Fact-checking/Fiche d’info
BON A SAVOIR
Le Centre de guidance infantile, un service en charge de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent
Le Centre de guidance infantile, logé au sein de l’Institut national de santé publique (INSP) sis dans la commune abidjanaise d’Adjamé, est le seul en Côte d’Ivoire qui reçoit, depuis 1974, des patients de zéro à 16 ans, atteints de troubles.
Cet article a été publié le 20 mars 2023 par Maryam Coulibaly
Cette fiche d’information revient sur ce centre méconnu du grand public. Conçu grâce à un Français, Professeur Max Hazéra, qui en assurait la direction, le Centre de guidance était initialement situé au 19, Boulevard Jacob Williams, non loin du marché d’Adjamé, le cœur du commerce de la capitale économique ivoirienne. Ce service a été délocalisé en 1994 à l’INSP au sous-sol du bâtiment administratif puis dans les locaux du service de Santé maternelle et infantile (SMI) et vers le site actuel, depuis 2016. Excentré, il est situé dans l’arrière-cour de l’Institut, au pôle Santé mentale, précisément entre le Centre d’addictologie et d’hygiène mentale et le Centre Marguerite Té Bonlé.
De nombreux usagers accueillis par an
En effet, il reçoit quelque 3 000 enfants en moyenne annuelle, et entre 300 et 600 premières consultations enregistrées chaque année, auxquels s’ajoutent les « anciens » patients. Entre 15 et 20 enfants et adolescents passent en consultation au quotidien.
D’ailleurs, faute de satisfaction dans la prise en charge des patients de plus de 16 ans, le Centre de guidance continue de recevoir ses usagers qui normalement devraient être orientés ailleurs, limite d’âge atteinte. « En pédiatrie, l’enfant est suivi de zéro à 15 ans et en psychiatrie, c’est jusqu’à 16 ans parce qu’on estime que c’est à cet âge que l’enfant achève sa puberté », explique le spécialiste.
Un seul médecin
Unique médecin, depuis 2016, Dr Moké, médecin psychiatre, est assisté par une équipe de travailleurs sociaux et de sages-femmes. Le chef de service attend que ceux qui partent pour diverses raisons du service ou qui seront bientôt admis à faire valoir leurs droits à la retraite soient remplacés.
Véritable lieu du savoir
Concernant la formation, le Centre reçoit des stagiaires de tous bords, à savoir de l’INFS (Institut supérieur de la formation sociale), de l’INFAS (sages-femmes), des agents de santé (corps médical) ainsi que des élèves magistrats. Des formations sont également faites dans des structures comme les Villages d’enfants SOS, les centres socio-éducatifs.
Les spécialistes exerçant dans le Centre sont les personnels médicaux, les paramédicaux (sages-femmes et infirmiers spécialistes en psychiatrie), les travailleurs sociaux (éducateurs spécialisés, éducateurs principaux, inspecteurs d’éducation spécialisée, maîtres d’éducation spécialisée, les éducateurs préscolaires pour les tout-petits) et les rééducateurs.
Les ressources humaines
Au niveau des ressources humaines, les besoins se définissent surtout en termes de psychologues car malheureusement, il n’en existe au sein du personnel puisque la Fonction publique n’en recrute pas. Également en matière de rééducateur et d’orthophoniste. Il n’y a pas de psychomotricien non plus d’autant plus que ce profil n’est pas recruté par la Fonction publique. Ils existent dans le privé et lorsque les enfants leur sont référés par le Centre, le coût des prestations revient cher aux parents, déplore Dr Moké.
Une expertise unique dans la sous-région
Le Centre de guidance est le seul service public du genre en Côte d’Ivoire. Toutefois, un service d’une moindre envergure est ouvert au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Bouaké depuis quelques années et est chapeauté par un médecin qui est passé par le Centre de guidance. Des patients viennent de l’intérieur du pays et même de la sous-région pour un suivi, à Abidjan.
Une panoplie de troubles pris en charge
Le Centre de guidance a pour mission de traiter tous les enfants et adolescents atteints de troubles psychopathologiques. Il s’agit des maladies susceptibles d’entraîner une souffrance psychologique chez ces personnes. Du plus simple au plus complexe, Dr Moké énumère les enfants qui font pipi au lit, les troubles neurologiques (épilepsie), les troubles sphinctériens « pipi (urine), popo (selles) », les troubles du comportement (enfants perturbateurs, agressifs, instables, violents…), les enfants sujets d’inconduite alimentaire, ceux éprouvant toutes sortes de difficultés scolaires, qui font de véritables maladies mentales, les dépressions, les psychoses infantiles, les délinquances, les toxicomanies, les enfants et adolescents qui s’adonnent à des substances psychoactives, les autistes…, les enfants victimes de sévices corporels, d’abus sexuels, les troubles de sommeil, difficultés d’apprentissage, des pathologies génétiques (trisomie 21), de retard de langage, etc.
D’énormes besoins en plateau technique et en infrastructures
Dr Moké suggère que l’EEG devienne un examen standard. Cet examen permet de voir si l’enfant n’a pas de grosse perturbation au plan neurologique. Il est à 35 000 FCFA minimum, sinon 50 000 voire 70 000 Francs dans certaines structures. Il préconise qu’un appareil y soit installé avec l’affectation d’un neurologue. Depuis quelques temps, le centre mitoyen Té Bonlé -dédié aux enfants autistes-, le fait grâce à la l’Association des parents d’enfants autistes, à un coût social (30 000 à 35 000 FCFA).
Concernant le plateau technique, il y a des tests qui sont excessivement chers. Au retour d’une formation, Dr Moké a emmené des tests. « Là aussi, c’est effectivement un manque criant qu’on a au niveau de notre plateau technique. On n’utilise pas de seringue en tant que tel, on n’utilise pas de stéthoscope en tant que tel mais il y a aussi un plateau technique et cela demande… ».
« Par exemple, le test psychologique, c’est autour de 200 000 à 250 000 FCFA et quand vous l’achetez vous-même, ce n’est pas moins de 400 Euros (262 000 FCFA) », ajoute Dr Moké qui a déjà relevé un certain nombre de difficultés dans ses rapports d’activités et plans d’actions antérieurs.
Pour la prise en charge des enfants en situation de troubles psychomoteurs, il n’y a pas de matériel adéquat, le peu existant étant surtout fabriqué au Centre. L’établissement ne dispose pas de salle d’archivage (physique et numérique), les salles de consultation ne sont pas insonorisées, causant un problème de confidentialité. Ainsi, les inspecteurs spécialisés et kinésithérapeutes partagent le même bureau. Les salles d’activités, exiguës et séparées par du contre-plaqué, sont inadaptées et la climatisation n’y fonctionne pas. De surcroît, les intempéries ont causé des problèmes d’étanchéité, les bâtiments abritant des salles d’activités sont menacés par de gros arbres.
Une thérapie de choc pour le Centre de guidance infantile
En dépit des efforts consentis par l’Etat, les besoins restent importants en raison de la spécificité voire de la spécialité des pathologies.
Sous-directeur des Services médicaux et sociaux à l’INSP, le médecin en chef de classe exceptionnelle, Dr J. Katché Ayereby, exprime les besoins en termes de personnel, d’EEG, de tests, d’outils de rééducation… « L’Etat de Côte d’Ivoire a fait de gros efforts tant au niveau du Centre de guidance qu’au niveau de l’INSP, de manière générale. Les consultations ici, sont des coûts sociaux. Les consultations ordinaires, c’est 1 500 FCFA, vous ne trouverez cela nulle part ailleurs pour un établissement public de ce niveau… Dans les services de santé mentale, c’est 1 000 Francs », explique-t-il. « Les éléments sur lesquels on peut insister en termes d’équipements médicaux, (…) sont un appareil d’électroencéphalogramme, les tests… car l’EEG est un examen courant au Centre de guidance », insiste-t-il.
La recommandation la plus importante, pour lui, c’est de relocaliser et repenser le Centre de guidance au sein de l’INSP puis de construire un service qui répond véritablement aux normes de prise en charge des différentes pathologies. « Ce sont des enfants qui doivent vivre dans un environnement adapté (…), équipé, doté en ressources humaines adéquates : orthophonistes, pédopsychiatres, psychologues… parce que quand vous regardez le volume d’activités ici et le travail qu’abattent nos collaborateurs, c’est démentiel ! », lâche-t-il.
Majore du Centre, Mme Inwoley Rachel, inspectrice principale d’éducation spécialisée, relève que si on construit un hôpital adapté, il va de soi qu’il y aura des salles adaptées, selon les pathologies. Au Centre, il faut donc une salle pour la rééducation, pour faire le massage. La salle de rééducation psychomotrice va être différente en termes de mobilier à une salle pour la prise en charge pédagogique (difficultés scolaires), orthophonique, en termes même de peinture, de luminosité, observe-t-elle.
Et Dr Moké de renchérir qu’il y a de l’espace à l’INSP. Il propose par exemple que des containers aménagés servant de salles y soient déployés car le Centre de guidance n’est actuellement composé que d’un bâtiment. Aussi, face aux difficultés pour fixer les médecins spécialistes qui préfèrent la psychiatrie adulte, il recommande qu’on y affecte des médecins généralistes à qui ils se chargeront de donner des rudiments du métier.
Concernant la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, les perspectives sont de repousser le plus loin possible les limites qui sont au niveau du manque de personnel, d’infrastructures et de matériels. « Ce serait bienvenu, tout ce qui pourrait constituer un soutien à la pratique, la meilleure, de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent », conclut Dr Moké Lambert. Il en profite pour remercier les responsables de l’INSP qui font beaucoup mais note que malheureusement face à la charge du travail, beaucoup reste à faire.
Reportage réalisé par Coulibaly Maryam Angèle Sonia
(AIP)
kkf/