Interview réalisé par Adrienne Ehouman
Abidjan, 7 juillet 2023 (AIP) – Le district d’Abidjan compte 154 zones à risque aggravées par le changement climatique. Lors d’une interview accordée le vendredi 30 juin 2023 à l’AIP, le directeur général adjoint de l’Office national de la protection civile (ONPC), le Colonel Fanoux Jean De Clarence, a appelé les populations d’Abidjan à être plus vigilantes pendant cette saison des pluies.
AIP : Nous sommes en pleine saison des pluies. L’ONPC est chargé de mettre en œuvre la politique gouvernementale en matière de protection civile. Quelles sont les mesures prises pour assurer la sécurité des populations face aux fortes pluies, amplifiées par le changement climatique ?
Col. Fanoux Jean De Clarence : Nous apprécions cette occasion de nous adresser de nouveau à la population. L’ONPC, dans son rôle de protection des populations et de préservation des biens, reçoit ses directives du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité. Ce ministère définit les grandes orientations gouvernementales pour mieux appréhender la saison des pluies.
La Côte d’Ivoire n’est pas seule à faire face aux inondations liées au changement climatique. La pluie, bien qu’un phénomène naturel nécessaire à l’agriculture, pose des défis particuliers avec le changement climatique.
Dans l’exercice de sa mission, l’ONPC a identifié les zones à risque au sein des communes et des départements. Nous avons recensé 154 zones à risque dans le district d’Abidjan. Chaque commune ou quartier a ses propres zones à risque, comme la Palmeraie, Angré et la cité Fandasso à Cocody, sujets aux inondations annuelles en raison du manque d’infrastructures pour évacuer les eaux de pluie. Attécoubé, également confrontée à des zones à risque, a récemment nécessité notre intervention suite à un glissement de terrain tragique, ayant emporté une famille de cinq personnes. Yopougon et Abobo ont également des zones à risque, telles qu’Abobo Samaké, Abobo Clouetcha et Abobo Marre aux Crocodiles, où les habitations sont inondées dès les premières pluies en raison de leur emplacement dans des bassins d’orage.
Les départements et les régions présentent également des zones à risque, que nous traitons en coordination avec les préfets. Toutefois, le risque est exacerbé par la pression démographique et foncière croissante. Les constructions non conformes aux normes d’urbanisation et de construction sont un problème, souvent attribuées par des chefs de terre sans plan d’aménagement. Par exemple, à l’entrée de Yopougon par Gesco, des lotissements illégaux sans fin sont présents. Sur les flancs collines, des constructions illégales se multiplient, aggravant le risque de glissements de terrain, accentué par le sol argileux d’Abidjan. Le changement climatique, en augmentant les précipitations, aggrave encore ces risques.
AIP : Certains ont l’impression que rien n’est fait pour aider les populations. Pouvez-vous nous expliquer les actions entreprises après l’identification de ces risques ?
Col. Fanoux : Après avoir identifié ces zones à risque, nous mettons en œuvre trois étapes d’actions : avant, pendant et après les inondations.
Avant les inondations, nous adoptons des mesures actives et passives. Une fois le risque identifié et cartographié, nous analysons les facteurs pouvant provoquer une inondation ou présenter des dangers potentiels. Ensuite, nous proposons des solutions pour protéger les populations et les infrastructures.
Par exemple, une habitation située en bas d’une colline est exposée à un risque de glissement de terrain lors de fortes pluies. Quelle est la solution proposée ? Que faire ?
Il est nécessaire de définir un périmètre de sécurité et d’évacuer les populations exposées au risque, car la maison est vulnérable. Un glissement de terrain pourrait entraîner la perte de vies. Il faut déplacer les populations de cet endroit. Nous proposons donc des mesures actives d’aménagement du territoire, comme la construction d’un mur de soutènement en béton pour protéger le talus, la création d’un passage pour l’eau, et un système de drainage pour évacuer les eaux de pluie, afin d’éviter qu’elles n’entrent dans les habitations.
Nous présentons des mesures actives d’aménagement du territoire, notamment la construction d’un mur de soutènement en béton pour protéger le talus, la création de passages pour l’eau, et l’installation d’un système de drainage afin de prévenir l’infiltration des eaux de pluie dans les habitations. Souvent, les lotisseurs ne prennent pas en compte les voies, les réseaux, ni les canalisations.
En collaboration avec les ministères techniques chargés de l’assainissement, de la construction, de l’équipement routier, et en partenariat avec la Croix-Rouge, nous évaluons les risques et proposons des mesures actives, telles que la libération des ouvrages d’assainissement obstrués par des déchets ou des habitations.
Certains cours d’eau naturels sont également bloqués par des constructions, nécessitant leur libération, comme cela a été réalisé à Bonoumin et à la Palmeraie (Abidjan-Cocody), avec le redimensionnement des caniveaux.
Ces actions ont permis de réduire les risques, mais l’aménagement en amont crée parfois de nouveaux dangers, avec des constructions dans des zones naturellement sujettes aux inondations, telles que la ligne de thalweg, une fosse naturelle en dépression qui constitue une zone à risque où l’eau s’écoule.

AIP: Qu’est-ce qui a été fait pour prévenir les pluies diluviennes que nous connaissons actuellement ?
Col. Fanoux : Pour prévenir les pluies diluviennes actuelles, des mesures actives sont prises en collaboration avec des partenaires tels que l’Office national de l’assainissement et du drainage (ONAD) et la Direction de l’équipement et de l’entretien routier. L’ONAD a construit des bassins d’orage à Bonoumin, Abobo et d’autres quartiers pour recueillir les eaux de ruissellement et éviter les dégâts.
En plus de ces actions, des mesures préventives sont mises en place par la sensibilisation des populations aux risques et à l’éducation sur la gestion des risques.
La sensibilisation est cruciale car les populations sous-estiment souvent les dangers. Il est essentiel d’éduquer les parents pour qu’ils conseillent leurs enfants à éviter de jouer sous la pluie ou dans des zones inondées. Les populations sont également encouragées à adopter des comportements sûrs, en respectant les consignes de sécurité gouvernementales.
Par exemple, lors de fortes pluies, il est essentiel de ne pas s’engager sur des voies inondées pour préserver sa vie. Les risques d’électrocution sont également présents en cas de vents violents, lorsque des fils électriques tombent et se retrouvent dans l’eau.
Un système d’alerte, en partenariat avec la Société d’exploitation et de développement aéroportuaire, aéronautique et météorologique (SODEXAM), utilise des pluviomètres et des logiciels pour mesurer et évaluer l’impact des précipitations. Les alertes sont diffusées par le Centre d’information et de communication gouvernemental (CICG) aux services municipaux et à la population via nos plateformes WhatsApp et des secouristes bénévoles sont mobilisés, orientés vers les populations en détresse.
Comme vous pouvez le constater, il s’agit d’une organisation complexe, impliquant de nombreux acteurs dans la gestion des crises, en particulier des inondations.
C’est ce que nous faisons pendant la saison des pluies. Par exemple, récemment, le jeudi 29 juin, nous avons reçu une demande de secours du quartier Tanga à Grand-Bassam, où le niveau de l’eau avait dépassé un mètre. Une équipe de sauvetage aquatique du centre de secours d’urgence de Grand-Bassam a été immédiatement dépêchée sur place. À l’aide de bateaux pneumatiques, elle a évacué les populations en danger. Nous sommes ainsi engagés dans la protection des habitants touchés par les inondations.
Après les inondations, notre intervention se prolonge avec la gestion post-inondations. Nous contribuons à la réhabilitation des habitations submergées en effectuant le nettoyage et la désinfection. Le ministère chargé de la Solidarité témoigne de la solidarité de l’État de Côte d’Ivoire en accompagnant les populations vers la résilience.
Ainsi sont résumées nos actions durant la période pluvieuse. Notre dispositif d’intervention opère en continu, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, en collaboration avec le groupement de sapeurs-pompiers militaires. Des bénévoles formés par l’ONPC aux gestes de premiers secours sont mobilisés dans les zones à risque, capables d’alerter les pompiers.

AIP: Pouvez-vous nous donner un aperçu de la situation actuelle des inondations ?
Col. Fanoux: L’ONPC, en partenariat avec le groupement de sapeurs-pompiers militaires, maintient un dispositif d’intervention opérationnel 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, depuis le début de la grande saison des pluies. Les compagnies du groupement et les 30 centres de secours d’urgence de l’ONPC travaillent sans relâche. Des bénévoles de premiers secours, mobilisés avec la Croix-Rouge, sont prêts à intervenir pour porter secours aux populations, formés aux gestes de premiers secours et capables d’alerter les pompiers.
À ce jour, nous constatons de nombreux dégâts, mais nous devons consolider les informations avant de fournir un bilan précis. Nous regrettons déjà six décès survenus à Yopougon et présentons nos sincères condoléances aux familles des victimes. Nous devons collaborer pour prévenir de nouvelles pertes humaines.
AIP: Quelles mesures spécifiques mettez-vous en place pour réduire les conséquences pendant cette saison des pluies ?
Col. Fanoux: À Abidjan, une approche préventive guide nos actions. Des visites sur le terrain permettent de détecter des anomalies et de formuler des recommandations techniques. Nous insistons sur la sensibilisation de proximité et intervenons en cas de danger imminent signalé. Nous surveillons les phénomènes météorologiques en collaboration constante avec la SODEXAM.
A l’intérieur du pays, nous identifions les zones à risque en coordination avec les préfets, et nos 30 centres de secours d’urgence sont en alerte dans les départements et les régions.
AIP: Quelles sont les zones les plus touchées par les pluies à l’intérieur du pays ?
Col. Fanoux: A l’intérieur du pays, des zones comme Agboville, Daoukro, Duékoué, et Odienné sont particulièrement affectées. Agboville voit le fleuve Agbo déborder, provoquant des dommages. Daoukro subit des inondations dues à la topographie de certaines habitations. À Duékoué, les habitations près du fleuve Guémon sont inondées pendant la saison des pluies. Entre Odienné et Minignan, le fleuve coupe la route, rendant les déplacements difficiles.
AIP: En collaboration avec les services météorologiques, quelles sont les prévisions pour les prochains jours ?
Col. Fanoux; Actuellement, la Côte d’Ivoire est en alerte jaune, déterminée par les prévisions de la SODEXAM. Les niveaux d’alerte (jaune, orange, rouge) dépendent des précipitations passées et futures. Bien que nous ayons été en alerte orange la semaine dernière, nous sommes revenus à l’alerte jaune. La saison des pluies devrait se terminer mi-juillet, selon les prévisions météorologiques, mais la vigilance demeure nécessaire.
AIP: Vous parlez des problèmes liés à l’urbanisation en Côte d’Ivoire, qui rendent votre travail difficile. Caniveaux obstrués par les déchets, constructions sur les voies d’eau, accumulation d’eau sur les chaussées, à qui la faute ?
Col. Fanoux: L’incivisme des propriétaires de maisons qui dépassent leurs propriétés et construisent sur le domaine public est un problème majeur. Pour construire sur le domaine public, une autorisation est nécessaire, mais certains n’ont pas d’autorisation et abusent en construisant au-delà de leurs limites.
Le non-respect du Code de la construction et de l’urbanisme, notamment le pourcentage de bâtiment par rapport aux espaces verts, aggrave la situation. Le code de la construction et de l’urbanisme stipule que sur une parcelle, 60% doit être bâti et 40% doit être consacré à des espaces verts, favorisant ainsi l’infiltration des eaux de pluie. De nos jours, nous constatons que certaines personnes construisent sur la totalité de leur parcelle. Les eaux qui devraient s’infiltrer, se retrouvent donc rejetées sur les chaussées, mettant ainsi la vie des populations en danger.
La forte pression démographique et foncière à Abidjan conduit à des lotissements rapides sans les infrastructures nécessaires.
De plus, certains lotissements sont réalisés sans prévoir l’infrastructure nécessaire. À Abidjan, la pression démographique et foncière est élevée.
Il y a une forte demande de logements et de terrains pour construire, ce qui conduit à des lotissements rapides sans les infrastructures adéquates, tels que des caniveaux pour évacuer les eaux de pluie vers des exutoires naturels. Les habitations se retrouvent alors submergées par les eaux de pluie. Lors de nos visites, nous formulons des recommandations, mais si l’aménageur ne les suit pas !
l’État doit intervenir pour préserver la vie des populations en reconstruisant ou redimensionnant les caniveaux. Il est également important d’exhorter les populations à ne pas jeter d’ordures ou de déchets solides dans les caniveaux. Par exemple, au rond-point de l’Indénié, les déchets jetés à Anyama se retrouvent en aval. Les populations jettent leurs déchets dans les canalisations en pensant qu’ils seront facilement emportés dans la lagune lorsqu’il pleut. On y trouve des réfrigérateurs et des matelas. Cette action crée des obstructions et provoque une montée des eaux. L’incivisme des populations et des propriétaires a un impact majeur sur les difficultés rencontrées pendant les fortes pluies.
Nous invitons donc les populations à faire preuve de civisme et à adopter un comportement responsable et citoyen.
AIP: Quels messages souhaitez-vous transmettre concernant la protection des populations pendant cette saison des pluies ?
Col Fanoux: C’est un appel à la vigilance lors des fortes pluies. Je tiens à sensibiliser les citoyens à la nécessité d’être prudents pendant les périodes de fortes pluies. Chacun doit assumer la responsabilité de sa propre sécurité. En cas de prélèvements abondants, il est impératif de rechercher un abri. Il est préférable d’arriver en retard ou de sacrifier une demi-journée, voire une journée de travail, plutôt que de mettre sa vie en danger.
S’aventurer à traverser des zones inondées peut entraîner des accidents, parfois mortels. Il est donc crucial de ne pas emprunter des routes inondées, que l’on soit à pied, à vélo, à moto ou en voiture.
Même avec une hauteur d’eau relativement faible, entre 20 et 30 centimètres, un véhicule peut flotter, perdre son adhérence et devenir incontrôlable. La pression de l’eau peut rendre difficile l’ouverture des portières, comme cela s’est déjà produit à la Palmeraie (Abidjan-Cocody). Ainsi, il est primordial d’éviter de circuler sur des voies inondées.
En cas de fortes pluies, il est essentiel de chercher un abri sec. Si vous vous trouvez dans une zone sujette aux inondations, il est recommandé de couper l’électricité pour éviter tout risque d’électrocution.
Également, il est crucial de ne pas se mettre à l’abri sous des arbres ou des poteaux électriques afin d’éviter les dangers liés à la foudre et à l’électrocution.
De plus, lorsqu’il pleut abondamment, il est essentiel de se tenir informé des prévisions météorologiques et des avertissements émis par les autorités compétentes, la SODEXAM en particulier. Suivre ces recommandations peut sauver des vies et prévenir des situations dangereuses.
En période de fortes pluies, il est également conseillé de rester à l’écoute des consignes des services de secours et d’évacuation. La collaboration avec les autorités locales est cruciale pour assurer la sécurité de tous.
En résumé, face aux intempéries, la prudence est de mise. Évitez de prendre des risques inutiles en empruntant des voies inondées, même si cela implique des retards ou des perturbations dans votre quotidien. La priorité doit être accordée à la préservation de la vie et à la sécurité de chacun. Restons vigilants, informés et solidaires pour faire face à l’ensemble aux défis qui peuvent présenter les conditions météorologiques extrêmes.

AIP: Les risques sont-ils exclusivement liés à la saison des pluies, ou existe-t-il d’autres facteurs à prendre en considération ?
Col. Fanoux: Bien que l’inondation demeure le risque prédominant, d’autres éléments doivent être pris en compte. Durant la saison des pluies, des glissements de terrain peuvent survenir en raison de la saturation rapide du sol argileux à Abidjan, le rendant imperméable lors de fortes retenues. La pression de son propre poids peut entraîner des déplacements de terre, occasionnant des glissements de terrain et des effondrements de murs insuffisamment construits.
Certains individus négligent les normes de construction, utilisant des dosages inadéquats de béton ou de ciment pour économiser, engendrant ainsi des incidents tels que des éboulements, des effondrements de murs, des glissements de terrain, et des accidents électriques.
Les vents violents pendant les orages peuvent également provoquer des ruptures de fils électriques. En outre, la construction en zones non constructibles et sur les flancs de collines représente un facteur additionnel à considérer.
AIP: Est-ce que le changement climatique rend votre travail plus complexe ?
Col. Fanoux: Nous nous adaptons aux changements climatiques dans nos interventions, sensibilisant les populations à faire de même. Nous encourageons l’adaptation aux changements climatiques et planifions des mesures supplémentaires pour maîtriser ces risques.
Le changement climatique engendre une variabilité des saisons, impactant les activités agricoles dans un pays où 60 % de l’économie est liée à l’agriculture. Face à ces perturbations, il est impératif que chacun s’engage davantage à s’adapter à cette réalité climatique, renforçant ainsi notre résilience et préférentiellement les risques.
Encadré
Mieux connaître l’Office National de la Protection Civile
L’Office National de la Protection Civile (ONPC) est une institution étatique ivoirienne, instaurée en 1961. Initialement un modeste service de protection civile, il a acquis le statut d’établissement public à caractère administratif en 2000, bénéficiant d’une dotation étatique pour son autonomie de gestion. Relevant actuellement du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité sur le plan technique et administratif, l’ONPC est chargé de la défense civile, englobant la protection des individus, des biens et de l’environnement sur l’ensemble du territoire national .
Les missions de l’ONPC reposent sur une trilogie : la prévention, l’intervention pendant les catastrophes, et les actions post-catastrophes. En tant qu’acteur clé dans la mise en œuvre de la politique de protection civile, l’ONPC forme les pompiers et autres intervenants en sécurité incendie, prévient les risques naturels et technologiques, dispense des formations aux gestes de premiers secours, et coordonne les opérations en cas de catastrophe avec différents ministères.
Toutefois, il est important de savoir que chaque individu, à son niveau, est un acteur de la protection civile.
(AIP)
eaa/tm/haa