Interview réalisée par Georges Aubin et Simon Nessenou
Abidjan, 17 avr 2025 (AIP) – À l’approche de la fête de Pâques, les projecteurs sont tournés vers une tradition bien ancrée chez les Baoulés : Paqui-nou. Cette célébration particulière donne lieu, chaque année, à un important mouvement de populations des villes vers les villages, à des retrouvailles familiales et à des moments de joie et de partage. D’où vient cette fête ? Que signifie-t-elle réellement ? Comment a-t-elle évolué ? Pour mieux comprendre, l’Agence ivoirienne de presse (AIP) a rencontré le sociologue Amalaman Djédou Martin qui nous éclaire sur cette tradition devenue incontournable.
Bonjour Dr Amalaman Djédou Martin. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et nous parler de votre parcours en sociologie ?
Je suis Amalaman Djédou Martin, socio-anthropologue, Maître de conférences des Universités du CAMES depuis septembre 2021. J’enseigne à l’UFR des Sciences sociales de l’Université Péléforo Gon Coulibaly de Korhogo depuis janvier 2013.
Lauréat de la bourse d’excellence postdoctorale 2014-2015 de la Confédération suisse et du PASRES en 2017, je suis également consultant pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), notamment dans le cadre de la lutte contre Ebola en Guinée.
Mes recherches s’articulent principalement autour de deux axes : la culture, le développement local et la santé publique, ainsi que les migrations africaines vers l’Europe. Je suis membre actif de plusieurs réseaux académiques, notamment la Société suisse d’études africaines (SSEA), le réseau IPORA (France), REFORMAF, et l’Alliance pour refonder la gouvernance en Afrique (ARGA).
Quelle est l’origine historique de la fête de Paqui-nou ?
Avant d’indiquer l’origine historique de « Paqui-nou », il faut tout d’abord rappeler que le mot « Paqui-nou » est une prononciation en langue baoulé (une ethnie du grand groupe ethno-culturel Akan de Côte d’Ivoire) de la fête chrétienne et biblique dénommée « Pâques ».
Elle (Pâques) est fêtée chaque année par les chrétiens pour commémorer la résurrection du Christ.
D’un point de vue typographique, « Pâques » s’écrit avec un s final. Mais malgré ce s, le nom « Pâques » est au masculin singulier et s’emploie sans article et sans adjectif, avec une majuscule initiale.
La fête chrétienne (Pâques, dont nous parlons ici) n’est donc pas à confondre avec le nom féminin « pâque » (la pâque), qui est une fête juive et s’écrit avec une minuscule.
« Paqui-nou » est donc un mot baoulé, dérivé de la fête chrétienne « Pâques », pour désigner cette fête qui est une occasion de réjouissance et de retrouvailles entre les familles en pays baoulé.
Le mot « Paqui-nou » signifie littéralement « dans Pâques », « pendant la fête de Pâques », « au cours de Pâques », ou encore « le phénomène de Pâques ».
En effet, pendant cette période, on assiste à un exode massif des Baoulé vers leurs villages respectifs, donnant lieu à des retrouvailles, à une animation des localités et à un renforcement des liens de fraternité et de solidarité.
Paqui-nou tire en partie son origine historique de cette fête chrétienne. Mais d’un point de vue diachronique, ses origines peuvent être fixées entre 1969 et 1971.
En effet, entre 1969 et 1970, le pays connut une grave sécheresse, qui fit chuter considérablement la production agricole et occasionna une disette. Cette situation coïncida avec la construction du barrage hydraulique de Kossou en 1969, entraînant le déguerpissement de 210 villages dans cette zone (Kouamé, 2021).
Comme solution, près de cent mille paysans baoulé migrèrent vers le Centre-Ouest, le Sud-Ouest, l’Ouest et l’Est, à la recherche de terres ferralitiques favorables aux cultures vivrières, mais surtout aux cultures d’exportation (café, cacao), dans le souci de faire fortune.
Partis sans grands moyens, les premiers migrants mirent du temps à revenir sur leurs terres d’origine. Ils firent venir progressivement certains parents pour les aider dans les nouveaux champs et en créer de plus vastes.
Ces migrants fondèrent généralement des familles, eurent des enfants qui ne connaissaient pas les villages d’origine ni les autres membres de la famille. C’est donc dans un souci de présenter leurs enfants et aussi de penser au développement de leurs villages que ces Baoulés décidèrent de revenir, chaque année, à une période donnée. Cette décision débuta à partir de 1971.
Quels éléments culturels ou sociaux ont influencé la création de cette fête ?
Les éléments culturels ou sociaux ayant influencé la création de cette fête sont de trois ordres.
Premièrement, il s’agit de l’affirmation de la capacité de résilience du peuple baoulé, à la suite du déguerpissement de leurs terres lors de la construction du barrage de Kossou. Célébrer ce qui fut un grand traumatisme (plusieurs cimetières inondés, morts abandonnés) a une forte portée symbolique.
Ensuite, la période de la célébration de « Pâques » est favorable, d’un point de vue calendaire et économique : elle coïncide avec la fin de la grande traite cacaoyère et la récolte des ignames. Il y a donc de l’argent et de la nourriture. C’est aussi la période de l’année où les travaux champêtres baissent d’intensité, ce qui permet aux paysans de revenir dans leurs villages, les mains chargées de présents.
Enfin, le long week-end férié offert par Pâques (du vendredi après-midi au lundi) permet aux fonctionnaires et citadins de se déplacer sans grandes tracasseries administratives.
(AIP)
Gak/sn/kp