Abidjan, 22 jan 2025 (AIP) – Spécialiste de l’autisme et pédopsychiatre reconnue, Dr Anna-Corinne Bissouma partage son expertise en psychiatrie de l’enfant et en accompagnement des personnes autistes. Dans cet entretien, elle évoque les défis majeurs de la prise en charge de l’autisme en Afrique, insistant sur la formation des professionnels de santé, la sensibilisation des communautés et l’amélioration des conditions de vie des familles.
Du 10 au 13 décembre dernier, s’est tenu à Abidjan le 1er congrès international sur l’autisme en Afrique. Qu’est-ce qui a motivé l’organisation de ces assises ?
Ce congrès a été organisé par l’Institut national de santé publique (INSP) à travers le Centre Marguerite Té Bonlé (CMTB), avec le soutien de la communauté scientifique et de nombreux partenaires. Nous souhaitions créer une plateforme de communication scientifique et de formation autour des recherches africaines et internationales sur l’autisme. L’objectif était de rassembler des scientifiques d’Afrique et d’ailleurs pour dresser un bilan des connaissances et identifier des pistes de travail basées sur des données probantes.
Pourquoi le thème « L’autisme en Afrique : conformité ou originalité ? »
Ce thème répond à plusieurs enjeux. Depuis notre engagement dans le domaine de l’autisme, nous avons constaté un déficit structurel et organisationnel : peu de professionnels sont formés et les structures existantes manquent de référentiels adaptés. Par ailleurs, l’errance thérapeutique est répandue, marquée par des recours aux soins spirituels, traditionnels et mystico-religieux, ce qui laisse souvent les familles démunies. Nous devons établir un discours africain sur l’autisme, fondé sur nos propres expériences et interventions.
Quels sont, selon vous, les principaux défis ?
Premièrement, il est essentiel d’accroître la recherche, en particulier la recherche-action, pour mieux comprendre les aspects biopsychosociaux de l’autisme. Deuxièmement, nous devons améliorer le repérage clinique pour renforcer les interventions et les prises en charge. Le développement de programmes de formation et de soutien à la parentalité est crucial pour élever les compétences des professionnels et renforcer l’alliance thérapeutique avec les familles. Enfin, nous aspirons à faire d’Abidjan, et plus particulièrement du Centre Marguerite Té Bonlé de l’INSP, un pôle d’excellence avec un rayonnement sous-régional.
Comment la Côte d’Ivoire contribue-t-elle à relever ces défis ?
La Côte d’Ivoire, par l’intermédiaire de l’INSP et du ministère de la Santé, reconnaît les enjeux cruciaux liés à l’autisme. Le ministre de la Santé, M. Pierre Dimba, s’est engagé à construire un nouveau centre conforme aux normes internationales, avec pour objectif l’amélioration de la qualité des soins et le renforcement de la recherche. La direction de l’INSP, en partenariat avec le centre, poursuit ses efforts pour garantir une prise en charge de qualité et des interventions fondées sur des évidences scientifiques.
Quel rôle jouent les initiatives privées comme celles de la fondation Orange CI ?
Ces initiatives sont primordiales et méritent d’être saluées. Le Centre Marguerite Té Bonlé a accompli d’immenses progrès grâce au soutien de la fondation Orange et d’autres partenaires. Depuis 2018, leur appui a été déterminant pour organiser des dépistages, promouvoir la communication et déstigmatiser l’autisme.
Le projet REPIT (2023-2024), soutenu par la fondation Orange, a accompagné une trentaine de familles à domicile. Les résultats sont probants, avec une amélioration de la sévérité des symptômes de près de 50 %. Ce projet a redonné espoir à de nombreuses familles et permis à des enfants de progresser significativement, notamment en développant le langage.
Quels sont vos projets pour assurer un impact durable ?
Nous lançons en janvier 2025 le programme de formation PUFADSA, en collaboration avec l’université de Clermont-Ferrand et le soutien de la Fondation Orange. Cette première phase formera 60 personnes. Nous envisageons également de nouveaux projets de recherche-action et des initiatives liant soutien parentalité et sport-autisme.
Un message final pour la société civile et les familles ?
À l’INSP, nous croyons que l’excellence doit être au service de la santé publique. Si l’autisme ne vient pas avec un manuel, il s’accompagne de parents déterminés. Nous avons besoin de professionnels engagés pour déchiffrer la clinique de l’autisme et rendre l’accompagnement accessible. Ensemble, nous pouvons changer le visage de l’autisme en brisant les croyances limitantes et en tendant la main aux familles pour avancer ensemble vers une meilleure inclusion.
(AIP)
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