Abidjan, 09 nov 2023 (AIP) – L’Organisation internationale du Travail (OIT), grâce au projet ACCEL Africa, financé par le gouvernement des Pays-Bas, a mis en place des stratégies innovantes pour soutenir la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, dans sa lutte contre le travail des enfants. Dans cette interview accordée à l’AIP, l’ex-coordonnateur du projet ACCEL Africa, N’dépo Euphrèm, présente les différentes stratégies mises en œuvre pour lutter “efficacement et durablement” contre le travail des enfants dans la culture du cacao.
Quelles sont les plus-values après la mise en œuvre de la première phase du projet ACCEL Africa dans la cacaoculture ?
Depuis 2019, le projet ACCEL Africa de l’Organisation internationale du Travail (OIT), financé par le gouvernement néerlandais, a été mis en œuvre pour lutter contre le travail des enfants. Ce projet a introduit plusieurs interventions innovantes, dont l’une est l’expérimentation de nouvelles approches pour combattre le travail des enfants. Une de ces approches est l’utilisation de mécanismes de protection sociale, notamment la mise en place effective de la couverture maladie universelle (CMU).
Cela a constitué une innovation majeure, ayant eu pour effet de susciter une prise de conscience et un changement de perspective parmi plusieurs parties prenantes. Par exemple, lorsque des entreprises privées décident de prendre en charge les cotisations de la couverture maladie universelle (CMU) pour certains producteurs de cacao, cela témoigne d’une modification significative de leur comportement.
Cette façon de faire revêt d’une importance considérable, car cela permet également à nos partenaires gouvernementaux, en particulier la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), de prendre conscience que les agriculteurs représentent une population spécifique. Par conséquent, il est nécessaire d’adapter les approches et de s’orienter davantage vers les agriculteurs. La CNAM a donc entrepris d’aller vers les communautés en réalisant des inscriptions au sein des coopératives. Cette démarche a permis une meilleure compréhension de l’environnement coopératif, ce qui constitue l’une des valeurs ajoutées du projet ACCEL Africa.
La deuxième stratégie innovante du projet ACCEL Africa de l’OIT concerne la promotion de la santé et de la sécurité au travail. En Côte d’Ivoire, un enfant de 16 ans est légalement autorisé à travailler. Cependant, si cet enfant effectue un travail dangereux ou porte des charges lourdes, cela devient une forme de travail interdite.
Les mesures de sécurité au travail jouent un rôle crucial dans la réduction des risques liés à l’emploi. L’importance de ces mesures réside dans le fait qu’elles permettent aux communautés de prendre des initiatives simples pour lutter contre le travail des enfants. Dans ce contexte, l’approche Wind de l’OIT a été mise en œuvre. Cette approche encourage les communautés à adopter des mesures simples dans leur environnement pour améliorer la prévention des divers risques liés à la sécurité au travail.
Quelles sont ces mesures simples mises en place dans l’approche WIND ?
Parlant des mesures simples de l’approche WIND, c’est par exemple au lieu d’utiliser la machette, un outil a été conçu pour écabosser le cacao appelé l“Ecabo”.
D’autres exemples simples incluent les foyers améliorés, car la fumée présente un risque pour la santé. Nous avons présenté aux communautés des foyers améliorés équipés de cheminées, permettant ainsi aux mères de famille de prévenir les maladies liées à l’inhalation de la fumée. Les avantages en termes de santé sont évidents. Une femme qui se protège en évitant l’inhalation prolongée de fumée contribue à améliorer sa santé. Cette approche est particulièrement pertinente, car dans de nombreux ménages africains, la cuisine est souvent enfumée, ce qui provoque des irritations oculaires et des problèmes respiratoires. Pour l’OIT, il s’agit d’une approche très adaptée, et certains partenaires envisagent de l’adopter.
Existe-t-il des contraintes ou difficultés dans la mise en œuvre du projet ACCEL Africa ?
La pandémie de la COVID-19 a fortement affecté le projet, en particulier pendant sa phase de démarrage et de déploiement. Les restrictions de déplacement et les interdictions de voyage ont entravé le déroulement des activités.
Le changement de comportement, tant chez les producteurs de cacao que chez les acteurs institutionnels, est un processus qui prend du temps. Par exemple, convaincre un producteur de cacao d’adopter un outil plus sûr pour écabosser nécessite non seulement de comprendre la nécessité de ce changement, mais aussi de l’accepter et de s’y habituer.
L’implémentation de nouvelles approches, comme l’implication de l’inspection du travail et de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) pour l’enrôlement des producteurs, est un processus innovant qui nécessite du temps pour être pleinement intégré.
Ces défis soulignent la complexité de la lutte contre le travail des enfants et la nécessité d’approches innovantes et adaptées.
La cacaoculture en Côte d’Ivoire, c’est 800.000 travailleurs, avez-vous l’ambition de toucher toutes ces personnes dans le cadre du projet ACCEL ?
Le projet ACCEL Africa, mis en œuvre par l’Organisation internationale du Travail (OIT), a réussi à inscrire près de 6000 producteurs de cacao dans le cadre du programme de Couverture maladie universelle (CMU) lors de sa première phase. En plus de cela, le projet a également mis en œuvre d’autres interventions, notamment des formations et des campagnes de sensibilisation.
L’OIT et les Nations Unies travaillent ensemble pour élaborer des politiques de travail efficaces. Dans le cadre de la lutte contre le travail des enfants, ils fournissent un soutien technique aux acteurs gouvernementaux pour élaborer des plans d’action nationaux. Ces plans sont ensuite mis en œuvre à l’échelle nationale pour toucher le plus grand nombre de producteurs possible.
En somme, bien que les projets aient des bénéficiaires directs et indirects, la mission de l’OIT est de participer à la création de politiques de travail efficaces pour avoir un impact sur le plus grand nombre de personnes possible.
Existe-t-il des niches dans le secteur qui, une fois touchées, peuvent réduire le travail des enfants dans la cacaoculture ?
Il est essentiel de s’attaquer aux causes profondes du travail des enfants, comme la pauvreté, le manque d’infrastructures sociales de base et l’absence d’extrait de naissance. En travaillant sur ces causes, on peut inverser la courbe du travail des enfants.
Les projets de lutte contre le travail des enfants qui ciblent un nombre limité de bénéficiaires ont un impact limité. Cependant, lorsque les politiques publiques s’attaquent aux causes profondes du travail des enfants, comme la couverture de la CMU pour tous les producteurs ou toutes les populations, l’impact est beaucoup plus grand et plus durable.
Quelles initiatives avez-vous prises pour les enfants travailleurs dans la cacaoculture sortis prématurément du système scolaire ?
Dans le cadre de la phase 1 du projet ACCEL Africa, une collaboration a été établie avec plusieurs parties prenantes, dont la Direction de l’apprentissage, la Chambre nationale des métiers et l’UNICEF, pour développer des outils destinés à la formation des enfants. Ces outils sont conçus pour les enfants de plus de 14 ans, qui ont l’âge légal pour entrer en apprentissage.
Des programmes de formation à court terme ont été élaborés en collaboration avec le ministère de l’Emploi et de la Protection sociale. Ces programmes, actuellement en cours dans la région de la Nawa, offrent une formation dans des domaines tels que la mécanique automobile et la couture. Pour les enfants qui peuvent retourner à l’éducation de base, des agences comme l’UNICEF les orientent vers d’autres mécanismes, comme les classes passerelles.
Vous avez parlé d’outils d’apprentissage, que sont-ils ?
Les outils d’apprentissage, d’abord le premier élément il faut avoir des curricula de formation par exemple, c’est-à-dire un programme de formation élaboré par les spécialistes du ministère de l’Emploi et de la Protection sociale, des pédagogues qui élaborent les modules de formations pour les enfants, adaptés aux enfants. C’est vraiment important cette adaptation parce qu’on ne forme pas les enfants comme on forme les adultes. Il faut donc des formations adaptées avec des volumes horaires bien définis.
(AIP)
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(Interview réalisée par Philomène Kouamé)