Abidjan, 31 août 2024 (AIP) – Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de neuf femmes africaines sur dix en âge de procréer vivent dans des pays où la législation en matière d’avortement est restrictive. Chaque année, au moins six millions de femmes en Afrique interrompent leur grossesse dans des conditions dangereuses. La médecine traditionnelle et chinoise se présentent comme des voies de recours à l’avortement non sécurisé, qui mettent en danger la vie des femmes.
Selon un guide produit par l’Organisation population référence bureau (PRB), plus de huit millions d’avortements ont lieu chaque année sur le continent africain, dont trois quarts sont réalisés dans des conditions non sécurisées. En Côte d’Ivoire, l’avortement représente 21 % des décès maternels et seule une femme sur quatre pratique l’avortement de manière sécurisée (EDS-CI).
Les trois autres femmes, comme Elodie X, ont recours soit à la médecine traditionnelle, à la médecine chinoise ou encore à des méthodes artisanales qui compromettent gravement leur fertilité.
« Chez nous les mossi, la fille qui contracte une grossesse sous le toit de ses parents est immédiatement renvoyée de la maison. Ne voulant pas subir ce sort, j’ai eu à faire un avortement clandestin grâce à l’aide d’une amie qui m’a conseillé un lavement avec de la poudre de verre. Après, j’ai souffert de douleurs intenses et d’hémorragies pendant des jours. Hospitalisée, les médecins ont découvert des résidus de verre dans mes trompes et ont dû les retirer pour me sauver la vie », raconte Elodie, qui continue de vivre avec la douleur de l’infertilité.
Infections, myomes, fibromes, septicémie, hémorragies utérines, stérilité ultérieure, kystes, déchirures des parois de l’utérus, voire décès, sont autant de dangers que présente l’avortement non sécurisé, souvent pratiqué à cause de considérations religieuses, culturelles, morales, ou politiques.
La médecine traditionnelle : une pratique à haut risque
Dans de nombreuses régions d’Afrique, les femmes continuent de recourir à des méthodes traditionnelles pour interrompre une grossesse non désirée, malgré les risques considérables pour leur santé. Ces pratiques, souvent transmises de génération en génération, sont utilisées en raison de l’accès limité aux services de santé reproductive ou du coût élevé des procédures médicalisées.
Parmi les méthodes traditionnelles d’avortement non sécurisé, l’utilisation des grains à l’intérieur de la cabosse de la feuille de margose est particulièrement répandue. Une vendeuse de feuilles traditionnelles, qui a requis l’anonymat, explique que ces graines sont écrasées puis introduites directement dans le vagin de la femme enceinte.
Une autre méthode traditionnelle consiste à réaliser un lavement avec un mélange de feuilles de tomate et de coton écrasées. Ce mélange est soit introduit dans le vagin, soit consommé sous forme de boisson pour provoquer l’expulsion du fœtus. Comme avec la margose, les risques associés à cette méthode sont nombreux : infections, hémorragies, et complications irréversibles pour la santé reproductive de la femme. En l’absence de surveillance médicale, ces pratiques peuvent avoir des conséquences dévastatrices.
La feuille d’Aloma, également connue sous le nom de « tchèbanikala » en langue malinké, est utilisée dans une préparation impliquant divers ingrédients tels que le long poivre, le gingembre, et des écorces spécifiques appelées écorces de Lakota. Ce mélange est pilé et consommé pour provoquer l’arrivée des menstruations et ainsi « détruire » la grossesse. Bien que perçue comme naturelle, cette méthode n’est pas sans danger. Outre les risques communs à toutes ces pratiques (infections, saignements, etc.), l’ingestion de telles concoctions peut provoquer des intoxications sévères, endommager les organes internes, et entraîner des complications graves, parfois mortelles, justifie un gynécologue stagiaire dans un CHR de la place.
Recours à la « magie » chinoise
Beaucoup de femmes candidates à l’avortement ont recours à la médecine chinoise, souvent perçue comme une forme de « magie ». Tout en ignorant que ces médicaments ne sont pas toujours réglementés ou approuvés pour un usage sûr et efficace.
« La plaquette de comprimés m’a coûté 15 000 FCFA, et les antibiotiques 5 000 FCFA, soit un total de 20 000 FCFA que j’ai dépensé pour faire passer cette grossesse que mon copain ne voulait pas reconnaitre », confie Aicha Y., étudiante en licence 3 à l’Université Félix Houphouët-Boigny.
Le traitement prescrit consistait à avaler deux comprimés le premier jour à 6h du matin, puis un autre à 18h. Le deuxième jour, Aicha devait prendre un comprimé le matin et un autre le soir. Le dernier jour, elle devait ingurgiter trois comprimés, tout en évitant de consommer des aliments glacés, sucrés ou alcoolisés pendant le traitement.
Certains médicaments chinois peuvent contenir des substances toxiques ou provoquer des réactions allergiques graves, telles que des dommages au foie, aux reins ou au système cardiovasculaire, prévient un gynécologue en fonction à l’intérieur du pays sous le sceau de l’anonymat.
” Il n’y a pas que des comprimés à avaler; certaines insèrent des médicaments directement dans le vagin. Ces produits peuvent détruire les tissus vaginaux, et souvent, l’avortement n’est pas complet. Des fragments du fœtus restent, s’infectent, et entraînent parfois la mort. Parfois, des médicaments provenant de l’étranger, comme de Chine, sont utilisés sans que l’on puisse lire les instructions. Une personne peut essayer ces méthodes par expérience personnelle, mais chaque corps réagit différemment, ce qui peut avoir des conséquences dramatiques”, renchérit la présidente nationale des sages-femmes de Côte d’ivoire (ASFI), Diallo Awa épouse Yao.
Le lavement à l’aide de l’infusion de cubes d’assaisonnement, consommation de boissons gazeuses avec des comprimés d’Efferalgan, sont autant de méthodes utilisées pour contourner la restriction de l’avortement sécurisé, qui n’est pratiqué légalement qu’en cas de viol, d’inceste, de dangers liés à la vie et à la santé mentale de la mère.
(AIP)
Par Simon Benjamin BASSOLE
Encadré 1
L’AGnDR appelle à la domestication du Protocole de Maputo pour la réduction du taux de mortalité et de morbidité maternelle encore trop élevé en Côte d’Ivoire
La coalition Action de lutte contre les grossesses non désirées et à risque de Côte d’Ivoire (AGnDR), par la voix de son secrétaire exécutif Kouadio Yeboua, lance un appel fort au gouvernement ivoirien pour la domestication complète du Protocole de Maputo ratifié par la Côte d’Ivoire en 2011 et publié au journal officiel en 2012 afin de réduire l’impact de l’avortement non sécurisé sur le taux de mortalité et de morbidité maternelle encore trop élevé en Côte d’Ivoire et qui selon des études nationales est de 385 décès pour 100.000 naissances vivantes (EDS 2021).
« Nous reconnaissons que des progrès notables ont été accomplis dans le cadre de notre plaidoyer pour une meilleure protection des droits reproductifs des femmes. En 2019, le code pénal ivoirien ne prenait pas en compte certains éléments clés, mais grâce à nos efforts, le viol a été intégré dans les dispositions relatives à l’avortement. Depuis 2024, la législation a encore évolué pour inclure des cas tels que l’inceste, la santé mentale de la mère et la mise en danger de la vie de la mère. Ce sont là des avancées significatives qui témoignent d’une volonté de changement de la part de notre gouvernement », a reconnu le secrétaire exécutif de l’AGNDR, Yeboua Kouadio, jeudi 29 août 2024, lors d’un entretien.
Selon M. Yeboua, le Protocole de Maputo prévoit sept conditions pour permettre l’accès à un avortement sécurisé, et actuellement, seulement quatre de ces conditions sont intégrées dans la législation nationale. L’avortement sécurisé est possible en cas de grossesse qui met en danger la vie de la mère ou sa santé mentale ou physique, en cas de viol et d’inceste. Il reste donc trois conditions importantes à prendre en compte, à savoir, l’agression sexuelle, la mise en danger de la vie du fœtus, et la protection de la santé globale de la mère, explique-t-il.
« Nous encourageons le gouvernement à aller de l’avant et à démontrer son engagement à sauvegarder la santé et les droits reproductifs des femmes, en intégrant pleinement le Protocole de Maputo dans notre système juridique national. C’est ensemble que nous pourrons bâtir un avenir plus sûr et plus équitable pour toutes les femmes et les filles de notre pays », a-t-il assuré.
(AIP)
bsb/
Encadré 2
Quelques chiffres clés sur l’avortement en Côte d’Ivoire
En Côte d’Ivoire, l’avortement est légal uniquement lorsque la poursuite de la grossesse met en danger la vie de la mère (ou sa santé mentale ou physique), ainsi qu’en cas de viol ou d’inceste. Cette législation restrictive pousse de nombreuses femmes et filles à recourir à des avortements non sécurisés, contribuant à un taux de mortalité maternelle de 385 décès pour 100 000 naissances vivantes (source : Enquête Démographique et de Santé de 2021).
Selon les estimations, environ 4,07 % des femmes, soit 230 000 cas par an, ont recours à l’avortement en Côte d’Ivoire, dont 60 % dans des conditions présentant un risque sanitaire élevé. Parmi ces femmes, 10 % recherchent des soins en raison de complications résultant d’avortements non sécurisés.
En 2018, 31 028 cas de Soins Après Avortement (SAA) ont été enregistrés, dont 18 % étaient des avortements provoqués. Plus de 40 % de ces cas concernaient des adolescentes et des jeunes filles, et 78 % des avortements pratiqués chez les filles âgées de 15 à 19 ans étaient considérés à risque. De plus, 75 % des décès maternels liés à l’avortement surviennent chez des femmes de moins de 35 ans.
L’avortement représente 21 % des décès maternels en Côte d’Ivoire. Chaque année, des dizaines de milliers de femmes se rendent dans des établissements de santé pour des soins liés à des complications d’avortements non sécurisés. En 2015, près de 29 400 femmes ont bénéficié de Soins Après Avortement dans les établissements de santé publics.
(AIP)
bsb/tm