Abidjan, 16 oct 2025 (AIP)- Les tribunaux de Côte d’Ivoire sont confrontés à des contentieux qui touchent le secteur immobilier et foncier qui mettent souvent en mal la cohésion sociale. Ce constat a été dressé le 8 novembre 2024 par la présidente de la Cour d’appel de Daloa, Fian Adou Rosine, lors de l’audience solennelle de la rentrée judiciaire, soulignant que les tribunaux de son ressort sont littéralement submergés par la multiplication des litiges fonciers.
« C’est d’ailleurs le plus important en chiffre du contentieux en matière civile », a souligné la magistrate qui a fait savoir que la plupart de ces litiges portent sur la propriété d’une même parcelle revendiquée par plusieurs personnes au nom de la même coutume.
Les litiges fonciers s’accumulent en partie parce que l’application de la loi relative au foncier rural donne lieu à des procédures « complexes » qui retardent le traitement des dossiers par les juridictions, a justifié Mme Fian. Elle a relevé que le constat n’est pas spécifique aux tribunaux et aux sections de tribunaux de la Cour d’appel de Daloa mais aussi des autres juridictions compétentes sur le territoire national.
Pour sa part, le président du Tribunal de première instance de Yopougon, Kacou Bredoumou, a révélé que plusieurs contentieux affectent le secteur bancaire. Il s’exprimait lors de la deuxième session de formation au profit des acteurs de banques et établissements financiers sur les modes alternatifs de règlement de litiges.
Parmi ces contentieux, figurent les litiges liés aux comptes bancaires, conflits autour des prélèvements abusifs de frais bancaires, contentieux du crédit bancaire et du recouvrement, litiges relatifs aux instruments de paiement, questions de responsabilité civile du banquier et contentieux des sûretés bancaires.
Face à cette situation, comment les modes alternatifs de règlement de litiges de la Cour d’ Arbitrage de Côte d’Ivoire (CACI) peuvent être appliquées pour résoudre les litiges suscités?
# La CACI, une alternative à la justice étatique
Face à la complexité croissante des affaires et à la nécessité de célérité, de confidentialité et de technicité, l’ État a reconnu la légitimité des modes extrajudiciaire. En effet, la Cour d’Arbitrage de Côte d’Ivoire (CACI), créé en 1997 par la Chambre de Commerce et d’Industrie de Côte d’Ivoire (CCI-CI), s’impose de plus en plus comme une institution incontournable pour simplifier la gestion des contentieux avec les modes alternatifs de règlement de litiges (MARL), aux côtés des tribunaux judiciaires.
Au cœur de la mission de la CACI réside la volonté de fournir aux opérateurs économiques et aux particuliers des alternatives efficaces pour la résolution de leurs litiges. À cet égard, la CACI remplit pleinement sa mission en mettant à disposition des règlements de procédure adaptés aux divers besoins des parties. Parmi ceux-ci, figurent le règlement d’arbitrage, le règlement de médiation, le règlement de référé arbitral, le règlement sur le recouvrement accéléré des créances et le règlement d’expertise. La diversité des règlements proposés témoigne de l’ engagement de la CACI à répondre aux besoins variés des acteurs économiques.
L’importance de la CACI dans le paysage juridictionnel ivoirien ne peut être sous-estimée. Son objectif principal demeure la création d’un environnement propice au règlement rapide et efficace des litiges commerciaux, favorisant ainsi un climat de confiance et de sécurité pour les investisseurs.
“Un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès”, a rappelé le secrétaire général de la CACI, Diakité Mamadou, en mettant ainsi en lumière l’intérêt de solutions alternatives pour désengorger les juridictions étatiques et offrir l’ opportunité d’ une justice gagnant-gagnant pour les justiciables.
Selon M. Diakité, la CACI propose aux opérateurs économiques et à toute personne qui le souhaite, une alternative crédible à la justice étatique par la mise en œuvre d’une justice privée, légalement encadrée, pour le règlement de leurs litiges d’ affaires, en toute confidentialité, rapidité et sérénité.
# Les principaux MARL
L’élément déclencheur des modes alternatifs de règlement de litiges (MARL) en Côte d’Ivoire est l’existence, entre les parties, d’une convention par laquelle elles soustraient le règlement de leur litige aux juridictions étatiques pour le confier à la voie amiable (médiation) ou juridictionnelle (arbitrage).
S’agissant de l’arbitrage, il s’agit d’un mode de règlement juridictionnel par lequel les parties soumettent leur différend à un tribunal arbitral composé de personnes de leur choix (les arbitres). La sentence rendue a la même valeur juridique qu’une décision de justice étatique, mais l’avantage principal réside dans la rapidité (un délai de six mois pour la procédure ordinaire) et la confidentialité absolue de la procédure.
“L’arbitrage est un modèle de résolution des conflits par lequel les parties en litige confient à un tiers ( le Tribunal arbitral) le soin de trancher leur litige”, a souligné M. Diakité.
La médiation, quant à elle, est un processus amiable et volontaire où un tiers neutre et impartial (le médiateur) aide les parties à trouver elles-mêmes une solution négociée à leur différend dans un délai de trois mois. Plus souple, la médiation permet de préserver les relations d’affaires, un atout majeur dans le monde du commerce.
“La méditation est un modèle amiable de règlement des litiges par lequel un tiers indépendant, neutre et impartial, formé à la méditation, désigné ( médiateur), aide les parties à trouver, elles-mêmes, une issue négociée à leur différend”, a expliqué le secrétaire général de la CACI, le magistrat hors hiérarchie, Diakité Mamadou.
De plus, la CACI offre la procédure “expertise” aux parties à un contrat qui recherchent la solution à un litige d’ordre technique, contractuel ou financier, soit au tribunal arbitral dans le cadre d’un procès ou au médiateur, pour être éclairées, à dire d’ expert, sur la valeur de leurs arguments ou prétentions respectives, selon son SG.
# Un bilan élogieux
Depuis sa création, la CACI a démontré son utilité. Les chiffres récents témoignent de l’adoption croissante de ces modes alternatifs. À la date du dernier rapport public disponible, l’institution avait enregistré 317 dossiers en arbitrage, 191 ont abouti à des décisions. En médiation, 89 décisions ont été rendues sur 210 dossiers, touchant des secteurs variés tels que le commerce, le foncier, les banques, les assurances et les télécommunications.
L’information a été livrée le 1er août 2025 par le secrétaire général de la Cour d’Arbitrage de Côte d’Ivoire, Mamadou Diakité, alors invité de la rédaction du groupe Fraternité Matin.
En outre, sur 150 dossiers d’arbitrage enregistré de mai 2015 au 6 mai 2024, 147 ont fait l’objet de sentences rendues, en application du droit et l’un des trois cas d’amiable composition, dans le cadre des réunions préliminaires a été, finalement tranché par sentence d’accord parties.
Ce constat de Maître Mohamed Lamine traduit la tendance des plaideurs qui tend à privilégier des résultats exclusivement favorables à leur cause et d’ une certaine méconnaissance des avantages que les parties pourraient tirer de l’amiable composition, qui repose grandement sur l’ équilibre des intérêts respectifs des opérateurs économiques qui ont, pour vocation à se côtoyer ou à cultiver des perspectives d’affaires dans le temps.
Les litiges traités par la CACI concernent souvent des montants importants et impliquent des acteurs nationaux et internationaux, renforçant le rôle de l’institution dans la sécurisation de l’environnement des investissements en Côte d’Ivoire.
# Processus de saisine de la CACI
Avec possibilité de saisine en ligne et dans les délégations régionales de la Chambre de Commerce et d’ Industrie de Côte d’Ivoire, la CACI offre un répertoire des arbitres, médiateurs et experts. Elle encourage les opérateurs économiques à recourir à elle en insérant “des clauses compromissoires CACI et des clauses de médiation CACI” dans leurs conventions.
« A la CACI, la confidentialité est essentielle pour les opérateurs économiques. Les arbitres choisis par les parties sont en civil, tout comme les avocats. Lors des audiences, seules les parties et les avocats ont accès à la salle. Nous travaillons en toute discrétion. Les décisions arrêtées par la CACI ont valeur juridique » a affirmé son SG, Diakité Mamadou.
D’ailleurs, la Cour d’Arbitrage de Côte d’Ivoire présente de nombreux avantages car elle est choisie par les justiciables pour sa rapidité dans le traitement des dossiers, la discrétion assurée tout au long du processus, la qualification, technicité et compétences des intervenants, caractère obligatoire des décisions rendues, pour une justice “gagnant-gagnant”.
# La CACI, une actrice au service du climat des affaires
La CACI ne se contente pas de régler les conflits. Elle joue également un rôle actif dans la promotion de la justice alternative et à sa diffusion auprès de tous les acteurs économiques et des professionnels du droit. En collaboration avec des partenaires comme la Coopération allemande (GIZ), elle organise régulièrement des séminaires et formations à l’intention des opérateurs économiques, des magistrats et des professionnels du droit. Entre septembre et décembre 2024, la Cour d’Arbitrage de Côte d’Ivoire a initié un programme de renforcement des capacités à l’intention des acteurs économiques et judiciaires, axé sur un contexte économique marqué par une multiplication des litiges dans divers secteurs d’activités.
Ce programme a été mis en œuvre en partenariat avec le projet “Promotion des réformes économiques et investissements (ProREI)”, financé par le ministère de la Coopération économique et du développement de la République Fédérale d’Allemagne (BMZ) et exécuté par la coopération allemande (GIZ), sous la tutelle politique du ministère du Commerce et de l’Industrie. Cette initiative a mobilisé plus de 500 participants à Abidjan, Bouaké, Yamoussoukro, Bondoukou, Abengourou et Dimbokro. L’objectif était d’ancrer les MARL dans les réflexes du monde des affaires ivoirien pour garantir une meilleure sécurité juridique et fluidité des transactions.
Avec le soutien du gouvernement et des acteurs judiciaires, la Cour d’Arbitrage de Côte d’Ivoire se donne désormais le défi de faire d’Abidjan une référence en matière d’arbitrage en Afrique de l’Ouest dans les années à venir.
(Par Tanguy Gagié)
(AIP)
tg/cmas
————
# Encadré
L’amiable composition à l’aune de l’équité
Selon l’ avocat au Barreau de Côte d’Ivoire, Maître Mohamed Lamine Faye, le règlement alternatif, à la voie judiciaire étatique, d’éventuels différends nés à l’occasion de l’interprétation, de l’exécution ou de la fin d’une convention de nature économique, confère aux parties un rôle déterminant à la résolution des litiges. Elles la maîtrisent totalement en cas de résolution par la conciliation ou la médiation dont l’objectif identique est de parvenir à une solution à l’ amiable, en faisant l’économie d’un contentieux.
En cas de recours à l’arbitrage, au terme duquel un tribunal arbitral tranchera définitivement le différend par une sentence ayant vocation à s’ imposer aux parties litigantes.
Dans le cadre de l’arbitrage institutionnel en Côte d’Ivoire, les dispositions combinées de l’article 15 de l’acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage et de l’article 18 du règlement d’arbitrage de la Cour d’Arbitrage de Côte d’Ivoire (CACI), permettent aux parties de décidé, formellement, de conférer au tribunal arbitral le pouvoir d’ écarter l’application des règles de droit au fond, pour statuer en amiable compositeur.
Le choix de l’amiable composition résulte de la volonté conforme et univoque, que les parties formalisent dans une clause compromissoire insérée dans le contrat, objet du différend ou dans un compris écrit, convenu antérieurement à l’assistance arbitrage ou dans le cadre de la réunion préliminaire obligatoire, dont le procès verbal fera l’Office d’ordre de mission auquel le tribunal arbitral sera tenu de se conformer tant, dans le cours de l’ instruction, que dans la motivation de la sentence.
Il oblige le tribunal arbitral à statuer en équité et, même dans l’hypothèse où il entendrait se référer à l’application d’une règle de droit, dans la motivation de la sentence, à préciser en quoi cette règle est conforme à l’ équité.
D’ailleurs, l’équité renvoie aux notions, latine “aequitas” et anglo-saxonne “équité” à l’ origine de “lex mercatoria”, par laquelle l’arbitre tranche un différend, moins en application du droit formel qu’au regard des us et coutumes d’une activité, de la loyauté et la bonne foi, de sorte à établir un juste équilibre entre la stricte application du droit et la légitime aspiration à la justice qui permet aux parties de conférer au juge de statuer “ex aequitas et bono (selon ce qui est équitable et bon). Maître Faye précise qu’elle est usitée tant dans la “commom law”, que dans le code civil, pris notamment en l’article 1134, alinéa 3, qui oblige les parties à exécuter “de bonne foi”, les conventions auxquelles elles sont parties et en l’article 1135 qui vise formellement les “suites que l’équité donne à l’ obligation d’après sa nature”.
(AIP)
tg/cmas