Reportage réalisé par Adrienne Ehouman
Abidjan, 08 août 2025 (AIP) – Kafolo, Nord-est ivoirien, jadis synonyme d’insécurité, ce village à la lisière de la réserve de la Comoé attire aujourd’hui l’attention pour une tout autre raison, celle de ses femmes. Bras couverts de poussière rouge, gants de jardinage enfilés, elles plantent des centaines d’arbres fruitiers. Leur ambition : reboiser, entreprendre et transformer Kafolo en un modèle de résilience rurale.
À l’origine de ce renouveau, le « Relais de l’Espoir », un programme lancé en juin, puis en août 2025 par l’ONG FESATEL. Pendant six jours, des sessions de formations, des ateliers citoyens et des actions écologiques ont mobilisé près de 150 femmes, bien au-delà des 100 initialement attendues. Dans ce coin longtemps laissé en marge, l’initiative redonne confiance et ouvre la voie à une nouvelle identité, celle d’un village où la paix rime avec développement.


Un voyage au bout de la piste
Rejoindre Kafolo depuis Abidjan, c’est parcourir 614 km en douze heures, alternant goudron et pistes de latérite rendues boueuses par la saison des pluies. Depuis Nassian, dernier carrefour asphalté, les trente derniers kilomètres se font à vitesse réduite, entre flaques, ornières et poussière rouge.
À l’arrivée, le village s’ouvre au visiteur avec une image inattendue : un hôtel moderne, propriété du député local, trônant à l’entrée. Les cases, elles, se dispersent entre champs de sorgho et amandiers de karité. C’est la pleine saison de récolte au cours de laquelle les femmes, pagnes noués à la taille et paniers sur la tête, s’activent dans les champs, échangeant rires et salutations complices.
Kafolo, de la peur à la stabilité
Ce nom a longtemps évoqué les attaques djihadistes de 2020 et 2021, qui ont coûté la vie à plusieurs soldats et à un civil. Depuis, l’armée a installé une unité spéciale et les autorités ont mené une lutte acharnée contre l’orpaillage clandestin.
Aujourd’hui, plus de 25 km séparent Kafolo de toute activité suspecte. L’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT) a salué, en mai 2025, la stratégie ivoirienne, qui combine réponse sécuritaire et actions sociales. Au bout des efforts, un climat de confiance s’est installé entre forces de défense et habitants.
« Kafolo est un village en pleine expansion, riche surtout de ses femmes », affirme le chef Bamba Tiémoko, qui énumère les acquis. Il s’agit d’un centre de santé, d’un collège de proximité, de l’extension du réseau électrique, ainsi que du reprofilage et bitumage en cours. « Sans suivi, beaucoup de projets meurent vite », prévient-il.
Des femmes au cœur de l’économie… mais à l’écart des décisions
La vie y est chère à Kafolo. Un poulet à 7 000 F CFA, le cabri à 75 000, le sac de riz à 30 000 FCFA, la tomate à 100 FCFA la pièce. Cependant, les denrées arrivent difficilement à cause des pistes impraticables. Les femmes tiennent pourtant l’économie locale, notamment la culture de l’anacarde, la transformation du karité, la vente de produits agricoles.
« Elles travaillent sans relâche, mais restent souvent en marge des décisions communautaires », regrette le chef du village. C’est précisément ce constat qui a guidé le choix de l’ONG Femmes savantes terres libres (FESATEL).
« Nous voulions aller là où les besoins sont les plus criants, là où les femmes sont actives mais peu accompagnées. Kafolo était un pari, presque un appel du cœur », confie la présidente de l’ONG, Dorine Gbalou.
Du 16 au 19 juin puis du 1er au 3 août 2025, le foyer des jeunes s’est transformé en une salle de classe. Modules sur le droit au consentement, l’entrepreneuriat féminin, la gestion des revenus et l’écologie communautaire ont rythmé les journées.
« Apprendre à dire “oui” ou “non” à un projet qui nous concerne, c’est essentiel », témoigne une participante. Le chef du village, présent à plusieurs sessions, y voit « une prise de conscience inédite ».
Un atelier sur la gestion financière a marqué les esprits, à savoir l’épargne, l’anticipation des dépenses, la sécurisation de l’avenir des enfants. « Il ne s’agit pas seulement d’argent, mais de dignité et de sécurité familiale », insiste Mme Gbalou.

Le geste qui plante l’avenir
La mise en terre de près de 300 anacardiers et de 100 plants d’akpi, en présence du chef des Eaux et Forêts de Kong, le commandant Zimien Léonard. « La Côte d’Ivoire a perdu 14 millions d’hectares de forêts. Il n’en reste que deux millions. Ces arbres, dans cinq à dix ans, pourront créer des emplois », souligne-t-il.
Entre deux ateliers, des chants et rires fusent. « On apprend, on rit, on pense à l’avenir », glisse Lessou Maman Marie, sourire aux lèvres.
Prévue pour 100 femmes, la formation en a attiré près de 150. « Chaque jour, de nouvelles arrivaient. Elles avaient soif d’apprendre », raconte la présidente de l’ONG FESATEL. L’initiative a également séduit le député Diomandé Abdoulaye Karim, qui promet d’intégrer l’ONG à ses projets de développement.
Le chef du village a offert un hectare de terre pour le reboisement et un quart d’hectare supplémentaire pour un futur jardin communautaire. Une base locale de FESATEL sera implantée pour assurer le suivi, et un plaidoyer sera adressé au ministère de la Femme et au cabinet de la Première dame pour appuyer l’installation d’une unité de transformation agricole.
Vers un “label Kafolo”
Au-delà de la formation, une ambition émerge, à savoir créer des produits du terroir (huile, condiment, pâte de tomate) qui deviendraient un label Kafolo. L’objectif est de générer à la fois des revenus et une identité économique forte.
« Nous voulons construire avec elles, pas à leur place. Beaucoup d’initiatives échouent faute de suivi. Nous, nous restons », affirme Dorine Gbalou.

Une renaissance patiente mais sûre
Au moment du départ, Kafolo ne semble déjà plus tout à fait le même. Les regards sont plus confiants, les idées bourgeonnent, les jeunes plants attendent la pluie. Lentement mais sûrement, ce village longtemps meurtri se réinvente.
Pour Dorine Gbalou, « ces femmes ne demandent pas la charité, mais des outils pour bâtir. Elles sont notre levier de transformation ».
Avec l’engagement communautaire, l’amélioration des infrastructures et la stabilité retrouvée, Kafolo pourrait bien devenir un modèle de résilience rurale en zone post-conflit. Ici, la reconstruction ne se mesure pas seulement en routes ou en bâtiments, mais aussi en cohésion sociale, en confiance retrouvée et en graines plantées pour l’avenir.
(AIP)
Eea/kp