Par Tra Lou Sonia
M. Patrice Achirou est cadre de santé, formateur à Bordeaux (France) et chargé de mission de l’ONG française Association pour l’information et la prévention de la drépanocytose (APIPD). L’AIP est allée à sa rencontre afin d’éclairer l’opinion sur cette pathologie génétique, mais surtout sur les activités qui seront menées en Côte d’Ivoire lors de la Journée mondiale de lutte contre la drépanocytose célébrée chaque 19 juin. Interview.
Qu’est-ce que la drépanocytose ?
La drépanocytose est une maladie génétique héréditaire de la malformation des globules rouges qui transportent moins bien l’oxygène dans le sang. Cette pathologie touche autant les femmes que les hommes. C’est la première maladie génétique au monde, mais encore méconnue des populations.
La drépanocytose touche essentiellement les personnes d’origine africaines, antillaises, maghrébines, moyen-orientales ou indiennes. Donc, vous voyez que c’est une maladie très endémique dans les pays en voie de développement.
Quels sont les symptômes ?
La maladie se manifeste par une anémie aiguë (baisse brutale du nombre de globules rouges dans le sang) se traduisant par une fatigue chronique, un essoufflement, des vertiges, une sensibilité aux infections et des poussées très douloureuses dues à la mauvaise circulation sanguine, et au déficit d’oxygénation des tissus.
Le principal symptôme est la douleur qui survient par crises de façon inopinée tout au long de la vie. Ces crises osseuses extrêmement douloureuses se déclarent lorsque les globules rouges déformés bloquent les vaisseaux sanguins et privent d’oxygène les tissus, en particulier les os.
Il y a aussi la pâleur de la peau (surtout au niveau des paumes de mains et des plantes de pieds), la coloration jaune du blanc de l’œil, urines foncées, essoufflements, fréquence cardiaque augmentée (tachycardie) et souvent un retard de puberté et de poids…
Les chiffres en Côte d’Ivoire
3,5 millions de personnes sont atteintes de la maladie en Côte d’Ivoire. Le taux de prévalence national tourne autour de 12% (2022). C’est énorme!
Comment contracte-t-on la maladie ?
C’est une maladie héréditaire: donc qui vient des deux parents. L’hémoglobine normale est appelée « A » et l’hémoglobine anormale « S ». Deux personnes « AS » ont un risque sur quatre à chaque grossesse de mettre au monde un enfant malade « SS », deux gênes anormales donnant la forme grave de la drépanocytose. Mais ils peuvent mettre au monde des enfants AS, la forme moins grave, mais tout aussi compliquée, ou bien même un enfant bien portant…
Retenez que chaque individu est le fruit de l’héritage génétique de ses parents dont celui qui code l’hémoglobine. D’où l’utilité de faire un examen de dépistage appelé « électrophorèse de l’hémoglobine ».
Quelles sont les actions menées par votre ONG dans ce cadre ?
Exerçant en France en soins infirmiers, je suis en Côte d’Ivoire pour préparer mon doctorat en faisant mon stage au Centre national de transfusion sanguine (CNTS) de Treichville, et en formant les étudiants de l’Institut national de formation des agents de santés (INFAS) au sein du CHU de Treichville. Dans ce cadre, notre ONG est entrain d’être bien implantée et a d’ailleurs eu plusieurs séances de travail avec la directrice de l’INFAS, Professeure Méliane N’Dathz Ebagnintchi-Sanogo et son équipe d’où découleront de grandes activités.
Au niveau académique, notre objectif est que cette pathologie soit intégrée de manière particulière dans le curricula de formation des étudiants pour qu’au sortir de leur formation, ces agents de santé soient à même de reconnaitre et prendre en charge immédiatement les patients. D’ailleurs, à l’initiative du Pr N’Dathz, nous avons pu organiser en 2023, la Journée mondiale au sein de l’INFAS, avec pour objectif de sensibiliser les étudiants et de mieux faire connaitre la maladie.
Au niveau de la prise en charge clinique, nous voulons montrer aux patients qu’ils peuvent être pris en charge, notamment au CNTS. Aussi, que les hématologues qui y exercent favorisent l’accueil et accompagnement médical des patients.
Au niveau communautaire, nous voulons sensibiliser les populations sur le dépistage précoce, (surtout des nouveau-nés des parents porteurs) et accompagner les familles autour de cette maladie. Le diagnostic est très important, surtout à la naissance.
Aussi, vu l’affluence du nombre de candidats lors des concours de la Fonction publique, on peut utiliser ce créneau pour avoir la prévalence au sein de notre population.
L’APIPD, installée également au Togo et au Bénin, veut faire connaître la drépanocytose et mieux connaître les malades pour éviter toute forme de discriminations. Dans le cadre de la Journée mondiale, nos activités de 2024 se déclineront en rencontres dans les écoles, les facultés, les entreprises, les différentes ligues de sport, les associations communautaires et culturelles dans les communes, etc.
Un drépanocytaire a-t-il l’espoir d’être guéri ?
Les progrès dans la prise en charge de la maladie ont permis d’accroître significativement l’espérance de vie moyenne des personnes atteintes de drépanocytose : elle est aujourd’hui de plus de 40 ans alors qu’elle était inférieure à 20 ans avant les années 1980. Il est clair qu’on doit continuer à garder espoir et il est important que la prise en charge soit totale.
Mon message
La maladie mérite d’être connue pour faire moins de ravages. La drépanocytose blesse, torture, condamne des êtres sans distinction d’âge et de sexe et finit par tuer prématurément, certains. Cette maladie est chronique, handicapante et croît avec l’âge.
La méconnaissance de la maladie est à l’origine de situations douloureuses car elle continue de faire des ravages et de décimer des familles, alors qu’on peut freiner cela.
Le déficit en globules rouges provoque la fatigue chez les malades drépanocytaires et jugements chez les autres : les malades sont traités de fainéants. Les écoliers et les étudiants ne sont pas épargnés. D’où la nécessité de continuer la sensibilisation dans la population, faire le dépistage avec l’examen « l’électrophorèse » pendant la grossesse.
Nous incitons au dépistage les jeunes, ceux en âge de procréer, les couples qui ont des projets de mariage, et communiquons sur l’importance du don de sang, un autre créneau pour toucher ceux atteints de cette pathologie.
Nous invitons les populations, les malades et les parents des malades à nous rejoindre pour mener cette lutte. Aussi, la contribution en nature et/ou en espèce pour mener nos activités seraient les bienvenues. Le combat continu…
(AIP)
tls/tm