussi en associant les organisations de la société civile qui se retrouvent au sein du réseau.
(AIP)
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