Enquête réalisée par Adrienne Ehouman
Abidjan, 12 août 2023 (AIP)- À Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire, le nombre d’églises ne cesse de croître, surtout dans la commune de Yopougon. Si certaines églises contribuent à l’épanouissement spirituel des fidèles, d’autres ne sont pas moins sources de problèmes ou de déceptions pour les croyants et les citoyens.
Située dans la périphérie nord de la ville, Yopougon est la plus grande des 13 communes du District d’Abidjan avec une étendue de 153,6 km² soit 7,4% de la superficie du District (2079 km²), selon la selon la mairie de Yopougon. La commune compte 1 571 065 habitants, suivant le recensement général de la population et de l’habitat (RGPH 2021).
Le dénombrement, un défi de longue haleine…
Yopougon est également un lieu de diversité religieuse où coexistent plusieurs confessions chrétiennes, musulmanes et traditionnelles. Parmi les églises implantées, figurent la cathédrale Saint-André qui est le siège du diocèse de Yopougon, la paroisse Saint-Laurent de Kouté, ou encore l’église Ambassade des Miracles à Niangon, qui fait partie du mouvement pentecôtiste.
Selon une étude réalisée en 2018 par la Direction générale des cultes, Abidjan comptait environ 7 000 lieux de culte et associations religieuses, dont plus de la moitié appartient au protestantisme évangélique. Toutefois, ce chiffre est loin de refléter la réalité actuelle, car beaucoup de guides religieux ont refusé de faire recenser leurs organisations et leurs lieux de culte.
« Les difficultés majeures de l’opération sont non seulement, le monde religieux est dynamique. Nous devons continuellement actualiser les fichiers en raison d’associations qui naissent et d’autres qui disparaissent. Mais aussi, nous avons été confrontés au refus de nombreuses associations religieuses de se faire recenser. Fort heureusement, elles adhèrent après sensibilisation », a confié M. Tra Bi Koré, chargé de communication à la Direction générale des cultes.
Selon M. Tra Bi, l’étude lancée en 2017 se poursuit à l’intérieur du pays. Pour un coût global de 305 millions de Francs CFA, le projet est consolidé autour de la mise en place d’une base de données géo référencées des associations cultuelles et des édifices religieux, avec l’identification et le profilage de chacun de leurs animateurs.
Ce projet s’inscrit dans le plan d’actions prioritaires du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité qui vise à achever la restauration de la cohésion nationale, à consolider l’État de droit, à généraliser la bonne gouvernance et à maintenir un cadre macro-économique sain.
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Une investigation sur le terrain au quartier Sideci, dans un périmètre de 2,738 km, a permis de dénombrer 39 églises sur une surface de 0,4425 km², soit une densité moyenne de 88 églises par km². Sur ces 39 églises, 14 sont nommées d’obédience évangélique ou protestante et 25 sont sans désignation, autrement dit des églises sans nom. Sur les 14 églises nommées, seulement deux ont été identifiées par le site OpenStreetMap.
De 1998 à 2021, la part des chrétiens d’obédience évangélique, céleste, assemblée de Dieu, etc., dans la population totale (au plan national) a été multipliée par sept, tandis que celle des catholiques a diminué de deux points de pourcentage, selon des données statistiques consultées sur le site de la Commission d’accès à l’information d’intérêt public et aux documents publics (CAIDP). Or, cette montée en flèche de ces églises semble être une opportunité pour des individus de tout acabit.
À cœurs ouverts…
A.D.A est une femme qui a suivi les révélations d’un leader spirituel d’une église maison à Yopougon, une église sans nom. Elle a quitté son travail, sa famille pour se consacrer à l’œuvre de Dieu. Elle a attendu en vain la résurrection de son guide, mort en 2018, et a vécu dans la précarité et la maladie. Elle a pu reprendre son poste dans l’Administration en 2020 par le biais d’une grâce présidentielle, mais reste marquée par son expérience spirituelle.
En 2010, sous la base d’une révélation reçue par plusieurs personnes, dit-elle avec désolation, elle abandonne son travail dans l’Administration ivoirienne, en dépit de nombreuses promotions. « Il s’agissait d’une action commune posée par plus de 90% des membres de l’église maison. Tous les travailleurs du privé et du public qui fréquentaient la communauté devaient laisser le travail, de même que les enfants, arrêter l’école, pour se consacrer à l’œuvre de Dieu, avec le leader du ministère rendu professionnellement invalide en raison d’un problème de santé », révèle-t-elle.
Le leader N° 2 de la communauté a refusé de soumettre sa famille et lui à cette révélation d’abandon du travail pour les adultes et d’abandon de l’école pour les élèves et étudiants, sous prétexte de n’être pas convaincu. Son attitude a engendré un froid, une division entre lui et le reste du groupe, indique A.D.A.
En vain, la famille biologique de la jeune dame s’est opposée farouchement à son refus de reprendre le service dans l’Administration ivoirienne.
« Vivre désormais sans revenu salarié ou entrée régulière d’argent n’a vraiment pas été facile pour moi », raconte avec émoi, A.D.A. « Je vivais de la providence divine, des bonnes grâces de certaines personnes qui recevaient le soutien continuel de parents et amis, pour répondre à mes besoins primaires, pour ma prise en charge médicale, vraiment… ce n’était pas facile. Un désert financier, social total. Cependant, je restais fixée à mes objectifs, à savoir l’éclosion du ministère, le salut de ma famille et la récompense d’un mari Américain pour ensemble œuvrer pour le Seigneur », soutient-elle.
Mais le plus insidieux vient d’une autre révélation émanant de son guide spirituel. Celui-ci devait connaître l’enlèvement par Dieu, en vue de le ramener dans la gloire pour l’œuvre sur terre. En d’autres termes, le serviteur de Dieu allait mourir et ressusciter physiquement pour servir puissamment de témoignage à la gloire du Créateur.
En 2018, le serviteur de Dieu est effectivement décédé. L’église maison s’est alors divisée en deux groupes. Un groupe de fidèles déclare que le ministère du serviteur est achevé, tandis que l’autre attend dans la prière la résurrection physique du leader. Les positions restent tranchées jusqu’à ce jour. Faisant partie de ce second groupe, A.D.A, de même que de nombreux enfants spirituels, ont refusé de participer aux obsèques du défunt. Mais l’attente de la résurrection a été longue pour A.D.A.
« Vivre sa foi chrétienne dans le jeûne et la prière sans cesse, marqué par le dénuement total n’était pas chose aisée. Certains membres du groupe, affaiblis par la maladie et l’incapacité de recevoir les soins adéquats, abandonnèrent la voie d’attente de cette résurrection », indique-t-elle.
En 2020, par une grâce présidentielle pour la reprise de service des fonctionnaires exilés du fait de la crise post-électorale de 2010, A.D.A eu la possibilité de retourner dans l’Administration ivoirienne, tout comme bien d’autres membres de la communauté qui étaient anciennement fonctionnaires.
« L’abandon du travail ainsi que cette révélation de résurrection, ou du moins son interprétation, nous a conduit dans l’égarement total. A quoi a servi tout ce périple ? J’aurais pu avoir une meilleure communion avec Dieu, sans ces expériences spirituelles qui m’ont ôtée 10 ans de vie en harmonie avec les miens et mes objectifs personnels », regrette-t-elle.
Depuis 2018 jusqu’à ce jour, le groupe de prière attendant la résurrection de son père spirituel pour la continuité de l’œuvre, reste focalisé sur son objectif.
Ces cas de dérives de religion sont légion dans la commune de Yopougon.
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A l’image de cet homme, Y.C, marié coutumièrement et marqué depuis 2021 par l’abandon du foyer par sa femme, partie avec leur fille de trois ans. Sa femme et sa fille, partent avec un pasteur impliqué dans un système de placement d’argent frauduleux. Puis le pasteur a été arrêté par la gendarmerie, mais la femme n’est plus revenue avec son mari.
« Elle a abandonné le salon de coiffure que j’ai ouvert et équipé à des millions. Elle est partie je ne sais où, avec notre fille, me laissant seul, sans nouvelle d’elles, dans l’inquiétude totale. Il a fallu la hardiesse du détective pour tracer son téléphone, ressortir toutes ses communications avec son pasteur que je soupçonnais, parce qu’étant très proches. Leurs conversations ont révélé qu’ils entretenaient une relation amoureuse », raconte, Y.C, dans une totale déception.
Le pasteur, qui avait nié tous contacts avec la femme disparue, a pris la fuite avec elle et la petite fille. Dans sa fuite, il a organisé des prières dans une forêt à Dabou, après avoir quitté son magasin qui servait de lieu de culte au quartier Niangon.
« Grâce à la gendarmerie, nous avons découvert, poursuit-il, que ce pasteur était engagé dans un système de placement d’argent avec, comme maillons, ses fidèles dont la fiancée. Elle a présenté le salon de coiffure comme un acquis du business de placement d’argent pour appâter d’autres personnes”.
La gendarmerie, sur le point de l’arrêter grâce aux preuves fournies par le détective, a été surprise par une plainte fournie par la femme contre son mari pour maltraitance, trois semaines après sa disparition. Elle ignorait que son conjoint avait émis à son endroit, un avis de recherche. Le pasteur, qui était en réalité un escroc, sorti de prison au Togo pour une affaire d’abus de confiance, a été arrêté puis relâché.
« Je me suis après rendu dans sa famille (au Togo, ndlr) pour rompre la dot. J’ai vécu ces deux semaines de disparition dans la perturbation totale du fait de ma responsabilité envers elle et sa famille. J’ai même fait un accident de conduite en cette période qui a failli me coûter la vie, tellement j’étais perturbé, désorienté », se rappelle-t-il, tout ému.
Après cet épisode tumultueux de sa vie, l’ex-conjoint trompé, redoute aujourd’hui les églises. Il dit entretenir une relation personnelle avec Dieu, sans fréquenter aucune assemblée chrétienne ou dénomination religieuse.
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Un autre homme voit sa tante être rejetée par son mari, à cause d’une révélation la traitant de sorcière, après 25 ans de mariage.
D.H témoigne que sa tante n’a plus droit à partager l’intimité de son mari qui la traite de sorcière, sous la base d’une révélation émanant d’une “messagère” habitant dans la maison conjugale. « Ma tante ne veut aucune action civile pour remédier à la situation. Elle passe son temps à prier, disant que Dieu va résoudre le problème, tandis que la situation s’aggrave », s’inquiète-t-il.
« J’appelle les organisations des droits de l’homme et la Direction des cultes à tenir des campagnes de promotion des droits de l’homme dans les assemblées religieuses, afin d’avoir une meilleure reconnaissance des atteintes aux droits, à la dignité humaine, pour les dénoncer ou même les éviter. C’est une doléance, car l’heure est grave », lance D.H.
Ces cas de dérives dans la commune sont, entre autres, les fausses révélations, l’escroquerie, l’abus de confiance, la manipulation, les divisions des familles et des couples, la prise de contrôle sur les fidèles, l’adultère, la nuisance sonore. Des personnes averties expriment leurs avis sur la prolifération des églises et les déviations qui en découlent.
Regards croisés sur la prolifération des églises et les dérives des guides spirituels
Du point de vue d’un sociologue, ce phénomène peut être lié à la quête d’argent et à l’influence des forces mystiques, qui peuvent manipuler les fidèles de tous les niveaux sociaux et intellectuels.
« La cause principale de la prolifération et des dérives dans la manipulation des guides spirituels est la recherche de l’argent », justifie ce sociologue, qui a préféré garder l’anonymat pour des raisons de conviction religieuse.
« Le message de base peut être véridique, mais quand les problèmes financiers s’immiscent, la manipulation s’installe avec le soutien de forces mystiques. Ainsi, personne n’est à l’abri, qu’on soit analphabète ou intellectuel, femme de ménage ou directeur d’entreprise. Il faut recevoir la grâce de Dieu pour être épargné de cette manipulation. Aussi, il convient d’être vigilant dans le choix de sa communauté spirituelle, surtout quand on est majeur », explique-t-il.
Docteur en psychologie, Essan François Aka explique que la religion est censée apporter le bonheur aux hommes, mais qu’elle peut aussi les enfermer dans une vie de peur, de culpabilité ou d’illusion, en leur imposant des dogmes et des promesses de paradis.
« L’homme se tourne vers la religion pour trouver le bonheur. La religion se veut donc un ensemble de croyances, d’enseignements et de pratiques visant à aider les hommes à surmonter leurs limites afin de trouver la voie du bonheur », fait savoir le psychologue.
Or la religion, poursuit-il, en tant qu’« ensemble de règles dogmatiques basées sur un livre et en suivant des concepts de livres dits sacrés, amène l’homme à croire à la vie éternelle en le remplissant de rêves de gloire au Paradis. En lui rappelant sa nature pécheresse, l’homme se retrouve comme enfermé dans une vie de menace, de peur, de culpabilité. Il nie ainsi sa dimension spirituelle et sa responsabilité à construire la paix intérieure et à vivre la gloire et le paradis ici et maintenant. D’où la manipulation ».
Par conséquent, pour sortir ou mieux éviter cette manipulation religieuse, « l’homme doit chercher à assumer sa responsabilité en toute circonstance en raisonnant, en apprenant de ses erreurs pour vivre dans la conscience intérieure », conseille l’enseignant-chercheur à l’Université Félix Houphouët-Boigny (UFHB) de Cocody.
Un socio-anthropologue, Séverin Yapo, souligne l’importance de l’humilité chez les guides spirituels et religieux, pour assurer un encadrement correct du peuple et favoriser l’harmonie et la cohésion sociale.
“La condition pour parvenir à un encadrement correct du peuple, à l’harmonie et à la cohésion sociale est la pratique du dépouillement de soi, par l’adoption de la vertu des vertus, à savoir l’humilité au niveau des guides spirituels et religieux”, soutient le maître de conférences à l’UFHB.
Conseillant les citoyens par rapport à la pratique d’une religion, un magistrat au tribunal de Yopougon, sous couvert de l’anonymat, par ailleurs, croyant, note trois conditions sine qua non pour être à l’abris de la manipulation, à savoir vérifier la conformité des enseignements avec la Bible, aller dans une bonne disposition et avoir l’esprit critique.
Pour cet homme de loi, la question de la religion est délicate. “Mais quand des personnes en difficulté sont délivrées, libérées des puissances des ténèbres, quand de grands criminels sont changés par l’action d’une église, on ne peut que s’en réjouir”, poursuit-il.
Les dérives récurrentes ont un lien étroit avec la prolifération des églises.
Du point de vue de religieux, le foisonnement des églises est lié d’une part à l’interprétation de la Bible et d’autre part, à des facteurs sociologiques.
La Révérende Marie-Laure Dohou épse Adja, pasteur pour la Mission d’évangélisation pour la vie glorieuse (MEVIG) à l’église locale de Micao Zone industrielle de Yopougon, donne plusieurs causes de l’accroissement des églises.
Tout d’abord, l’aspect divin. Se référant à la Bible, Pasteur Marie Laure Dohou soutient que la moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers. « Dieu appelle toujours car les moissonneurs sont insuffisants. Il y a plusieurs dénominations mais c’est Dieu, dans une diversité de ministères ». Aussi, affirme-t-elle, « la fin du monde approchant, il faut des hommes pour annoncer l’évangile du royaume de Dieu ».
« Il y a multiplication des églises en raison du rejet de certaines doctrines, telles que le parler en langues, le ministère des femmes, des prophéties et de la mise en place des systèmes ou doctrines d’église qui empêchent des serviteurs d’exercer le ministère, à l’exemple d’un âge limite donné, du niveau scolaire exigé, du manque de moyen pour assurer la formation théologique, du rejeté », ajoute l’enseignante à la Faculté internationale de Théologie “SHILO”.
Elle reconnait malheureusement, qu’« il y a de faux serviteurs, comme l’avait prédit le Seigneur Jésus-Christ en Matthieu 24:24. Ils feront de grands prodiges et des miracles, au point de séduire, s`il était possible, même les élus ».
Pasteur Marie-Laure Dohou Adja énumère également bien autres facteurs pouvant être à l’origine de « la multiplication excessive » des églises et lieux de prières, à savoir « les conflits, les frustrations, le manque de soumission des appelés au service de Dieu au sein des communautés chrétiennes, les problèmes de leadership, la mauvaise gestion financière et des hommes due à certains facteurs comme le favoritisme, la cupidité, la soif du pouvoir, de la gloire, la confusion entre la manifestation d’un don spirituel et d’un appel divin, le non-respect des textes que ces églises se sont donnés par exemple à la mort du premier leader de la mission, un désordre s’installe alors au sein de la communauté ».
D’autres motifs ne sont pas à exclure. Elle évoque « le manque de formation des leaders, le manque de discernement spirituel, le paganisme, le développement de la société, des recherches scientifiques, l’intellectualisme, les écritures privées de leur autorité, la culture de la tolérance où le péché n’est pas dénoncé afin de ne pas frustrer, l’œuvre du diable ».
A cela, le président fondateur de la Mission internationale de la prière, de l’évangélisation et de la délivrance (MIPED) à Yopougon, Pasteur Bénié Bi Valentin, ajoute qu’« au niveau des serviteurs, le manque de formation, l’insécurité financière, faire de l’église un business personnel et une mauvaise interprétation de la Bible ».
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Concernant les nuisances sonores, le pasteur à l’Église évangélique des Assemblées de Dieu, Dominique Kouadio Boko invite les responsables religieux à fonder des églises à vocation urbaine. Il leur recommande de « construire des temples vitrés et climatisés qui favorisent l’insonorisation. Ce modèle de temple permettra d’entretenir une bonne collaboration entre des religieux et les riverains », a rapporté samedi 20 mai 2023, la journaliste Mélèdje Trésore dans le quotidien Fraternité Matin.
Professeur de théologie dogmatique, le Père Marius Hervé Djadji, prêtre du diocèse de Yopougon, actuellement curé de la paroisse Saint Antoine l’Ermite de Sart et de Faux dans l’archidiocèse de Malines Bruxelles (Belgique), a porté depuis 2010, des réflexions sur les groupes et les communautés au sein de l’église catholique et en dehors, afin de mieux accompagner les fidèles chrétiens africains.
De ces études, il pointe « le poids de la pauvreté et l’absence de structures sociales », comme cause au pullulement des églises à Yopougon. Des fidèles devant la misère et le manque du social, émet-il, trouvent une certaine sécurité dans les petits groupes de prière et communautés dits Charismatiques ou appelés souvent églises, confirmant que ce phénomène est visible « au sein même de l’église catholique ».
Il énonce également la psychologie de la peur, le poids de la culture, la sorcellerie et la peur du démon. « Beaucoup de chrétiens se sentent en sécurité dans ces groupes et communautés où on multiplie des visions, gestes, actes qui sortent de l’ordinaire. Ils s’épanouissent dans une spiritualité de combats dans laquelle les ancêtres, les sorciers, le démon sont taxés d’être à l’origine de leurs échecs et situations », témoigne-t-il.
Père Marius Hervé Djadji relève par ailleurs, « le développement d’une spiritualité qui est fixée sur le salut terrestre, l’avoir terrestre, le manque de formation sur les outils spirituels qu’offre l’église, le fait de confondre l’Esprit Saint aux esprits de féticheurs marabouts ».
Pour le professeur en théologie dogmatique, Yopougon, en raison du fort taux de concentration des populations avec diverses classes sociales, connaît des déviations.
Toutefois, il estime que les églises formelles à Yopougon n’arrivent pas à suivre la population galopante et son accroissement rapide. « Les prêtres ne sont pas nombreux sur le plateau de Yopougon. Il y a des quartiers où il n’y a pas de paroisse. Les fidèles doivent parcourir des kilomètres pour avoir un prêtre », explique-t-il. Dans ces petits quartiers, « des groupes spirituels s’installent. Ces groupes, souvent, échappent à l’accompagnement spirituel des prêtres submergés par des milliers de fidèles et font alors leur petite salade spirituelle », avance-t-il.
Selon l’abbé Djadji, les paroisses Saint André, Saint Marc de Toits-rouges, Saint Pierre de Niangon, Saint Matthieu de Cité verte, toutes dans l’agglomération, enregistrent chacune plus de 10 000 fidèles. « L’église est confrontée à Yopougon, à une question géographique et démographique », déclare-t-il.
En outre, l’abbé exhorte tous « à dénoncer tout fidèle pris dans les mailles des aliénations spirituelles, hypnotisé par des gourous afin de recevoir auprès du clergé, un accompagnement psychologique et spirituel en vue de son salut ».
Il met en garde « ceux qui encouragent implicitement les groupes dans les déviations doctrinales à se convertir ».
Qu’en est des dispositions de l’État face à ces travers ?
L’État de Côte d’Ivoire face aux dérives des leaders religieux
La société ivoirienne est marquée par la pluralité d’ethnies, de cultures, de choix idéologiques et de religions. En effet, la loi n° 2020-348 du 19 mars 2020 portant Constitution ivoirienne affirme dans son préambule, « la diversité religieuse » de la société ivoirienne et son attachement aux « valeurs spirituelles ».
Elle réaffirme son « engagement irréversible à défendre et à préserver la forme républicaine du Gouvernement ainsi que la laïcité de l’État » et sa « détermination à bâtir un État de droit ». Ce, conformément « aux instruments juridiques internationaux auxquels la Côte d’Ivoire est partie, notamment la Charte des Nations unies de 1945, la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples de 1981 et ses protocoles additionnels, l’Acte constitutif de l’Union africaine de 2001 », selon le site du Sénat consulté le 22 mai 2023.
La Constitution ivoirienne garantit depuis 1960, la liberté religieuse ou le droit pour chaque individu de choisir entre l’incroyance et la croyance. Toutefois, elle sanctionne tout contrevenant à la loi.
En outre, le décret n° 2016-791 du 12 octobre 2016, portant réglementation des émissions de bruits du voisinage a été pris en vue de lutter contre la pollution sonore. Anciennement, Brigade de salubrité urbaine (BSU), la Brigade de l’assainissement et de la salubrité (BAS) est chargée de la mise en application de cette loi.
Tout en s’attaquant aux eaux usées, aux dépôts d’ordures anarchiques ou aux urines et excréments déféqués à l’air libre, la BAS enregistre de nombreuses plaintes dont la plupart portent sur les nuisances sonores.
Les nuisances sonores, estime la loi, constituent une infraction pénale, prévue et punie par l’article 103 du Code de l’environnement d’une amende de 10 000 à 500 000 FCFA.
A ce propos, la Police nationale a saisi, dans la nuit du vendredi 19 mai 2023, à Angré (Abidjan Cocody), le matériel de sonorisation de l’église Genèse du Révérend Wilfried Zahui, à la suite de nombreuses plaintes des riverains.
Dans le cadre de la lutte contre les nuisances sonores, « de septembre 2011 au 20 décembre 2022, ce sont 5 030 réclamations clients enregistrées au niveau du ministère de l’Hydraulique, de l’Assainissement et de la Salubrité, dont 3 018 nuisances sonores soit 60% des réclamations », selon le commandant de la Brigade de l’assainissement et de la salubrité, Pamphile Téhé.
Ces réclamations sont réparties comme suit: 1 228 plaintes, soit 41% enregistrées à Cocody, 689 (23%) à Yopougon, 398 (13%) à Abidjan Sud (Treichville, Marcory, Koumassi et Port-Bouët), 315 (10%) à Abobo et 388 (13%) dans les autres communes du Grand Abidjan.
Les plaintes, précise-t-il, peuvent être déposées à la BAS située aux 2 Plateaux 7ème tranche (Cocody), dans les différentes structures rattachées au ministère, ou dans toutes les unités de Police et de Gendarmerie, ainsi que dans les différentes mairies.
Ces dérives sont de plusieurs ordres, entre autres, de fausses révélations, abandons de foyer, abandons de travail, escroquerie, abus de confiance, manipulations, divisions des familles, prises de contrôle sur les fidèles, adultère, dépouillement financier des fidèles, nuisance sonore, perte d’équilibre psychologique, harcèlements, prosélytisme à différents niveaux, rejet des autres.
Une source bien introduite au Parquet de Yopougon souligne avoir traité plusieurs infractions concernant les guides spirituels, tels que des cas de viol, d’escroquerie, d’abus de confiance, d’homicide volontaire, tout en relevant que ces hommes de Dieu sont également victimes d’abus.
« Le tribunal n’a pas de statistique sur des faits concernant les serviteurs de Dieu. Il y a des statistiques sur les différents types d’infraction, mais les mis en cause ne sont pas catégorisés. Les serviteurs de Dieu sont poursuivis comme tout autre citoyen qui enfreint la loi », déclare-t-il.
Juriste-conseil, Maître Jean-Louis Lobé affirme que les fauteurs de troubles, qu’ils soient hommes de Dieu ou pas, sont passibles de poursuites judiciaires, dans un dossier intitulé « Travers religieux : comment des hommes de Dieu divisent les familles », dans Fraternité Matin du 19 août 2022.
Encadré 1
Située dans la périphérie nord d’Abidjan, Yopougon est la plus grande commune d’Abidjan avec une surface de 153,06 km2 et peuplée de 1 571 065 habitants, selon le dernier recensement général de la population et de l’habitat (RGPH 2021).
Une carte a été réalisée le 22 juin 2023, à l’aide du logiciel Datawrapper, avec les données fournies par le site Rues de la Côte d’Ivoire, qui est un ensemble d’annuaires de rues obtenu et mis à jour à partir des données disponibles gratuitement sur le site OpenStreetMap. Ces données mettent en avant un total de 189 églises et lieux de cultes identifiés sur l’ensemble de la commune de Yopougon, répartis comme suit : 152 églises évangéliques, 17 catholiques, 12 Autres Eglises (Harriste / Déhima / Célestes / Mormons et Témoins de Jéhovah / Adventiste / Universelle) et 8 Protestants / Méthodistes).
Cependant, l’investigation sur terrain au quartier Sideci, dans un périmètre de 2,738 km, allant de la Rue 018 qui commence au carrefour Akadjoba et s’étend au carrefour Saguidiba, pour un croisement avec la Rue 013 traversant le carrefour Saguidiba au carrefour Palais de justice, pour aboutir au carrefour Akadjoba, a permis de dénombrer 39 églises sur de 4 425 a, soit 0,4425 km2,, notamment 14 églises nommées d’obédience évangélique et protestante et 25 sans désignations. Sur ces 14 églises nommées, seulement deux ont été identifiée par le site OpenStreetMap.
Si pour une surface de 0,4425 km2, l’on enregistre 39 églises. Avec une surface totale de 153,06 km2 pour la commune, l’on obtient en moyenne 13 494 églises à Yopougon, tandis que le recensement effectué par le Site Rues de la Côte d’Ivoire identifie 189 lieux de prière pour toutes les croyances relatives au christianisme, sur la commune.
Cette interprétation est représentée par l’illustration ci-dessous. (Carte de Yopougon des lieux de culte chrétiens)
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Entre 1998 et 2021, au plan national, la part des chrétiens d’obédience (évangélique, céleste, assemblée de Dieu, etc…) a été multipliée par sept et les catholiques ont perdu 2 points de pourcentage, selon le site de la CAIDP consultée le 22 mai 2023.
Ce graphique réalisé à l’aide du logiciel Flourish permet d’illustrer et de comparer la représentation en pourcentages des différentes religions dans la commune de Yopougon avec l’ensemble du pays, selon le 5e recensement général de la population et de l’habitat (RGPH 2021), effectué par l’Institut national de statistique (INS).
* Considérant l’ensemble des religions à Yopougon tout comme dans l’ensemble du territoire, la religion dominante est musulmane.
* Au niveau de l’ensemble des croyances chrétiennes, 30% de la population de Yopougon est évangélique, tandis que les évangéliques représentent 18 % de l’ensemble de la population nationale.
* Après les évangéliques, viennent les catholiques à Yopougon. Les catholiques représentent 24% de la population communale tandis qu’ils sont 17% de l’ensemble de la population nationale.
Ainsi, avec l’appui de ces deux illustrations, l’on est en même de déduire une prolifération d’églises dans la commune de Yopougon, spécialement dans le milieu évangélique.
Encadré 2
Dans le souci d’avoir une idée plus fournie des dérives des guides spirituels dans la commune, nous avons adressé un courrier de demande d’information au préfet de police d’Abidjan, réceptionné le 05 juillet 2023, à la préfecture de police.
Ce courrier avait pour objectif d’obtenir accès aux données statistiques sur les plaintes contre les lieux de culte et infractions des hommes de Dieu en Côte d’Ivoire, à Abidjan et à Yopougon, afin d’en faire une évaluation.
Nous avons également précisé dans le courrier que cette demande s’inscrit dans le cadre d’une enquête que nous menons sur la prolifération des églises et dérives des guides spirituels à Yopougon.
L’objectif de l’enquête mentionné dans le courrier est de permettre une meilleure prise de conscience dans la pratique de la religion conformément aux droits de l’Homme.
Notre demande est restée sans suite jusqu’à ce jour. Cependant, nous restons ouverts à recevoir et publier ces données statistiques afin d’éclairer davantage la lanterne des croyants, des citoyens sur la pratique de la religion.
(Enquête réalisée par Ehouman Aimé Adrienne, coll: Ralph Ouassa Kouassi)
(AIP)
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