Lakota, 04 juin 2025 (AIP) – Les populations de Gbéga, un village situé à une quarantaine de kilomètres de la ville de Lakota, ont le sentiment d’être abandonnées, au regard d’énormes déficits infrastructurels. Elles appellent les autorités compétentes à l’aide.
Un village difficile d’accès
A Gbéga, ils étaient une quinzaine de parents d’élèves avec leurs enfants réuni le lundi 02 juin 2025 dans une classe de l’Ecole primaire publique (EPP) du village pour la proclamation des résultats de l’examen d’entrée en Sixième et du Certificat d’études primaires élémentaires (CEPE). Ce village, l’un des 18 du canton Diéko, est difficilement accessible car juché sur une montagne. On y accède par le village de Gakreko, situé à environ 35 km de Lakota. A partir de ce village, il faut escalader péniblement à pied, à travers la forêt, environ sept kilomètres de piste à flanc de montagne. Les engins à deux, trois roues ou les voitures ne peuvent y accéder, faute de route.
Venant de Lakota, on passe par les villages de Diékolilié, Seliboua, Satroko et Guiguedou avant d’atteindre Gakreko. Ceux qui s’y rendent laissent généralement leurs engins à Gakreko avant l’escalade à pied pour Gbéga. Ce village fait frontière avec Nebo, une sous-préfecture de Divo par laquelle les gens passent également pour y arriver. Long d’une quarantaine de kilomètres, ce trajet depuis Divo en passant par Nebo est le plus souvent préféré à celui de l’escalade à pied à partir du village de Gakreko, du côté de Lakota.
Besoins énormes en infrastructures
Le premier notable du chef du village de Gbéga, Dadié Dego Simon, a déploré le manque de voie d’accès au village. Il a regretté le fait que son village soit enclavé sans ouverture sur Lakota, la sous-préfecture à laquelle il est rattaché. Aucune route praticable ne mène vers les autres villages du canton Diéko. « Gbéga est isolé. On ne dirait même pas un village. Regardez le vilain aspect de nos maisons. (…) Nous n’utilisons rien d’autres que des matériaux provisoires pour la construction de nos maisons, parce qu’il n’y a pas de route pour faire venir le sable, le ciment et autres », pointe Dadié Dego.

Le président de la Mutuelle de développement de Gbéga, Ouréga Boga Gilbert, soutient que le village vit dans la désolation, tant le déficit infrastructurel est énorme. Il a déploré le manque d’électricité, d’eau potable et l’absence de structures sanitaires, soulignant que ces difficultés qui s’accumulent constituent pour Gbéga des obstacles majeurs à son développement et au bien-être de ses habitants.
M. Ouréga a indiqué que sa localité est la seule des 18 villages du canton Diéko à ne pas être électrifiée. « On ressent une forme de tristesse quand on met les pieds à Gbéga. Le quotidien des populations est très compliqué, tellement on manque de tout », a affirmé le président de la Mutuelle, estimant que le village est oublié et abandonné par les autorités.

La présidente des femmes du village, Atta Amian Bienvenue, est revenue sur le manque d’eau potable et l’absence de centre de santé pour les populations de Gbéga. Elle a noté que les femmes et les enfants souffrent énormément lorsqu’il s’agit d’approvisionner les ménages en eau.
« Il faut descendre la montagne à travers la forêt sur un kilomètre de route pour prendre l’eau à la source du village et ensuite remonter la pente avec ses courbes avec un bidon plein d’eau de 25 litres sur la tête pour le retour au village. On souffre trop ici », a-t-elle fait remarquer. Une femme à Gbéga a toujours mal au corps, mal au genou, à cause de « cette corvée d’eau », a-t-elle poursuivi.
Le vice-président de l’association des jeunes, Zehouri Kolo Zozo, a relevé le problème de l’accès au village en venant de Lakota. Il a déploré le total isolement et enclavement du village. « Comment comprendre que pour aller à Lakota, nous nous rendions à Divo pour emprunter un véhicule ? Comment comprendre que nous sommes de Lakota, mais tous nos produits agricoles sont évacués et écoulés à Divo ? C’est Divo qui profite de l’extraordinaire production de banane plantain du village de Gbéga », a décrié M. Zehouri.
Le président du comité de gestion (COGES) de l’EPP Grolilié (l’un des trois quartiers du village), Api Kouassi, a regretté l’état de dégradation des deux bâtiments de l’école dont un a sa toiture décoiffée par les intempéries.
Il a déclaré que l’école du village ressemble plutôt à une école abandonnée avec ses murs défraîchis et couverts de fissures, ses toits laissant passer l’eau de pluie, et des salles de classe aux portes en lambeau. « Nous avons une trentaine de nos élèves qui ont abandonné notre école pour celle du village voisin de Gbagbota, dans la sous-préfecture de Nébo. Voyez vous-même, les enfants savent ce que sait qu’une école de qualité », a déploré le président du COGES.
Selon le trésorier du COGES de l’école, Gba Okédjé, « le village de Gbéga est le plus abandonné du département de Lakota, avec un déficit de développement qui saute à l’œil nu ».
Un sentiment unanime de frustration et d’abandon prononcé
Le notable Dadié Dego Simon a révélé que le village de Gbéga abrite, depuis les années 1960, un pylône de télédiffusion de la RTI avec d’autres structures gérée par Société ivoirienne de Télédiffusion (SIDT). Il a expliqué que ces installations sont une source de frustration pour les populations du village, parce qu’une ligne d’électricité de haute tension arrive spécialement dans le village pour fournir cette infrastructure de l’Ivoirienne de télédiffusion (IDT) en électricité sans pour autant fournir Gbéga en électricité.
« Mon village est plongé dans le noir total chaque soir pendant qu’il y a de l’électricité qui alimente un bâtiment de l’Etat dans le village. Nous trouvons cela injuste et très frustrant », a soutenu M. Dadié. Le vice-président de l’association des jeunes, Zehouri Kolo Zozo, a également dénoncé l’incongruité de cette situation à propos de l’électricité.
Pour le président de la mutuelle de développement, Ouréga Boga Gilbert, c’est une situation frustrante et paradoxale pour les habitants du village qui restent plongés dans l’obscurité, alors que des antennes de communication installées dans le village bénéficient de l’électricité. Selon lui, ce contraste alimente un sentiment d’injustice et d’abandon, surtout lorsqu’on sait que l’accès à l’énergie est essentiel pour le développement des localités.

Impacts de l’enclavement de Gbéga sur le quotidien des populations
Selon le directeur de l’EPP, Dagbo Kouamé Alfred, la situation de Gbéga, enclavé et presque isolé a un impact sur le quotidien des populations notamment dans le domaine de l’accès aux services essentiels qui demeure limité. Les populations sont obligées de se référer aux infrastructures sanitaires, éducatives, de même qu’aux marchés des villages de Divo, pour leur mieux-être. Toute chose qui freine le développement de la localité.
Le griot du village, Dadié Dago Fulbert, trouve qu’avec cette situation, les potentialités agricoles du village ne sont pas mieux exploitées.
Les paysans ont de nombreuses difficultés à faire sortir leurs produits des champs, du fait de l’absence de pistes praticables pour des plantations à flanc de montagne. Selon lui, acheminer les récoltes vers les marchés de Divo est un défi logistique, augmentant les coûts et limitant la rentabilité des exploitations de cacao et de la banane plantain dont regorge Gbéga.
Gba Okédjé a fait savoir que face à toutes ces difficultés, les jeunes ont tendance à quitter le village pour chercher de meilleures conditions de vie ailleurs, entraînant un déclin démographique dans le village. Il a, d’ailleurs, souligné que des habitants du village ont déménagé avec femmes et enfants à Gbagbota, le village voisin, pour échapper à ces difficultés existentielles.
Une habitante, N’Dré Antoinette, a relevé que les jeunes et les hommes ont du mal à se marier ou à demeurer mariés dans le village. Selon elle, les conditions de vie à Gbéga affectent non seulement la décision de se marier mais aussi l’ensemble des dynamiques sociales dans le village, aboutissant à un manque d’engagement des jeunes pour le mariage. Elle a fait remarquer qu’il y a beaucoup d’hommes dans le village dont les femmes sont parties et ne sont plus revenues.
Les activités culturelles en berne
La priorité des habitants du village de Gbéga n’est pas de se préoccuper de la pérennisation ou la transmission des valeurs culturelles, selon certains habitants, soulignant que leurs efforts sont consacrés d’abord à leur survie. Quand le temps et l’énergie sont accaparés par des tâches essentielles comme l’accès à l’eau ou les soins de santé, les activités culturelles peuvent passer au second plan. Les jeunes sont moins enclins à apprendre les traditions en raison de leur situation de précarité.
Le notable Dadié Dego Simon a jugé que l’isolement limite la transmission intergénérationnelle. Si les anciens, porteurs du savoir, disparaissent sans avoir pu transmettre leurs connaissances, les traditions risquent de s’éteindre. De plus, souligne-t-il, le manque d’échanges avec d’autres communautés peut empêcher la revitalisation et l’adaptation des pratiques culturelles. Selon lui, sans ressources financières, il est difficile de conserver les instruments de musique et les costumes.
Appel à l’aide aux autorités compétentes et aux bonnes volontés
Le président de la mutuelle de développement a lancé un cri de détresse, au nom des populations de Gbéga. « Notre village vit dans un isolement total, privé des infrastructures essentielles qui nous permettraient de mener une vie digne. L’absence de routes pour rejoindre Lakota nous coupe de notre département, de notre canton, rendant difficile l’accès aux soins médicaux, à l’éducation et aux opportunités économiques », a soutenu Ouréga Boga Gilbert. Il a souligné également le problème d’accès à l’eau potable et à l’électricité
M. Ouréga a appelé les autorités compétentes, les organisations humanitaires et toutes les bonnes volontés à entendre l’appel des populations de Gbéga. « Nous avons besoin de routes, de forages d’eau potable, d’un centre de santé fonctionnel, et nous souhaitons la réhabilitation de notre école primaire », a-t-il plaidé.
La présence de l’AIP à Gbéga a été vécue comme une audience foraine. Toutes les composantes des couches sociales du village avaient à cœur de s’exprimer sur les problèmes de leur quotidien. Elles avaient beaucoup à dire et elles tenaient à parler sur les quatre doléances qui fondent leurs espoirs en un lendemain meilleur pour les populations du village, à savoir la route, l’électricité, l’eau potable, et un dispensaire.
Gbéga, village fort de 400 âmes, selon la notabilité, est partagé entre se tourner vers Divo ou revendiquer son appartenance au canton Diéko du département de Lakota. Pour l’heure, les populations n’aspirent qu’à un mieux-être en demandant aux autorités compétentes de leur venir en aide.
(Reportage de Ouattara Banafani, AIP Lakota)
(AIP)
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