Man, 04 juin 2025 (AIP)-À deux jours de la célébration de la Tabaski, prévue pour le vendredi 6 juin 2025, la ville de Man, dans l’ouest montagneux de la Côte d’Ivoire, vit au rythme des derniers préparatifs. Dans plusieurs quartiers populaires, les marchés à bétail battent leur plein, notamment à Belle étoile, sur l’axe Man–Biankouma, qui accueille le plus grand contingent de moutons. À l’opposé, le carrefour du collège Dominique Ouattara, situé dans le quartier Capen, est principalement occupé par des vendeurs de bœufs. Entre odeurs de paille, cris de vendeurs et bourdonnement des véhicules et motos, l’effervescence est palpable. Les négociations s’enchaînent, les avis divergent, mais chacun espère repartir avec l’animal idéal, en fonction de ses moyens.
Le ballet des acheteurs dans la poussière dans l’antre de Belle étoile
Il est 16 h, lundi 2 juin, sur le terrain vague situé à Belle étoile, le vaste marché de bétail ne désemplit pas avec les va et vient de potentiels acheteurs. Des dizaines de moutons bêlent à l’unisson, encordés ou couchés sous l’ombre rare pour ceux dont les propriétaires ne disposent pas d’abris préfabriqués, les cornes dressées, ruminent tranquillement à quelques mètres. Dans cette ambiance, vendeurs et acheteurs évaluent, négocient, et parfois concluent.

« Je suis venu pour acheter deux moutons. J’ai trouvé des bêtes bien en forme, en bonne santé. J’ai pu négocier deux gros moutons à 125 000 francs chacun. Contrairement aux rumeurs, il y en a pour toutes les bourses. Il y a même des moutons à 80 000 ou 90 000 francs. J’invite les gens à venir voir par eux-mêmes », a confié, Bakayoko Abou, habitant du quartier Belle ville, affichant une nette satisfaction de sa visite.
Son témoignage vient ainsi contrecarrer certaines idées reçues sur une flambée généralisée des prix.
Un marché animé, mais sous tension
Si certains clients repartent satisfaits, du côté des vendeurs, les échanges se révèlent parfois tendus. Le décalage entre le coût d’acheminement des bêtes et les attentes des acheteurs est régulièrement pointé du doigt. Parmi les voix qui s’élèvent, celle de Yili Brahima, commerçant venu du Burkina Faso avec un troupeau conséquent, exprime son désarroi.
« J’ai amené environ 300 moutons depuis le Burkina. Cela fait trois jours que je suis ici. Les clients viennent, mais leurs propositions ne suivent pas. Ils veulent qu’on vende à 100 000 ou 150 000 francs alors que certaines bêtes ont été achetées à 250 000 francs. Ce n’est pas possible. Cela dit, aujourd’hui, j’ai pu vendre quelques têtes », a-t-il confié.
Même constat au carrefour du collège Dominique Ouattara, où les bœufs dominent le paysage. Vendeur de bovins, Sanogo Issouf explique pourquoi les prix ont connu une hausse cette année.
« Le prix de la viande a augmenté sur les marchés, et nos fournisseurs nous vendent les bœufs plus chers. On n’a pas le choix, actuellement, pour avoir un bœuf, il faut compter à partir de 350 000 francs. Si les coûts de transport et les taxes étaient allégés, ça aiderait beaucoup. Mais bon, malgré les plaintes, je suis satisfait à 70 % de mes ventes », a-t-il déclaré.

Entre inflation, transport et survie économique
Au-delà des réalités de l’offre et de la demande, les difficultés logistiques pèsent lourdement sur les prix pratiqués. Transport, alimentation des animaux, hébergement sur site, les charges sont multiples. Sur cette question, le président des commerçants et éleveurs de petits ruminants de Man, Doumbia Bakari, apporte un éclairage rassurant mais lucide.
« Nous avons reçu beaucoup de bêtes cette année. Il y a du choix, et les prix commencent à partir de 80 000 francs. Certains clients trouvent cela cher, d’autres estiment que c’est moins coûteux que l’année passée. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y en a pour toutes les bourses. Il suffit de venir sur le terrain », a fait savoir M. Doumbia.
La demande reste donc soutenue, même si la tension autour des prix n’épargne personne.
Un enjeu spirituel, une pression sociale
Mais au-delà des considérations marchandes, la Tabaski demeure avant tout un moment de foi. L’acte du sacrifice est un pilier religieux, et cette dimension reste bien présente dans les esprits. C’est ce que souligne avec force l’imam de la mosquée du village communal Krikouma, Soualifou Bakayoko.

« Lorsqu’on égorge une bête le jour de la fête, ce n’est pas la consommation qui compte. C’est l’au-delà. Dieu va mesurer votre récompense jusqu’au nombre de poils sur l’animal sacrifié. Ce geste pousse les gens à travailler, à se battre pour se procurer un mouton de leurs propres moyens. Car il est demandé que ce soit l’argent du fruit de votre labeur. C’est cela, la vraie motivation ».
Une déclaration qui remet l’essentiel au centre de cette tradition, l’effort personnel, le mérite spirituel, et le don de soi.
Une ville sous pression, une fête en gestation
Au fil des jours, la ville de Man voit affluer toujours les commerçants de bétail, de clients, et de tractations. L’ambiance est à la fois tendue et pleine d’espoir. Entre les spiritualités vivantes et les réalités économiques, chacun s’efforce de préparer cette fête dans la dignité. Et dans la poussière du parc de bétails du quartier Belle étoile, et à Capen, au milieu des bêlements et beuglement incessants, le bélier ou le bœuf reste roi. Les négociations, elles, se poursuivent, parfois âpres, souvent animées, mais toujours essentielles à la magie de la Tabaski.
(AIP)
ebd/fmo
Un reportage de Delphin Ehui
Chef du bureau régional de Man