Abidjan, 22 juin 2025 (AIP) – La presse ivoirienne fait face à une crise systémique persistante, marquée par un environnement économique instable, un modèle économique fragile et un manque d’investissement structurant, ont relevé plusieurs acteurs du secteur, vendredi 20 juin 2025 au Centre de recherche et d’action pour la paix (CERAP), dans le cadre de la conférence-débat « Les Vendredis du CERAP », autour du thème : « La presse ivoirienne se débat-elle ? ».
Le président de l’Observatoire de la liberté de la presse, de l’éthique et de la déontologie (OLPED), Zio Moussa, a dressé un état des lieux de la problématique de la gouvernance financière dans les entreprises de presse qui remonte aux années 80-90.
« La grande bataille de cette époque, c’était de sortir la presse de l’informel. Entre 1990 et 1996, plus de 160 journaux ont vu le jour, mais très peu étaient adossés à de véritables entreprises de presse structurées », a expliqué M. Zio, soulignant que la majorité opérait sans cadre juridique ou social pour les journalistes.
Il a déploré le fait que malgré les efforts de régulation économique initiés par le Conseil national de la presse (CNP), devenu aujourd’hui Autorité nationale de la presse (ANP), le secteur demeure largement informel. Il a pointé du doigt deux « pathologies lourdes » qui plombent l’entrepreneuriat de presse : d’une part, un modèle économique dépendant de financements politiques, et d’autre part, l’indifférence des véritables capitaines d’industrie envers le secteur.
« Presque toutes les entreprises de presse sont financées par des partis ou figures politiques, dans une logique de dividendes politiques, non professionnels », a affirmé Zio Moussa. À cela s’ajoute l’absence de véritables études de marché en amont de la création de journaux, ce qui limite leurs capacités d’adaptation aux attentes des lecteurs.
Prenant l’exemple du quotidien Fraternité Matin, il a rappelé qu’une relance éditoriale fondée sur les besoins réels du lectorat avait permis de faire passer le tirage de 12 500 à 30 000 exemplaires au début des années 2000, après une chute vertigineuse.
Le directeur général du quotidien Liberté, Guillaume Gbato, a pour sa part mis l’accent sur les obstacles d’ordre économique et logistique qui handicapent la presse écrite. Selon lui, le coût d’impression d’un journal, qui était de 60 FCFA avant 2002, est aujourd’hui de 125 FCFA, alors que le prix de vente moyen reste de 300 FCFA.
« Nous n’avons que deux imprimeries avec des tarifs identiques, et un seul distributeur qui est un opérateur public en grande difficulté. C’est le seul secteur économique où vous produisez, vous remettez le produit à l’État et vous attendez », a-t-il dénoncé, pointant un système de distribution archaïque et déséquilibré.
Guillaume Gbato a également dénoncé la concentration de la publicité entre les mains de quelques journaux qui capteraient plus de 80% du marché publicitaire. Il appelle à un changement de paradigme en matière de soutien public.
« Il ne s’agit pas d’aide à la presse, mais de financement de la presse sur fonds publics. La presse est un secteur économique à part entière, au même titre que l’agriculture ou l’industrie », a-t-il insisté.
Les panélistes ont plaidé pour une réforme structurelle du secteur, incluant un meilleur accompagnement des entreprises de presse, une véritable politique de financement et une implication accrue des acteurs économiques privés.
Selon les dernières statistiques officielles publiées en mars 2024 par l’ANP, la Côte d’Ivoire compte un peu plus de 200 titres de presse imprimée enregistrés, mais moins de 50 journaux paraissent de façon régulière sur le territoire national. Le tirage moyen quotidien des journaux papier reste faible, oscillant entre 2 000 et 3 000 exemplaires, contre plus de 100 000 dans les années 1990.
L’État ivoirien, à travers l’Agence de soutien et de développement des médias (ASDM) a injecté en 2023 près de 1,2 milliard FCFA sous forme d’aides directes et d’appuis techniques, jugé insuffisants pour la restructuration du secteur.
(AIP)
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