Agboville, 28 oct 2023 (AIP) – Au cœur du grand marché animé d’Agboville, des enfants « brouettiers » parcourent toutes les ruelles pour transporter les achats des clients vers diverses destinations, moyennant paiement. Ce gain est utilisé pour leurs « petites dépenses » ou pour contribuer à leur éducation scolaire.
Lorsque le soleil se lève, l’effervescence du marché prend son envol, surtout les samedis, jour de marché. Les étales colorées, chargées de fruits, de légumes ou de vivriers, attirent une foule de clients. C’est à ce moment-là que nos jeunes brouettiers font leur entrée.
Ils sillonnent toutes les petites allées du marché rétrécies par les petites tables installées pour les commerçantes pour mieux exposer leurs marchandises. Ils font le bruit d’un klaxon à répétions, « pipi, pipi » pour qu’on leur cède le petit passage où l’on déambule en file indienne. Ils créent, à certains endroits du marché, de petits bouchons de plusieurs secondes. Parfois, c’est une haie de part et d’autre qui est faite pour les laisser passer, accompagnés des mots et de soupirs qui expriment combien de fois ils dérangent dans la circulation. Mais ils ne font pas cas de cela parce que préoccupés à faire une bonne recette. Ils transportent un peu de tout, de la banane, du manioc, des fruits, des vivriers, les bagages des voyageurs pour toutes destinations voulues.
Les raisons qui les poussent à travailler
Ces enfants louent la brouette à 400 FCFA par jour. Ces jeunes réalisent des recettes journalières comprises entre 2.000 et 5.000 FCFA, selon ceux interrogés. Une activité « pour avoir un peu d’argent » comme l’affirme le « brouettier saisonnier », Coulibaly Souleymane, 13 ans, élève de CM2.
Parmi eux, Wadja Prince, 11 ans, est en classe de CM1. « Je suis venu pousser brouette. Ma grand-mère va prendre l’argent pour acheter mon tricot de l’école, c’est 2.000 FCFA », dit Wilfried le sourire chaleureux. Il fait savoir qu’il avait obtenu 10.000 FCFA après plusieurs jours de travail en vue de permettre à sa grand-mère de lui acheter des fournitures scolaires.
N’cho Yapi Yves, 13 ans, était élève mais il a arrêté les cours il y a trois ans, en classe de CM1 après le décès de son père. A la question de savoir ce qu’il va faire avec cet argent qu’il gagne, il répond « je ne sais pas ». Pour l’heure, il se contente de faire sa petite épargne auprès de sa maman.
« Ça fait une semaine que j’ai commencé à pousser les brouettes. Je peux avoir entre 3.000 FCFA et 4.000 FCFA par jour. Je viens tous les jours sauf dimanche. Je suis arrivé à 8h de Gouabo (village). Je paye le transport à 300 FCFA pour venir. Je suis ici jusqu’à 18h et je rentre au village », relate Yves qui rassure que le travail n’est pas épuisant et qu’il tient le coup.
Vêtu d’un kaki de grande taille sali par les marchandises qu’il a transportées, Kacou Wilfried, 17 ans, signale qu’il a reçu cette tenue de son frère qui a été admis au BAC. Wilfried était élève mais a abandonné les classes parce qu’il « n’avançait pas », le signifie lui-même en haussant la tête. Il a décidé d’être brouettier pour pouvoir payer les frais d’apprentissage d’un métier.
« Ça fait deux semaines que j’ai commencé à pousser brouette. Je pousse brouette pour chercher travail. Je veux faire la mécanique. Ma tante dit qu’elle va compléter l’argent que je vais gagner », nous raconte le jeune encore ignorant sur le coût de la formation.
A côté de lui, Assouman Adou Elisée, élève en classe de 5e. Il s’adonne à cette activité uniquement les samedis. Il vit avec sa grand-mère. L’idée d’être brouettier lui a été donnée par son frère qui est également élève. « Comme c’est le week-end, je viens me débrouiller un peu pour avoir l’argent de mon petit déjeuner à l’école. Parfois, ma grand-mère me donne le déjeuner mais parfois il y a des choses qu’on doit payer. Je viens entre 7h et 8h. Je vais parfois à 16h ou 18h. Je peux avoir 2.000 FCFA, 3.000 FCFA, 5.000 FCFA », dit-il.
L’histoire de l’élève Koké Landry avec la brouette
C’est au niveau du « marché de gros des vivriers » que travaille Koké Landry, le plus anciens des jeunes brouettiers. Vertu d’un tee-shirt maillot trempé de sueur avec une mandarine en main, Landry, orphelin de père et de mère, est devenu brouettier depuis la classe de CM2. Aujourd’hui, en classe de 1ère dans une école privée, il a payé ses cours avec l’argent qu’il gagne.
Arrivé sur le marché à 5h du matin, il a une recette de 4.000 FCFA à 13h. Il nous fait savoir qu’il rentre un peu tôt, à 16h, pour aller étudier. Entre les cris des vendeurs ambulants, il nous raconte son histoire avec fierté, qui est aussi écoutée par ses amis brouettiers.
« Quand j’étais au CM2, chaque samedi, je payais le transport du village Gbessé, pour venir pousser brouette à Agboville. Des fois, je venais dormir à Agboville les vendredis soirs pour commencer tôt le samedi matin. Ce sont ces brouettes qui ont fait que je suis parti à l’école jusqu’à cette année. J’ai eu le BEPC mais je n’ai pas eu la moyenne d’orientation, donc je paye les cours avec l’argent des brouettes. Je prends cet argent pour payer aussi mes habits, mon déjeuner et mes petits trucs. Si je ne me suis pas trop amusé, je peux avoir 5.000 FCFA. Il y a des fois j’ai la paresse », explique le jeune Koké Landry de 20 ans.
Des risques de l’école buissonnière et la vie de rue les guettent
Bien que louant leur courage, certaines personnes estiment qu’ils sont exposés à la tentation de la vie de rue et à l’école buissonnière, voir l’abandon des classes, du fait qu’ils allient éducation et « travail précoce ».
Dame Pauline Kassi, mère de huit ans, éprouve dans un premier temps de la pitié pour ces derniers mais interpelle sur le fait qu’ils ont la possibilité de se faire de l’argent quand ils veulent. « Imaginez-vous, ils sont habitués à attraper l’argent cela peut les amener à faire certaines choses. Ils peuvent s’acheter facilement de l’alcool, une cigarette. Un enfant qui est indépendant, qu’est-ce qu’un parent peut lui dire ? », s’interroge Mme Kassi.
Kouman Etienne, enseignant de collège, ne blâme pas ses enfants brouettiers. Il déplore cependant cette situation. « Ce n’est pas une situation souhaitable. S’ils le font, c’est par nécessité. C’est vrai qu’il peut avoir un impact. Si au départ, c’est juste pour subsister, ils peuvent avoir le goût de l’argent. C’est un grand facteur de décrochage si l’enfant n’est pas rigoureux envers lui-même », argumente M. Kouman qui précise qu’il n’a jamais éprouvé le besoin de solliciter leurs services.
La sexagénaire Loua Marie est compatissante pour « ses petits-enfants ». « En les voyant, je me dis que leurs parents n’ont pas de grands moyens pour s’occuper d’eux convenablement », dit-elle avec le regard pensif.
(AIP)
Ena/fmo