Abidjan, 11 mai 2025 (AIP) – En pleine forêt classée de Béki, dans le département d’Abengourou, une transformation silencieuse mais spectaculaire est à l’œuvre. Sur une superficie de 16 100 hectares, cet espace forestier autrefois menacé est devenu l’un des plus remarquables exemples d’agroforesterie en Côte d’Ivoire. Ici, les cacaoyers grandissent à l’ombre des grands arbres, dans un équilibre retrouvé entre productivité agricole et préservation de l’environnement.
Une immersion dans un écosystème en renaissance
Il est midi, le mardi 6 mai 2025, lorsque l’équipe de la direction régionale de la Société de développement des forêts (SODEFOR) conduit un groupe de journalistes dans la forêt classée de Béki, à l’initiative de l’unité de coordination du Projet d’investissement forestier phase 2 (PIF 2) de la Banque mondiale.
Guidée par le colonel Dosso Amara, conseiller technique du directeur général de la SODEFOR et coordonnateur technique adjoint du Projet d’investissement forestier phase 2 (PIF 2), et le commandant Tieoulé Fabrice, directeur du centre de gestion SODEFOR-Abengourou, la délégation explore les parcelles agroforestières mises en œuvre dans cette forêt.
Dans ce sanctuaire végétal, la lumière se fraie un passage à travers les feuillages denses du fraké, bété, tiama, framiré et des jeunes cacaoyers. L’air est humide, chargé du parfum de terre fraîche. À l’abri de ces géants forestiers, un paysan s’affaire, coupe-coupe à la main. À ses pieds, les cabosses de cacao étincellent sous la rosée.
« Avant, on coupait tout. On croyait que le cacao avait besoin de soleil pour bien produire. Mais les experts nous ont appris que l’arbre protège, nourrit le sol et améliore la qualité des fèves. Aujourd’hui, je suis comblé, ma production a doublé, voire plus », confie avec enthousiasme Silué Zana, exploitant agricole. À ses côtés, Aka Edgar, un autre planteur, revient sur ses réticences initiales.
« Au début, je n’acceptais pas. On nous disait que nos champs allaient être arrachés. Finalement, j’ai vu que c’est une bonne chose. Ma production n’a pas encore augmenté, mais je reçois des primes à la vente. Et je ne pensais pas que les arbres pouvaient cohabiter avec le cacao», se confie-t-il.

Des résultats tangibles sur le terrain
L’impact de l’agroforesterie dans la forêt de Béki est indéniable. Sur près de 3.966 hectares de plantations cacaoyères, environ 2 482 hectares sont aujourd’hui en système agroforestier, intégrant reboisement et cultures vivrières.
Quatre sites majeurs visités illustrent cette réussite notamment une parcelle diversifiée où reboisement et agriculture coexistent harmonieusement, la parcelle P 19-19/2 (34,83 ha) qui utilise des essences locales adaptées à la régénération, la parcelle « DG » (P 19-95/6), modèle d’équilibre entre rentabilité économique et préservation écologique et enfin la parcelle semencière P 19-97/7, destinée à la production de semences forestières de qualité.
« Après une étude, il a été démontré que le cacao issu de l’agroforesterie n’est pas atteint par la maladie du swollen-shoot. Les fèves sont de meilleure qualité, non collantes, et les cabosses plus brillantes », explique le colonel Dosso Amara, soulignant les avantages sanitaires de ce système.
La spécialiste de l’engagement des parties prenantes à l’Unité de Coordination du PIF 2, Koffi Alloua, met en lumière les bienfaits multiples de cette approche.
« Les arbres d’ombrage protègent les cultures du cacao et du café contre les fortes chaleurs. Certaines essences fixent l’azote dans le sol, réduisant l’usage des engrais chimiques. Les feuilles mortes enrichissent la terre, et les arbres fournissent du bois de chauffe, des fruits ou des produits médicinaux. Cette diversité accroît les revenus des agriculteurs, renforce leur résilience et améliore la sécurité alimentaire», souligne-t-elle.

Le PIF 2, doté d’un financement de 148 millions de dollars (soit 94 milliards FCFA) de la Banque mondiale, vise la restauration de 300 000 hectares de forêts classées dégradées dans le Sud-Ouest et 20 000 hectares dans la zone des savanes. L’agroforesterie en est le pilier central, combinant arbres et cultures sur une même parcelle dans une logique de gestion durable des terres.
« L’idée n’est pas de chasser les paysans installés dans les forêts, mais de les inclure. Ils participent au reboisement, à la protection des zones forestières et à l’enrichissement des plantations par l’introduction d’essences locales », insiste Dosso Amara.
Le projet s’intègre dans une ambition plus large notamment celle du plan national de réhabilitation de la forêt, lancé par l’État ivoirien pour doubler le couvert forestier d’ici 2030, le faisant passer de trois à six millions d’hectares.
Ce modèle vivant de réconciliation entre agriculture et forêt suscite déjà l’intérêt de plusieurs coopératives et planteurs d’autres régions. Il démontre qu’il est possible de produire mieux, tout en réparant les dégâts du passé.
(AIP)
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