Abidjan, 20 juin 2025 (AIP) – La saison des pluies a encore mis à nu la vulnérabilité du quartier Riviera-Palmeraie, dans la commune de Cocody, avec des inondations récurrentes, parfois spectaculaires. Pour mieux comprendre les causes profondes de ce phénomène et envisager des solutions durables, l’AIP a rencontré le jeudi 19 juin 2025, le Professeur Armand Kangah, maître de conférences en géomatique, géographie physique, télédétection et systèmes d’information géographique. Enseignant à l’Institut de géographie tropicale (IGT), département de géographie, à l’Université Félix Houphouët-Boigny, il affirme que les inondations à la Palmeraie relèvent à la fois de la topographie naturelle, du développement urbain mal maîtrisé et d’un manque de civisme. (Interview)
AIP : Professeur, comment expliquer les inondations récurrentes dans le quartier de la Palmeraie ?
Pr. Armand Kangah : Avant de parler de causes, il faut comprendre ce qu’est une inondation. C’est un envahissement temporaire d’une zone normalement sèche par de l’eau. On parle de risque d’inondation lorsque des enjeux, c’est-à-dire des personnes, des biens ou des infrastructures, sont présents. À la Palmeraie, les inondations sont dues à deux réalités : la topographie du quartier et le bassin versant dans lequel il s’insère.
AIP : Concrètement, quelle est la spécificité topographique de la Palmeraie ?
Pr. Armand Kangah : La Palmeraie est bâtie dans une vallée à fond très large, parfois jusqu’à un kilomètre. C’est une zone basse où convergent naturellement les eaux de ruissellement provenant de quartiers plus hauts comme Angré Château, Saint-Viateur, ou encore la Cité SIR. C’est donc un point de convergence hydrologique. L’eau qui tombe à neuf kilomètres à la ronde finit par passer par la Palmeraie.
AIP : Tout porte à croire qu’il n’y a pas eu, auparavant, de véritables aménagements pour contenir cette eau…
Pr. Armand Kangah : Des canalisations ont été certes construites mais elles sont devenues très rapidement exigües face à l’urbanisation galopante. À l’époque, les zones en amont étaient encore boisées, et une grande partie des eaux de pluie s’infiltrait naturellement dans le sol. Aujourd’hui, avec la bétonisation massive, ces eaux ruissellent presque entièrement vers le bas, et donc vers la Palmeraie.
AIP : Vous évoquez aussi une urbanisation mal maîtrisée. À quel niveau ?
Pr. Armand Kangah : Le problème est multidimensionnel. Des maisons ont été construites dans le lit même de la vallée, sur des zones qui auraient dû rester non construites. Certaines bâtisses bloquent le passage naturel de l’eau. Et l’eau, quand elle est en grande quantité, finit toujours par reprendre son chemin, parfois en passant directement dans les maisons.
AIP : Les autorités ont tout de même entrepris certains travaux…
Pr. Armand Kangah : Effectivement. Trois barrages de traitement ont été construits à Akouédo, à Bonoumin et près du commissariat de la Palmeraie, pour ralentir et réguler le flux d’eau. Cela a permis de contenir une bonne partie des eaux en amont. Sans ces barrages, les inondations auraient été bien pires. Mais le cœur du problème subsiste au niveau de la Palmeraie elle-même, où les canalisations restent insuffisantes.
AIP : Peut-on dire que la situation de la Palmeraie est irrémédiable ?
Pr. Armand Kangah : Pas du tout ! Ce n’est pas une fatalité mais il faut une volonté collective : autorités locales, urbanistes, population et environnementalistes doivent travailler ensemble. Les erreurs du passé, notamment les constructions anarchiques dans des zones à risque, rendent la tâche complexe. Mais avec des projets structurants, une réglementation urbaine plus stricte et une implication citoyenne, il est tout à fait possible d’atténuer durablement les effets des inondations à la Palmeraie.
AIP : Selon vous, que faut-il faire pour maîtriser définitivement ces inondations ?
Pr. Armand Kangah : Il y a plusieurs leviers. D’abord, éduquer la population pour lutter contre l’incivisme : les regards et caniveaux sont bouchés par des déchets ou même volontairement fermés par des commerçants. Ensuite, il faut multiplier les canalisations dans le quartier et les calibrer selon le volume d’eau réel à évacuer. On doit aussi s’inspirer du modèle d’aménagement de la voie Y4, entre Angré et Saint-Viateur. Cette route traverse également une vallée, mais elle n’a jamais été inondée grâce à des aménagements bien pensés.
(Interview réalisée par Raymond Dibi)
(AIP)
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