Interview réalisée par Adrienne Ehouman
Abidjan, 13 juin 2023 (AIP)- Dans une interview accordée à l’AIP, le socio-anthropologue et maître de conférences en Phénoménologie, à l’Université Félix Houphouët-Boigny, Séverin Yapo, expose sur le rôle de l’Eglise, des religions, des médias et de toutes les franges de la société pour le renforcement de la cohésion sociale et la consolidation de la paix, à l’orée des élections en Côte d’Ivoire. Docteur Yapo propose à L’État d’instituer un prix pour la culture de la fraternité afin de renforcer ses efforts en faveur de la paix.
AIP : Qu’est-ce que la socio-anthropologie ?
Séverin Yapo : L’anthropologie sociale est tout simplement la science qui analyse les faits sociaux sous l’angle humain, c’est-à-dire en considérant la société comme un organisme humain.
AIP : Comment pouvons-nous définir la société en termes simples ?
Séverin Yapo : La société est un organisme vivant. L’organisme est l’ensemble des organes qui constituent un être vivant. L’organisme demeure vivant aussi longtemps qu’il est en cohérence avec son environnement interne et externe. Un organe est un groupe de tissus collaborant à une même fonction, la cohésion de l’unité qu’est l’organisme. Il fonctionne alors comme un corps unique. La société évolue à l’image du corps, cela est illustré par le corps humain. Le corps est tout un monde, c’est le cosmos en miniature. On parle par exemple du corps social. Une société, prise comme un microcosme, un petit univers, ou comme un macrocosme, la société en son ensemble, est un corps qui a son organisation interne, il s’agit d’un tout cohérent. C’est dire qu’en sa nature, lorsqu’elle n’est pas corrompue par quelque élément extérieur à sa nature, la société est toujours régulée de l’intérieur. Elle a sa logique propre. Pour savoir ce qu’est la société, il faudrait la comprendre en elle-même car elle porte en interne sa loi de fonctionnement.
On peut dire que toute réalité, tout phénomène, toute institution sociale, la religion, la politique, obéit à cette loi du fonctionnement de la société, c’est cette unique loi que les hommes suivent pour s’organiser dans la démocratie, à savoir la loi du respect de l’unité interne. Une méthode intéressante pour analyser les faits sociaux est enseignée par la philosophie : il s’agit de la phénoménologie. La socio-anthropologie emprunte à la philosophie la méthode phénoménologique. Elle consiste à analyser les faits ou phénomènes sociaux en les laissant se présenter d’eux-mêmes à partir de leur logique propre, de leur autonomie.
AIP : Quel regard pourriez-vous avoir, en tant que socio-anthropologue et philosophe, sur le rôle de l’Église dans la société ?
Séverin Yapo : Le rôle d’une entité est indétachable de son sens. Or personne ne peut éprouver le sens réel d’une chose s’il ne l’a pas expérimentée. L’un des plus grands philosophes d’Europe de l’ouest, l’Allemand Martin Heidegger, dans un cours de 1921 intitulé « Introduction à la phénoménologie de la religion », soutenait, au sujet du sens de la religion, que c’est l’expérience religieuse même qui fait sens. Selon Heidegger en effet, faire l’expérience du christianisme, en expérimenter le sens « veut dire se confronter au fait que des figures de ce qui est expérimenté s’imposent à nous ». Ces figures font sens en se montrant fidèles à la vie du Christ. C’est ainsi qu’elles font sens au sein d’un monde inquiet et en crise. Dans le christianisme, c’est ainsi que s’impose l’expérience de vie de l’apôtre Paul. Dans ses épîtres, Paul « s’adresse à des convertis dont il a transformé la vie par sa prédication et qui en retour sont entrés dans la sienne comme ses frères et ses enfants en Christ ». Face à un monde inquiet, il s’agit de se laisser habiter par le souci de la vie qui habilite à faciliter la vie à ses coreligionnaires et à ses compatriotes.
Ainsi, le rôle de l’Église et plus largement, de la religion dans la société, en particulier dans une société en crise et inquiète comme l’est la Côte d’Ivoire, est d’œuvrer d’abord à faciliter au monde le retour à une relation harmonieuse avec Dieu. Et ensuite, le retour à un véritable dialogue social qui permettra une réconciliation en profondeur des concitoyens les uns avec les autres. La réconciliation est l’expression de la filiation, autrement dit, expression du fait qu’on est enfants d’une même patrie. Dans ce contexte, l’Église a un rôle de facilitation de la vie religieuse, sociale et politique.
AIP : On a malheureusement l’impression que ce n’est pas toujours le cas…
Séverin Yapo : Ce rôle de facilitateur revient, pour les autorités religieuses, à la pratique du dépouillement de soi qui permet aux chrétiens de se tenir dans le monde comme de vrais enfants de Dieu. Ce dépouillement, en Afrique de l’ouest, le philosophe et théologien béninois Wilfried Okambawa, dans son ouvrage Le superleadership, le conçoit, depuis 2016, au sens de la kénose. Se confrontant tout comme Heidegger à des figures qui ont expérimenté ce qui s’impose à nous, mais cette fois dans le champ politique, W. Okambawa enseigne ceci : « Le meilleur représentant africain de la politique kénotique dans tout le XXème siècle est sans aucun doute Nelson Mandela… Sa politique kénotique se manifeste par deux choses fondamentales. Premièrement, son refus d’une liberté dans la médiocrité qui lui a fait passer près d’un quart de siècle en prison. Il préfère se faire petit dans une prison, afin que son peuple grandisse. Deuxièmement, son départ volontaire du pouvoir est aussi motivé par sa préférence pour le bien de son peuple par rapport à la recherche de ses intérêts personnels ». Le rôle de la religion, dans ces conditions, est de voir l’esprit du sacrifice de soi du Christ pour ses frères et sœurs humains imprégner l’âme des leaders remplis d’humilité, afin qu’ils sachent faire preuve de renoncement à soi dans le but de voir leur peuple s’accroître en qualité.
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AIP : Comment l’Église pourrait être un véritable outil de cohésion sociale au regard des élections prévues pour septembre ?
Séverin Yapo : Il faudrait que l’Église d’Afrique n’étouffe pas ce qu’après le prêtre camerounais Jean Marc Ela, auteur en 1980, de l’ouvrage « Le cri de l’homme africain », le prêtre ivoirien, Jean Kouadio Colbert, en 2020, a appelé « le cri de l’homme à travers le temps et l’histoire dramatiquement écho au cri d’Abel assassiné par son propre frère », tant est actuelle en Côte d’Ivoire cette image que l’on retrouve dans le livre biblique de la Genèse. Il urge que soit consolée la masse de ces frères et sœurs africains dont le cri étouffé monte sans cesse vers Dieu. Ce cri monte contre les frères et sœurs aînés de l’Église d’ici ou d’ailleurs avec la complicité de qui les Caïn de la politique et de l’économie assassinent les électeurs et sacrifient les innocents.
Il est requis à cette fin que, sur le continent noir, l’Église commence par devenir l’Église d’Afrique (qu’elle puisse décider pour elle-même) et non plus l’Église en Afrique, elle à qui l’on prétend tendre encore le biberon au motif qu’elle ne serait pas assez entrée dans l’histoire, ce par mépris des travaux de Cheikh Anta Diop sur l’antériorité de la civilisation nègre et sa filiation à l’Égypte des pharaons bâtisseurs de pyramides. Un peuple souverain est un peuple qui a son centre de décision en lui-même, selon les enseignements donnés au XVIe siècle par Etienne de La Boétie. Ainsi, doit-il en être de l’Église d’Afrique. Elle, qui a pourtant marqué l’histoire pour avoir donné naissance à ces grands témoins du Christ qui ont fait la richesse de l’Église universelle. Ainsi, dès le Moyen-âge, d’Augustin d’Hippone, d’Athanase d’Alexandrie, pour ne citer que ces deux pères et docteurs de l’Église.
Qu’en Afrique, l’Église devienne l’Église des pauvres et des petits. Pourquoi, tant de beaux bâtiments d’églises dans les capitales africaines alors qu’il y a tant de chrétiens qui meurent de faim aux coins des rues ? Vivement que l’Église appartienne à ceux qu’Abensou et Gauchet depuis 1976 ont présenté comme « ceux que leur position dans la société ou leur décision vouent à affronter le pouvoir ».
Le pouvoir, à commencer par affronter, c’est le pouvoir religieux et politique des clercs catholiques et autres pasteurs protestants dont beaucoup pactisent avec les gouvernants politiques véreux. Les chefs politiques et religieux africains se présentent assez souvent comme « l’Ennemi » de Baudelaire. Lui qui grossit et se fortifie du sang de ceux que Sembène Ousmane appelle « Les bouts de bois de Dieu », c’est-à-dire le petit peuple, qui ne cesse d’être éventré pour accéder au pouvoir.
La condition de possibilité d’une véritable cohésion sociale n’est autre que la souveraineté nationale. Et celle-ci passe par le retour à la souveraineté culturelle et religieuse. Le service de la nation, à son tour, ne sera possible qu’à la condition que l’Église de Côte d’Ivoire devienne un véritable appareil idéologique au service de la souveraineté de l’État ivoirien et de cet État seulement.
AIP : Certes, Docteur, vous identifiez les voies pour que la religion, en général, l’Église, en particulier, contribue à la cohésion sociale. Mais quels obstacles structurels l’empêchent d’éviter la répétition programmée des violences à chaque échéance électorale ?
Séverin Yapo : L’obstacle n’est pas structurel mais culturel. Et l’obstacle n’est pas propre à la religion, mais à la Côte d’Ivoire. Pour la Côte d’Ivoire, ce qui est en jeu, ce qui se joue lors des élections, c’est la démocratie, et la démocratie comme culture. Au sein de toute nation, la démocratie est une culture et non une superstructure. La superstructure, c’est l’État. Comme les partis politiques, les confessions religieuses telles que l’Église catholique et la communauté musulmane sont des infrastructures, des appareils qui distillent l’idéologie, non pas de leurs religions ou de leurs partis, mais de l’État. La religion est une infrastructure idéologique de l’État. On comprend que, comme est censé l’être un ministre d’État, le ministre qu’est le chef au sein d’une religion donnée, est le garant de l’idéologie, non pas de son parti ou de sa religion, mais de l’État souverain qu’est, en sa substance, la Côte d’Ivoire.
C’est l’idéologie qui fait la culture et qui garde unies structures et institutions politiques et religieuses. Guides religieux et autorités politiques ivoiriens sont ceux qui cultivent l’idéologie de l’État qui fait de la Côte d’Ivoire un État souverain. Religieux et hommes d’État distillent l’idéologie ivoirienne en entretenant leurs jardins respectifs que constituent leurs coreligionnaires et concitoyens. En ceux-ci, ils implantent cette culture idéologique qui s’accroît afin de conférer à l’édifice national sa beauté et sa splendeur. Comme Niamkey Koffi le souligne dans ses Écrits politiques, « la démocratie est d’abord une culture avant d’être un ensemble d’institutions. Sa construction suppose une lente maturation culturelle qui se traduit par une acquisition patiente « des valeurs démocratiques », de la « tolérance », c’est-à-dire du respect du droit de l’autre, articulé sur une conscience des limites qui apaise l’impatience de la liberté » (2019 : 30). L’obstacle n’est une fois de plus pas structurel à l’Église, mais culturel à la nation en construction car, comme un parti politique ne sera jamais une nation, l’Église n’est pas la nation.
Et au sein de la nation en perpétuelle édification, le conflit est signe d’une liberté de « parti » ou de « relation à Dieu » impatiente de s’exprimer. Et, ne l’oublions pas : il faut être au moins à deux pour entrer en conflit, pour s’affronter. L’obstacle culturel, qui ne demande qu’à être affronté, invite chaque Ivoirien à faire sienne la question que Félix Houphouët-Boigny posait : « Il est temps, grand temps, que chacun s’interroge : ai-je fait, bien fait pour ma nation, ce que je dois ? » Ce que je dois, c’est de respecter le droit de l’autre, en ayant conscience des limites de ma propre pratique politique et de mon propre discours et en devenant patient, prenant conscience que ma liberté d’opinion s’arrête là où commence celle de l’autre.
Alors et alors seulement la leçon du premier ivoirien à enseigner la philosophie politique, Niamkey Koffi, deviendra réalité, qui enseigne « que la solution démocratique du conflit social consiste à fournir à celui-ci une issue symbolique qui détourne la menace d’éclatement que son libre cours faisait inévitablement peser sur la communauté nationale » (2019). Ce sont les élections précédées et suivies de débats libres, apaisés et transparents, preuves à l’appui, qui détournent la menace en consolidant l’unité nationale.
Les élections sont libres lorsqu’elles sont organisées et réalisées par toutes les parties dans la culture de l’idéologie ivoirienne. Cette idéologie, quelle est-elle ? C’est de ramener la liberté dans la paix, « en forgeant, unis dans la foi nouvelle, la patrie de la vraie fraternité ». Il faudrait garder en nos âmes ce son car il nous est commun. C’est l’appel de la patrie qui nous rassemble en nous gardant unis. C’est là, l’hymne national.
AIP : La corruption semble être implicitement liée à des relations contre-nature avec des politiciens véreux (le pouvoir à commencer par vaincre) selon votre suggestion ?
Séverin Yapo : Si c’est de la relation à Dieu ou aux dieux, qu’il est question au sujet de la religion, la corruption consiste avant tout à s’unir à des dieux étrangers, c’est-à-dire aux êtres prétendument supérieurs – surhommes ou demi-dieux – et qui nuisent aux intérêts de la nation. Sont étrangers, les dieux qui éloignent les citoyens de leur nation. La nation est le lieu de notre naissance à la vie dans l’Esprit, elle est lieu d’engendrement à la communauté des humains. Les dieux étrangers sont portés et apportés par les personnes qui, étant biologiquement natives d’ici ou d’ailleurs, se font étrangères à la souveraineté nationale. Ainsi, être corrompu consiste à se souiller avec des dieux étrangers en réalisant ces « mariages » contre-nature qui introduisent la misère dans le peuple et la violence dans la société. C’est donc de la corruption spirituelle que provient le désordre social dont la répercussion politique est la violence.
Pour sa part, la démocratie consiste en la dissidence et la participation trouvant leur unité dans la paix. Aussi répond-elle à sa vocation d’auto gouvernement du peuple diversifié. La diversité des opinions forgées au creuset de l’unité nationale comme impératif catégorique est le socle de la stabilité. La stabilité politique est la conséquence de la non-introduction des intérêts étrangers au cœur du système politique.
Par conséquent, le pouvoir corrompu qu’il s’agit de vaincre, c’est celui qui mine les hommes de l’intérieur. Ce pouvoir est celui du mal qui en souillant les âmes, disposé à servir bon gré malgré, les intérêts étrangers à ceux de sa patrie.
Quant aux élections, elles apparaissent comme l’une des expressions de l’honneur dû à la patrie. Les élections sont censées avoir lieu dans un cadre démocratique. Elles constituent le moment de la vie où, en tant que citoyens, nous confions la gestion de la chose commune à celui ou à ceux d’entre nous qui ne sont pas corrompus. Il s’agit de ceux qui nous gardent comme un, unis.
Il y a unité, cohésion lorsque l’ensemble national ou communal est uni, lorsque l’édifice politique et religieux en construction demeure cohérent. Il y a incohérence là où, en ce qui est commun, s’écoute un son étranger à la commune. Le son étranger à l’unité communale divise en faisant régner l’étranger et les intérêts de ceux des étrangers qui divisent. La cohésion est alors perdue. La cohésion a la division pour contraire. La division renvoie à la désunion. Elle consiste en ceci : ce qui, substantiellement, est un et uni se trouve scindé.
Mais qui donc est l’étranger ? Ceux, d’ici ou d’ailleurs, qui scindent en deux, qui coupent pour diviser, voilà qui sont les véritables étrangers. Ils sont étrangers à ceux qui sont comme un. Sont comme un, une mère et son fils par exemple. C’est toujours l’étranger, lorsqu‘il est malicieux, qui gagne à diviser. Lorsque dans le premier livre biblique des rois (1Rois 3 : 16-28), Salomon a voulu couper en deux le bébé afin de donner une partie à chacune des deux prostituées qui en réclamaient la maternité, on a reconnu la vraie mère à ce qu’elle demanda au roi de ne pas couper le bébé. Au moins, s’est-elle dit, il serait en vie, même chez son adversaire, avec l’étrangère, à l’étranger. Et si cela avait été, c’est l’étrangère qui aurait gardé le bébé, volé ! L’avenir de la nation, image, du bébé usurpé, serait entre les mains de l’étranger.
Au sujet des élections, ce moment crucial dans la construction de l’édifice national, le premier spécialiste ivoirien de philosophie politique, le professeur Niamkey Koffi rappelle que « la construction des nouvelles entités nationales en Afrique correspond à la quête démocratique sous la forme fondamentale, celle de l’autodétermination nationale, et partant collective qui est synonyme d’Indépendance à conquérir, par une double souveraineté politique et économique. Être gouverné par les siens, tel est le sens originel de la démocratie chez les Grecs pour qui le mot désigne une cité non soumise à des tyrans étrangers ».
AIP : En Côte d’Ivoire, les religions musulmane et chrétienne, ne servent-elles pas qu’à l’encadrement des violences au profit du leader au pouvoir, selon sa pratique religieuse ?
Séverin Yapo : Comment un religieux qui n’est politiquement pas en faveur du leader au pouvoir peut-il intentionnellement encadrer la violence qui profitera à ce dernier ? Les choses sont bien plus complexes que cela. Et vous le percevez bien, c’est du côté de la corruption des âmes, religieuses, politiques ou intellectuelles, peu importe, que se trouve la cause de la violence électorale.
AIP : Les vœux et prières œcuméniques pour la paix, la réconciliation et la cohésion, qu’ils soient exprimés de manière collective dans les médias ou individuellement dans des lieux de culte comme des chapelles, temples ou mosquées, ne sont-ils que des gestes hypocrites sans scrupules ?
Séverin Yapo : Lorsque, en Côte d’Ivoire, il y eut deux présidents qui se proclamaient chacun élu lors des élections de 2010, alors que des messes étaient dites dans les deux palais présidentiels, ce ne fût pas des actes hypocrites, mais ce fût au nom de la miséricorde, de la tolérance et de la patience à l’égard de ce qui est en gestation. Il devait y avoir là, exprimée par l’Église, l’espérance de la communion au corps uni du Christ qui, en esprit, rend comme un les deux frères, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, pour l’heure, divisés.
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AIP : Au regard de l’actualité, quelle doit être l’action des médias face aux interventions des guides religieux qui touchent à la cohésion sociale ?
Séverin Yapo : Par prédilection, l’action des médias d’État est de ne retenir et diffuser des discours que ce qui est conforme à la culture de la démocratie telle que nous l’enseignent les philosophes politiques en vue de la construction d’une nation apaisée c’est-à-dire unie. Le discours d’un guide religieux doit être commenté dans le sens de la souveraineté nationale. La réponse du pouvoir également. Vous comprenez par-là que le problème, ce ne sont ni les autorités religieuses ni le pouvoir d’État, mais le quatrième pouvoir que constitue le monde de la presse. Il serait bon de se garder de la corruption spirituelle qui rive à écrire ou parler pour du « pain », là où le journalisme constitue l’un des métiers les plus nobles, qui nourrit l’âme des fils et filles de la nation. Le philosophe allemand Hegel ne disait-il pas que « la lecture du journal, le matin au lever, est une sorte de prière du matin réaliste. On oriente vers Dieu ou vers ce qu’est le monde son attitude à l’égard du monde ».
AIP : Que devons-nous retenir en fin d’échange ?
Séverin Yapo : Ce qu’est le monde ivoirien, le début de cet entretien a révélé qu’il s’agit d’un organisme vivant. Nous parvenons maintenant comme à la conclusion qu’un bilan de la santé du corps de la société ivoirienne peut être lu au quotidien. Le bilan est consigné dans le journal. Le matin, au lever, chaque citoyen, religieux ou non, prend la température de la nation commune grâce aux organes de presse.
La presse est cet appareil idéologique qui, en tant qu’organe, détient deux types de tissus et qui, comme tel, constitue l’un des plus puissants appareils de l’Etat. L’Etat ivoirien, afin de demeurer souverain, est toujours en quête d’une plus grande autonomisation, au regard des vicissitudes de l’environnement international. Et le rôle de la presse nationale y est indispensable.
Il existe des micro-tissus au sein de la presse. Les micro-tissus sont plus ou moins proches de certains partis politiques au pouvoir ou dans l’opposition, et de certaines couches sociales et confessions religieuses. Les colonnes des journaux partisans traduisent les pics de température et soulignent le plus souvent les inquiétudes des membres souffrant du corps social.
Les macro-tissus, tel le journal officiel, sont de l’autre type des tissus de la même presse. Ils ont, quant à eux, vocation à diffuser, des discours et actions des autres appareils idéologiques de l’État, ainsi que des tenants du pouvoir politique, la part qui recèle des remèdes aux maux affectant le corps social, pris en son unité et essentielle indivisibilité.
Les autres appareils idéologiques, la religion, l’école, la justice, le social, etc., ont pour mission de mettre à contribution tout leur génie, afin que, par la culture de la paix, la dignité de l’Homme ivoirien soit à nouveau ramenée. L’hymne symbolisant, notre nation sera honorée au travers des actions de conciliation qui sous-tendent le quotidien des agents de l’État et par ricochet, de tout citoyen.
L’idéologie ivoirienne est une fois encore liée au devoir que doit remplir chaque habitant du pays, à savoir, être un modèle de l’espérance d’un monde fraternel promis à toutes les nations de la terre. Ce devoir, toutes les infrastructures, religion, politique, justice, société civile, de la superstructure qu’est l’État se doivent d’y travailler, dans l’union, la discipline et le travail, sous l’égide des hommes d’État.
L’État ivoirien fournit d’immenses efforts en faveur de la paix. Pour renforcer ces actions, un prix pour la culture de la fraternité devra être institué par l’État et promu dans la presse nationale, au sein des réseaux sociaux et la radiodiffusion-télévision ivoirienne. Ce prix devra distinguer en accordant des récompenses significatives aux structures sociales, groupements ethniques, organisations professionnelles, institutions politiques et autres communautés religieuses qui s’illustreront le plus dans la culture de la fraternité.
Cela devrait commencer d’une façon ou d’une autre, par une élection des membres nationaux du jury affecté à la conduite de ce prix, recrutés sur base de leur caractère antiparti et de leurs qualités étatiques. Le prix devra être mis en exergue dès les élections municipales en préparation. Il sera accompagné par l’institution d’espaces publics et privés voués à la culture de l’apaisement. Ces espaces seront aménagés à l’attention de tous, notre jeunesse en particulier. En ce sens, votre serviteur est porteur d’un projet de recherches intitulé « Cultiver la paix en Côte d’Ivoire par la promotion du vocabulaire interethnique de l’apaisement » (https://www.acfas.ca/communaute/profil/severin-yapo).
(AIP)
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