Aboisso, mai 2025 (AIP)-Pendant trois jours, la cité de Maféré s’est transformée en un véritable sanctuaire culturel, où l’histoire, les traditions et les valeurs du peuple Agni Sanwi ont repris vie à travers le festival Maféré Yô Fê. Un événement haut en couleur et en symboles, qui a permis aux populations locales comme aux visiteurs de faire un véritable retour aux sources.
Une immersion dans le quotidien d’antan
Au cœur du festival, les visiteurs ont eu droit à une exposition vivante du mode de vie traditionnel des Agni Sanwi. Des ustensiles d’autrefois lampes à pétrole, lampes « pétro-masse », coffres-forts en argile, miroirs à l’ancienne, monnaies d’échange précoloniales, assiettes et jarres en terre cuite, foyers rudimentaires, pagnes noués au corps, pilons en bois , tous ces objets de la vie quotidienne chez les Agni Sanwi aujourd’hui à l’abandon, sont portés fièrement par des habitants du village de Mouyassué venus participer à leur manière à Maféré Yô Fê.
Autant d’objets qui racontaient, sans mot, les chapitres effacés d’un passé partagé entre traditions et rencontre avec le colonisateur français. Les hommes portaient des pagnes noués à la hanche, les femmes étaient habillées de camisoles à l’ancienne, pipe à la bouche.
Le public, émerveillé, touche du doigt cette époque que les anciens évoquent souvent avec nostalgie, à travers des scènes de théâtre et des sketchs reproduisant la vie d’autrefois : les veillées au clair de lune, les discussions autour du feu, les jeux éducatifs comme l’awalé, et surtout la transmission orale, si chère aux peuples Akan.
Un sketch représentant une scène de vie traduisant l’importance de la scolarisation de la jeune fille a été joué par le groupe venu de Mouyassué, à la grande joie du public.
Danse, beauté et gastronomie au rendez-vous
Le festival ne s’est pas contenté d’exposer le passé. Il l’a incarné dans l’animation même de la fête : les danses traditionnelles, les concours culinaires mettant en valeur la gastronomie locale (sauce pistache, foutou, sauce graine, etc.) ont ravi les papilles et les cœurs.
Sur le podium de ce concours, une septuagénaire, Jeannette Etchien, remporte le premier prix du concours culinaire. Elle prépare au feu de bois, sans assaisonnement moderne, pile son foutou avec un ancien pilon, et couvre son riz presque cuit avec une feuille de bananier. Elle conserve, en un mot, les habitudes culinaires Agni Sanwi d’avant l’indépendance. À l’appel de son nom, Dame Etchien est heureuse mais sereine. Elle serait habituée à remporter les concours. C’est le maire de Maféré, Elidjé Angora, qui lui remet ses récompenses en numéraire et en ustensiles de cuisine.

Les concours de beauté, dont celui de la « plus belle maman » et celui de Miss Maféré Yô Fê, ont ajouté une touche d’élégance et de fierté à l’événement. La prestance de la femme Agni Sanwi et son mode vestimentaire ont été revisités à travers le concours “Belle Maman”, avec deux candidates, mères respectivement de dix et neuf enfants. Le public a salué la prestance de ces femmes « encore bien en forme », comme on le dit à l’ivoirienne. Vêtues de pagnes avec le postérieur savamment rebondi (attoufô en langue Agni), elles ont émerveillé le public.
Le plus intéressant, c’est qu’elles ont montré à tous que la femme Agni Sanwi sait rester belle malgré les maternités.
Chaque prestation, chaque plat, chaque sourire rappelait que la culture Agni Sanwi n’est pas un souvenir figé, mais un héritage vivant, qu’il faut préserver, transmettre et valoriser.
Un souffle économique pour les femmes commerçantes
Au-delà de la culture et de la fête, Maféré Yô Fê a également eu un impact économique positif, notamment pour les femmes commerçantes occupant des stands sur la place du festival. Vendeuses de plats traditionnels, de boissons locales ou encore de pagnes et accessoires vestimentaires, elles ont vu leurs ventes bondir durant les trois jours de festivités.
« C’est comme un mois de marché en trois jours ! », s’exclame Juliana Natcha, vendeuse de poisson et de poulet braisés. « Grâce à ce festival, j’ai pu écouler tous mes produits. Les gens sont venus de partout. J’espère qu’on aura cela chaque année. »
Même enthousiasme du côté des vendeuses de vêtements traditionnels. Dame Traoré Fatou, qui tient un étal de pagnes et bijoux artisanaux, confie, ” Les visiteurs veulent repartir avec un souvenir. J’ai vendu plusieurs habits.” dit-elle avec un large sourire.
Pour ces femmes, souvent à la tête de petites activités génératrices de revenus, le festival représente une opportunité de développement économique et de valorisation de leur savoir-faire.
Un message d’unité et de transmission
Maféré Yô Fê a été l’occasion saisie par les populations Agni de montrer leur hospitalité. À l’ouverture du festival, des populations venues du Nord, de l’Ouest, du Centre, de l’Est, du Sud de la Côte d’Ivoire et de pays de la CEDEAO (Communauté économique des états de l’Afrique de l’ouest) ont défilé en mettant en valeur leurs caractéristiques culturelles. Elles ont été très applaudies. La danse échassier du Bénin a participé à l’émerveillement du public, ainsi que le bologne, savamment exécuté par des populations Sénoufos originaires du Nord de la Côte d’Ivoire vivant à Maféré.
Dans leurs discours, les autorités ont salué une initiative porteuse

d’espoir pour les jeunes générations, les invitant à puiser dans leurs racines pour construire un avenir solide.
Maféré Yô Fê, ont-ils rappelé, n’est pas qu’un festival, mais un acte de mémoire, un engagement identitaire dans un monde de plus en plus globalisé. L’ambition des organisateurs est claire : faire de Maféré Yô Fê un rendez-vous culturel annuel incontournable, pour que jamais ne s’éteigne la flamme de la culture Agni Sanwi.
Des autorités politiques soutiennent le festival
Placé sous la présidence de la ministre de l’éducation nationale Mariatou Koné, et le parrainage de Hien Sié Yacouba, député-maire d’Adiaké, ainsi que des autres maires de la région du Sud-Comoé, le festival a été honoré par la présence de nombreuses personnalités. Cette grande célébration a été initiée par le maire de Maféré, Élidjé Angora, avec à la coordination générale Anne-Marie Amalaman, commissaire du festival.
Pour la ministre Mariatou Koné, ce festival qui est à sa première édition, est un nouveau cadre d’expression, de valorisation et de promotion de la culture des peuples Sanwi. Elle a félicité le maire de Maféré pour avoir initié un festival « reflet de l’esprit de partage, qui permet de rassembler les hommes et les femmes au-delà de leurs différences, au-delà de leurs origines, de leurs appartenances sociales ou religieuses. »
Le porte-parole des parrains, Hien Yacouba Sié, député-maire d’Adiaké, a également félicité le maire pour sa proximité avec les populations, qui explique l’organisation d’un tel festival, « expression de la solidarité, de la cohésion et du vivre-ensemble. »
Maféré Yô Fê allie modernisme et tradition
Sur la scène de Maféré Yô Fê, un groupe zouglou bien connu entre en scène samedi vers une heure du matin : Yodé et Siro. Les festivaliers n’ont pas boudé leur plaisir, reprenant en chœur les chansons de ce mythique groupe abidjanais.
Le maire Elidjé Angora a profité du festival pour honorer les femmes en leur offrant plus de 1000 complets de pagnes pour leur souhaiter « Bonne fête maman ».
Quand, le dimanche, les lampions s’éteignent sur la première édition du festival, tous les participants souhaitent vivre la deuxième édition en 2026, tellement la première un coup d’essai s’est vite transformée en un coup de maître.
(AIP)
Ahoulou Noël, chef du bureau régional de l’AIP à Aboisso
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