Gagnoa, 11 juin 2024 (AIP)- Parti de Côte d’Ivoire pour Madrid en Espagne, en octobre 1995, une bourse d’études de la coopération Espagnole en poche, après sa maîtrise au département d’Espagnol de l’Université de Cocody, Kra Franck Olivier, 53 ans aujourd’hui, s’intéresse à la filière des relations internationales à Vienne en Autriche. Revenu en Espagne, il exerce alors les métiers de communication politique, relations publiques, et par un concours de plusieurs circonstances, entre dans le corps des journalistes reporter image, et devient alors rédacteur en chef de l’un des plus importants magazines de tourismes et affaires d’Espagne. Parlant quatre langues, il s’adresse aux journalistes du monde et singulièrement à ceux de la Côte d’Ivoire, son pays d’origine, qu’il invite à se mettre aux langues étrangères. De passage à Gagnoa, il s’est ouvert à l’Agence ivoirienne de presse (AIP).
Donnez-nous le parcours de cette bourse ?
Après mon Baccalauréat, Je me suis retrouvé au département d’Espagnol non pas par hasard puisque cela faisait partie de mes choix prioritaires. J’étais essentiellement bon dans les langues, les lettres et l’espagnol était mon premier choix même si l’anglais était au même niveau. Je souligne que j’ai aussi fait une équivalence en anglais en même temps. Par mérite, j’obtiens donc une bourse d’études par l’Agence espagnole de coopération Internationale pour le développement (AECID), pour poursuivre mes études de troisième cycle à Madrid à l’université Complutense de Madrid. Cette bourse, je me suis préparé à ça tout en me donnant les moyens d’y parvenir.
Comment des relations internationales, vous devenez journaliste?
En fait, je suis devenu journaliste par concours de plusieurs circonstances qui se sont succédé et de manière répétitive dans le temps qui ont en quelque sorte influencé mon flirt et mon saut dans le journalisme. L’une de mes premières expériences est d’avoir été engagé par une agence de production et de presse espagnole pour une mission assez particulière en Côte d’ivoire. J’étais encore étudiant d’ailleurs. Cette agence avec laquelle je collaborais de manière ponctuelle, me sollicite pour co-diriger une mission de reportage et d’interviews au nouveau chef de l’Etat de Côte d’Ivoire, le Général Robert Guéï, au lendemain du coup d’Etat de décembre 1999. Ça a été une expérience assez spéciale pour l’occasion qui se présentait. J’ai eu des sentiments et des sensations contradictoires avant le départ. C’était en fait curieux.
Expliquez-nous quelle a été votre contribution dans le documentaire ?
Ohh… bon mais je suis ivoirien et j’arrive à une période assez sensible, où le pays est dirigé par une junte militaire. Ça fait flipper un peu quand même. Par contre, là où j’étais à l’aise, c’est dans mon rôle de codiriger l’interview avec le directeur qui était le journaliste principal. Il m’avait mis au même niveau pour que je puisse poser aussi des questions au Général Robert Gueï, Chef de l’Etat de Côte d’Ivoire à cette époque. L’expérience fût belle, vu la responsabilité qu’on me confiait et aussi pleine d’anecdotes.
Comment le général Robert Guéï a réagi, lorsqu’il a su que vous étiez ivoirien ?
Je crois que ça l’a un peu surpris mais pas dans le sens négatif du terme. Il m’a posé des questions sur mon parcours et m’a beaucoup encouragé dans ma carrière. Il avait eu une attitude je dirais “paternelle” à ce moment-là et avait demandé que je veille particulièrement au suivi du reportage. Nous avons été invités pour une deuxième partie du reportage mais cela ne fût pas possible pour une tentative de déstabilisation de son pouvoir, je crois en juillet 2000.
On vous retrouve dans les médias et singulièrement la presse écrite. Comment s’est opérée la transition, alors que vous vous étiez destiné aux relations internationales
En fait, il faut reconnaître que je n’ai pas toujours été loin du journalisme. En tant que philologue, j’ai toujours côtoyé le monde de la communication à travers différents postes de travail que j’ai occupés. Ma formation surtout à l’Académie de Vienne a renforcé mon goût pour la communication car les relations internationales c’est aussi cela. Notre formation était un nouveau concept qu’on appelait Expert généraliste et il fallait être préparé à beaucoup de domaines. Mes stages et travaux au sein du système des Nations Unies à Vienne ont encore aiguisé cet aspect puisque mes superviseurs et responsables ont décelé en ma personne ce côté communicateur. Je me suis fait journaliste et spécialisé aussi dans le monde diplomatique.
Vous écrivez et parlez parfaitement aux moins trois langues. Ça été un atout indéniable pour ces 12 ans au sein du magazine international espagnol, consacré au tourisme et affaires ?
Ce magazine a été la référence aussi dans le monde diplomatique, dans le monde de la culture et qui couvrait les sujets principaux de l’actualité internationale avec une plateforme à 360 degrés. Je peux affirmer que ça a été un avantage comparatif le fait de parler couramment quatre langues (en plus de l’allemand) et d’autres langues que j’ai apprises même si je ne les pratique pas. Cela m’a donné une projection internationale indéniable. La multiplication des interlocuteurs à l’international dans pratiquement tous les domaines. Je garde de bonnes relations, que j’entretiens encore, avec beaucoup d’interviewés dans les pays où je suis passé.
Comment avez-vous intégré cet organe de presse ?
Comme collaborateur externe, j’apportais des orientations sur l’édition de plusieurs produits de la boîte qui étaient une agence internationale de publications et de référence qui traitait avec les gouvernements et des entreprises publiques et privées. Son terrain principal étant l’Afrique, cela m’a permis de connaître aussi davantage les différentes méthodes de travail et de mentalités. J’ai aussi connu le domaine du partenariat média puisque nous avions des licences de représentation de grands journaux spécialisés à l’international, dans le domaine de la politique, l’économie, le monde diplomatique etc. J’ai été partie intégrante et active dans la création et surtout dans le développement du magazine qui au fil du temps est devenu une référence incontournable dans la scène d’information sur l’Afrique depuis l’Espagne avec cette nouvelle manière d’informer et cette nouvelle narrative sur une Afrique qui bouge malgré les crises. Des analyses faites par des experts internationaux reconnus qui ont été des contributeurs au journal. Nous avons reçu un prix à moyen terme pour le travail abattu. Au départ j’étais collaborateur externe à la rédaction, ensuite rédacteur-associé et puis rédacteur en chef.
Sans prétention aucune, que manque-t-il aux journalistes ivoiriens pour être au top?
D’emblée, je dirais que je les encourage à se mettre à l’espagnol et aux langues étrangères en général. La force du journaliste c’est sa source vérifiée. Quand on parle la langue des autres, l’on se fait adopter facilement et l’accès aux informations est doublement garanti. On est plus ancré dans le monde francophone qui n’est pas mal mais avec l’espagnol on a l’opportunité de s’ouvrir au monde hispanique qui a des trésors à faire connaître à notre monde et au monde entier. C’est aussi une source d’échanges, d’apprentissage, de partage et d’opportunités réelles.
Depuis l’Espagne, quel regard portez-vous sur la presse en Côte d’Ivoire et notamment l’Agence Ivoirienne de Presse (AIP)
Je crois que la presse en Côte d’Ivoire est en train de retrouver un certain niveau, car il fut un temps où il y a eu un peu de stagnation. Les bonnes formations, la professionnalisation et surtout l’arrivée des nouvelles technologies ont amélioré le niveau même s’il reste beaucoup à faire car on n’arrête pas le développement. En ce qui concerne l’Agence Ivoirienne de Presse, je souhaite qu’elle soit encore plus réaliste et ambitieuse. La formation continue, l’équipement structurel est de mise. Il faut qu’elle soit projetée comme les grandes agences de presse internationales à l’image à laquelle la Côte d’Ivoire aspire. Ceci est un pôle très stratégique puisque la communication est le fer de lance de la marque pays avec son contenu bien adapté ou qui anticipe les attentes de son audience habituelle ou nouvelle audience.
Nonobstant la mission de l’AIP en Côte d’Ivoire, quel rôle joue l’organe de presse gouvernementale en Espagne
Tout d’abord il est important de savoir que l’organe de presse gouvernementale en Espagne se nomme Agencia EFE. C’est une institution qui a été créée vers la fin des années 30 du siècle dernier. C’est la première agence de presse multimédia en Espagne et la quatrième au monde, derrière l’agence canado-britannique Thomson Reuters, l’agence américaine Associated Press (AP) et l’agence française France Press (AFP). L’agence EFE couvre tous les domaines de l’information dans les différents médias (presse écrite, radio, télévision et Internet) et est présente sur les cinq continents, avec un réseau mondial de journalistes et des reportages 24h/24h. Son rôle comme les autres agences de presse gouvernementales est d’informer avec qualité sur l’actualité dans tous les domaines possibles tant au niveau national qu’international. Il est important de mentionner que cette Agence depuis 2019 a décrété un prix qui s’intitule ‘Le Prix Saliou Traoré’, à la mémoire de son vétéran correspondant d’origine Sénégalais disparu en 2018. Un monsieur que j’ai d’ailleurs eu la chance de rencontrer et de partager des moments, au cours d’un séminaire dans ma vie estudiantine en Espagne. Ce prix a pour but de reconnaître et de récompenser le travail des professionnels du journalisme qui traitent de l’Afrique en espagnol et de stimuler la publication de sujets sur le continent africain en espagnol.
Comment obtenir une presse très professionnelle
Pour obtenir une presse très professionnelle, selon mon point de vue, il faut d’abord une presse de qualité car les lecteurs ou la population ont besoin de façon urgente ou criante, de la meilleure des informations. Le citoyen ou le public veut voir clair dans ce qui se passe et accepte bien entendu une information de qualité dont la grande particularité est l’indépendance. En deuxième lieu, cela doit être un journalisme indépendant, c’est-à-dire sans aucune dépendance à l’égard des pouvoirs en place ou des parties en conflit. Cette impartialité n’empêche évidemment pas les journalistes d’avoir leurs propres options politiques, mais celles-ci ne doivent pas gouverner leur pratique professionnelle. Enfin, il faut savoir que l’indépendance va de pair avec une transparence notoire vis-à-vis du lecteur. C’est une position d’honnêteté qui se reflète dans chaque acte journalistique, présidée par des principes tels que ceux-ci : le journaliste n’écrit que ce qu’il croit être vrai, et c’est ce que le lecteur comprend- Il n’écrit rien dont il ne soit pas convaincu de la véracité- le journaliste est prêt à accepter et à respecter des convictions qui ne coïncident pas avec les siennes, et c’est ce qu’il fait savoir à ses lecteurs.
L’union des journalistes de Côte d’Ivoire d’Ivoire demande une subvention équivalente à 0,01 du budget national. Partagez-vous cet avis ?
Je crois que tout secteur d’activités professionnelles, pour croître et évoluer, a forcément besoin d’être épaulé financièrement et je partage entièrement cet avis. Elle permet aux professionnels de ce métier de sortir de la précarité et renforce plus leur indépendance par le fait de ne pas dépendre des dons à caractère conditionnant. En plus de garantir la qualité du travail rendu, cela rend encore plus compétitif le monde du journalisme et force le respect. Le journaliste professionnel en plus de son statut, a besoin d’avoir accès au matériel de base que requiert l’exercice de sa profession dans la dignité. Cela ne devrait pas être un luxe mais une nécessité. Cela favorise aussi l’existence de médias de différents courants d’opinion, garantit le droit à l’information et la liberté d’expression de tous les citoyens. Le journalisme est l’une des professions qui demande le plus d’efforts et d’obligation au service de la société civile, de la société politique et de l’État.
Les associations de presse et médias en Espagne bénéficient-elles de subventions de ce type ?
Oui bien sûr avec des critères bien définis. Les subventions aux mass-media existent en Espagne depuis au moins 40 ans avec des modifications considérables qui s’adaptent aux nouveaux défis de la presse avec l’avènement des nouvelles technologies et tout ce que cela comporte. Le gouvernement central continue d’avoir un droit de regard sur les subventions des médias. La particularité qu’on a en Espagne est que ce sont les Communautés autonomes (Gouvernements régionaux) qui se chargent des subventions des médias pour des raisons de promotions linguistiques (l’Espagne dispose de langues régionales tels que le Catalans, le Basque, le Galicien qui cohabitent avec le Castillan ou l’Espagnol), culturelles, etc. Mais les subventions directes du gouvernement central existent bel et bien. Par exemple, ces subventions sont accordées sous différents concepts tels que la numérisation des plateformes, le recrutement de personnel, le soutien à la distribution de contenus et l’amélioration du signal radio et du spectre, etc. L’Agence de presse nationale qui est l’Agencia EFE reçoit des subventions de l’État pour continuer à être compétitive et à la hauteur de sa renommée mondiale, fait aussi des recettes importantes dans la vente des services.
Quel message pour le ministre de la communication de Côte d’Ivoire ?
D’abord, je voudrais préciser que j’ai rencontré certains membres du gouvernement à plusieurs occasions au cours des différentes missions entreprises en Côte d’Ivoire avec mes équipes et même en Espagne ou ailleurs dans le monde. J’ai même gardé des relations cordiales avec quelques-uns. Par rapport au ministre ivoirien, je l’encourage à continuer à prêter une oreille attentive et particulière au monde de la presse et des médias qui est en perpétuelle métamorphose. Cette proximité permettra au monde du journalisme en générale d’être à la hauteur des défis qui se présentent de manière continue et même d’anticiper certaines subtilités du monde de la communication. Particulièrement, il est nécessaire et impératif de continuer à renforcer les capacités de l’Agence Ivoirienne de Presse (AIP) à tous les nouveaux. Donner les moyens réels et indispensables pour que cette Agence nationale soit de référence internationale en accord avec ce dont la Côte d’Ivoire aspire d’être, avec ce cortège de développement à tous les niveaux. L’information et la communication sont des facteurs dynamiques et la vitrine dans lesquelles se reflètent nos ambitions de bons positionnements d’un pays comme le nôtre.
Pourquoi, selon vous, un tel parcours que vous (excusez du peu) en Europe, est peu connu en Côte d’Ivoire?
Je ne saurai quoi vous dire (rires). Je n’ai jamais pris le temps de me poser cette question puisque mon champ d’actions est vaste. Peut-être qu’il est temps de me faire plus connaître dans mon pays à travers des actions ou projets. Mais il est important de souligner que la Côte d’Ivoire fait partie de mes prédilections en matière d’exercice de ma profession quand il s’agit d’avoir des références sur l’échiquier international aussi bien en Afrique que dans le Monde.
Vos rapports avec l’ambassade de Côte d’Ivoire ?
Mes rapports avec l’Ambassade de Côte d’Ivoire à Madrid ont toujours été bons depuis ma vie d’étudiants jusqu’à mon changement de statut. En ce moment d’ailleurs, en tant que collaborateur externe, j‘ai participé à la mise en place d’une newsletter d’information économique sur la Côte d’ivoire pour le concours de l’Ambassade. Cela renforce la politique de diplomatie économique du pays depuis l’Espagne. Ce bulletin mensuel et numérique est adressé au patronat espagnol, aux institutions, aux opérateurs économiques de la place, etc. Il est en espagnol et en français. C’est un projet pionnier d’ailleurs.
On voit que vous parcourez l’Afrique et le monde. Combien de pays avez-vous réellement visité à ce jour?
J’ai visité plus de 60 pays entre les cinq continents.
Encouragez-vous vos jeunes frères Ivoiriens, à poursuivre des études en Espagne ?
Bien sûr, puisque ce pays ibérique offre des approches qui peuvent servir au développement humain et de notre pays. L’Espagne est un bon exemple de développement en Europe et au sein de l’Union européenne, C’est un pays qui était considéré de seconde zone il y a à peine 40 ans ou un peu plus. Aujourd’hui il est la quatrième économie de la zone Euro et qui exporte son savoir-faire. De façon ponctuelle et/ou continue, tant au niveau académique que logistique, j’ai même encadré des cadres Ivoiriens qui sont venus en Espagne dans des domaines précis de formation, que ce soit linguistique ou dans la technique.
Un intellectuel ivoirien qui vit 30 ans en Espagne. Est-ce encore un ivoirien ?
Oui absolument, car on ne perd pas ses racines. Je me considère de culture hybride qui est l’Ivoirienne et Européenne dans lesquelles je tire les avantages de part et d’autre. Cela a contribué à mon intégration en Espagne et ailleurs en Europe et mon adaptation partout où je vais.
(AIP)
dd/fmo
Une interview réalisée par Dogad Dogoui
Chef du bureau régional de Gagnoa