Daloa, 20 avr 2025 (AIP) – Comme à la veille de chaque fête de pâques, des voyageurs en destination des localités du centre du pays affluent dans les gares routières. Au-delà du plaisir de fêter en famille, il y a des raisons particulières qui les obligent à braver les désagréments occasionnés par la trop forte affluence de voyageurs qui dépasse souvent les capacités des sociétés de transports.
Le weekend de pâques, un moment favorable pour des retrouvailles familiales
Dame Affoué Hélène, âgée d’environ 50 ans, est assise sur un balluchon, divers autres bagages à côté d’elle. Les traits du visage sont un peu tendus. « Y’a pas de car. On nous a dit d’attendre, que ça va venir. Mais depuis-là, ça ne vient pas », lâche-t-elle. A ses côtés, une petite fille d’environ cinq ans, se tient sagement, dans la main, un morceau de pain qui laisse paraître des traces d’huile.
Elles ont quitté un campement de planteurs et comptent se rendre dans leur village de naissance, quelque part vers Dimbokro. « Je vais montrer l’enfant-là (sa petite fille, ndlr) à sa maman », confie-t-elle, en expliquant avoir recueilli l’enfant depuis trois ans et que cette dernière n’avait pas revu sa maman depuis lors.
La période de Pâques avait été arrêtée de longue date par elle en vue de ces retrouvailles entre l’enfant et sa mère. Cette dernière, résidant à Abidjan, devait quant à elle quitter la capitale pour rejoindre le village.
Quant aux frères Konan Kanga Mathieu et Konan Koffi Georges, tous deux planteurs dans la région de Daloa, ils se rendent au village à l’occasion de retrouvailles familiales. Selon Georges, le cadet, la période pascale constitue un moment privilégié pour les planteurs, car elle coïncide avec une accalmie dans les travaux agricoles, offrant ainsi l’opportunité de renouer les liens familiaux.
Ils attendent au dernier moment pour arriver en gare, parce qu’ils ne veulent pas abandonner leurs champs trop longtemps. « Même quand il n’y a pas de travail à faire, un planteur ne peut pas laisser son champ sans le visiter pendant longtemps. On était donc obligé d’attendre avant de voyager au dernier moment », expliquent-t-ils.

Un voyage imprévu ou programmé indépendamment de sa propre volonté
Les choses sont tout à fait différentes pour M. Gnamien Martin, un septuagénaire retraité qui se retrouve aussi parmi les voyageurs. Il n’avait pas prévu de voyager en cette période d’effervescence dans les gares. Assis sur l’une des quelques chaises supplémentaires que la compagnie de transport a disposées pour réduire l’inconfort de ses clients, il raconte, d’un air résigné comment il s’est retrouvé là du jour au lendemain.
« On m’a appelé hier (jeudi 17 avril 2025) pour me demander de venir au village » commence-t-il.
Il explique qu’il est le chef de sa grande famille et que sa présence physique à une cérémonie de dote d’un des siens a été jugée nécessaire au dernier moment. La cérémonie en question ayant été prévue depuis longtemps pour se tenir durant le weekend pascal, il se sentait contraint de braver les difficultés pour honorer le rendez-vous.
Dans la foule se trouvent aussi des élèves et des étudiants, à l’exemple de Valerie Ngbin, qui a été mise en congé seulement deux jours plus tôt, soit le mercredi. « Hier jeudi, il fallait quand même laver mes habits et ranger mes affaires », avance-t-elle pour expliquer pourquoi elle n’a pas pu éviter de programmer son voyager plutôt.
Des clients gagnés par l’impatience d’une attente interminable
Cependant, l’attente ne se fait pas toujours dans le calme. Une dizaine de voyageurs quittent bruyamment le bureau du service en charge de l’organisation des départs. En tête du groupe, un homme d’une trentaine d’années élève la voix avec véhémence.
Selon un membre du groupe, cela fait environ cinq heures de temps qu’ils attendent le car qui devrait les embarquer. « Restons ici. Le prochain car qui arrive, on monte tous dedans pour nous asseoir. On va voir ce qu’ils vont faire », ordonne le jeune homme à ceux qui le suivent.
Au-même moment, une voix dominante, portée par un haut-parleur tente de rassurer les passagers. Celle-ci assure que tout est mis en œuvre pour une bonne répartition des cars.
La voix plaide l’indulgence et demande un peu de patience de la part des voyageurs. « Vous savez que nous sommes une compagnie respectueuse de nos clients. Si nous vous avons vendu des tickets, c’est parce que nous nous savons capables de vous faire voyager », a-t-elle lancé.
Couchée sur un pagne, la tête sur ses bagages, une femme sort d’un sommeil, apparemment réveillée par le bruit assourdissant du haut-parleur. Elle n’a pas saisi un mot de ce qui a été dit. « Ils n’ont qu’à faire on va partir”, dit-elle, se parlant toute seule en regardant autour d’elle.
En définitive, qu’ils voyagent pour honorer une cérémonie familiale, renouer des liens distendus par le temps, ou simplement offrir à un enfant le regard d’une mère trop longtemps absente, ces passagers de Pâques ont en commun une chose : ils ne cèdent pas face aux désagréments. Entre files d’attente, incertitudes et fatigue, chacun porte en lui une raison plus grande que les tracas logistiques.
Dans cette bousculade de corps et d’émotions, les gares routières deviennent le théâtre d’une autre forme de résilience : celle d’un peuple qui, malgré les retards et le tumulte, fait du voyage une promesse tenue. Une promesse de retrouvailles, de chaleur humaine, et d’un simple mot échangé autour d’un plat pascal partagé, quelque part, loin du vacarme de la ville.
(AIP)
kaem/zaar