Gagnoa, 24 mars 2024 (AIP)- Véritables péripéties pour avoir un tuteur légal à Gagnoa. Aux dires du proviseur du lycée moderne 2, Issa N’Diaye, dont l’établissement compte plus de 4 000 élèves, plus de 30% de ces derniers sont sans tuteur légal. « Entre 40 à 45% seraient plus réalistes », note pour sa part, le directeur régional de l’Education nationale et de l’Alphabétisation (DRENA) de Gagnoa, Yoboué Konan, qui préfère parler d’élèves laissés sans surveillance des adultes. Mais comment en est-t-on arrivé là? Une journée en compagnie de ces élèves, aura permis d’apporter plus d’éclairage.
Ces enfants dont les tuteurs sont ailleurs que dans la ville
Sep Ery Sawa, 15 ans, élève en classe de 3ème 5 au lycée moderne 2 de Gagnoa, loue une maison de deux pièces, (chambre/salon) avec trois de ses frères et sœurs.
« Nous sommes cinq au total, avec la voisine de classe de ma grande sœur, venue de Tipadipa, qui vit avec nous », précise Mlle Sep, qui habite la maison depuis sa classe de sixième. Ils dorment à cinq dans l’unique chambre.
Les hommes utilisent le matelas au sol, quand les trois filles occupent le lit. A la question de savoir comment se fait la gestion du repas, la réponse est froide. « Si on pouvait manger une fois pour trois jours, ce serait idéal. Malheureusement, chaque jour, il faut en chercher, mais surtout en trouver et ce n’est pas évident », lâche-t-elle le visage assombri.
Soudain, elle revient à elle et lâche : « Par exemple. Pendant que je parle avec vous, il vient d’être midi et je vais rentrer chez moi (sa maison se situe derrière le quartier Saint Georges à un km du lycée), mais j’ignore si je vais trouver à manger. Je vais quand même et je verrai, puisque je dois reprendre les cours à 15h00 », fait remarquer la jeune élève.
En fait, le petit groupe prépare une sauce pour cinq jours. Elle est réchauffée tous les matins et tous les soirs.
« On y ajoute de la potasse pour favoriser la conservation », révèle Sawa, qui note qu’en général, la première qui rentre, prépare le riz, qui n’est disponible que les 10 premiers jours du mois. « Après, c’est sauve-qui-peut», fait-t-elle observer. Quant au loyer de 10 000 FCFA/le mois, il est payé par son père qui habite un campement derrière Ouragahio, à une vingtaine de km de Gagnoa.
« Mais pour ce mois de mars, il n’a pas encore réglé », dit-elle, bien heureuse d’avoir de l’eau d’un puits dans la cour. Concernant l’électricité, la carte est parfois rechargée, parfois non. Et l’école dans tout ça ! La raison de sa présence à Gagnoa ! Sep Ery répond que le premier trimestre a été un peu compliqué, ainsi que le second, tout en demandant si elle va pouvoir tenir l’année.
N’Guessan Kouakou Bienvenue, lui a 16 ans et fréquente la classe de troisième. Il vit seul depuis l’année scolaire 2019-2020, dans une chambre (entrer-coucher) que son père résidant à Diabo, route Sérihio (25 km de Gagnoa), loue à 7000 FCFA/mois. Bienvenue précise que son père a payé le loyer pour trois mois.
« Actuellement, c’est chaud (difficile). Je joue à cache-cache avec le propriétaire, puisque nous sommes le 13 mars et j’ai deux mois de retard. Même pour manger, c’est vraiment dur tonton », lâche-t-il. « Si tu as eu un morceau d’igname, tu le mets au feu, sinon, tu dors le ventre creux », relève l’adolescent. Les sauces aubergine et claire, sont celles qu’il préfère, vu que « c’est plus simple à préparer ». Il se réjouit de la bienveillance des commerçantes de condiments en son endroit, certainement parce qu’il est un jeune élève, murmure-t-il.
Par les temps de vaches maigres, il exerce en qualité d’aide-maçon, avec l’aide des « grands-frères du quartier ». Instrumentiste amateur (batteur), il monnaie par ailleurs, son talent dans certaines communautés chrétiennes, les dimanches ou lors des veillées de prières.
« Malgré ces quelques opportunités, ce n’est pas toujours évident de manger chaque jour », déclare-t-il, la tristesse dans le regard. A l’école, le premier trimestre n’a pas été bon, dit-il, vu qu’il a débuté les cours, six semaines après la rentrée. Il espère pouvoir se mettre au niveau avant la fin de l’année. Si certains élèves vivent seuls. C’est le cas de Bienvenue. D’autres par contre, se partagent le dortoir, comme ce groupe d’élèves qui se répartissent dans deux chambres.
Kouakou Aménan Céline, elle aussi a 16 ans et est en classe de 3ème. Venue du village de Kobouo, à une vingtaine de km de Gagnoa, elle vit à 15, dans une maison de deux chambres-salon avec entre autres, ses frères et sœurs, ainsi que des cousins, tous originaires du village de Kobouo. Située au quartier ‘Château’, à l’entrée du Grand Dioulabougou, la maison revient à 25 000 FCFA le mois.
« C’est papa qui assure le loyer », dit-elle, avant d’expliquer qu’en dehors du loyer, « c’est compliqué pour manger, donc pour étudier, donc pour assurer de bon résultats scolaires ». A la question de savoir qui est le tuteur légal, chacun des élèves rencontrés dira que c’est le père, mais il est au village. Dans la pratique, ils sont sans surveillance des adultes.
« Idem pour moi », a réagi Kra Koffi Moïse, 13 ans, élève en classe de 6ème au lycée moderne 1. Originaire du village Olibribouo, où résident ses parents. Moïse s’invite dans le débat en expliquant qu’en fait d’autorité légale, il est lui-même son tuteur et comme dans de nombreux cas, il est arrivé plus d’un mois après la rentrée scolaire. L’éducatrice qui écoute les échanges qui se passent dans son bureau, acquiesce.
Douleur et impuissance des éducateurs
« C’est exact que les enfants arrivent tard. Mais parfois, les enseignants sont compatissants, et n’en tiennent pas rigueur aux enfants. Soit ils ont droit à des devoirs de rattrapage, soit ils sont non classés », note l’éducatrice des classes de troisième.
Son collègue, Beugré Pierre, lui aussi éducateur des niveaux troisième au lycée moderne 2 Gagnoa estime qu’avec ses collègues, ils vivent au quotidien le cas de ces enfants sans tuteur. Il explique que l’éloignement des parents contraint les géniteurs à trouver des logements qu’ils louent pour leurs enfants, avec tout ce que cela comporte comme difficultés, notamment, le fait que les enfants soient livrés à eux-mêmes.
« Il n’y a pas quelqu’un d’appui pour obtenir un conseil. Ils sont la proie facile des gens peu écervelés, qui leurs promettent monts et merveilles et qui les détournent de l’école », s’indigne l’éducateur. M. Beugré note que les élèves eux-mêmes viennent poser leurs préoccupations devant lesquelles ils sont impuissants.
« On ne peut pas résoudre le problème de cinq, sept ou dix élèves. Quand c’est une ou deux, on intervient. Mais quand ça devient important, c’est difficile, et nous-mêmes, sommes peinés, désarmés devant ces situations », avoue-t-il.
Il révèle le cas d’un élève en classe de troisième, venu de la quatrième avec plus 13/20 de moyenne. Au premier trimestre de cette année, il a obtenu moins de 09/20 de moyenne, au vu de son difficile quotidien. L’enfant est « débité. Il n’a plus envie d’aller à l’école », dit-il.
L’éducateur explique que l’administration a fait plusieurs tentatives auprès des parents, mais tout cela est resté lettres mortes.
« Cet élève-là, si on n’y prend pas garde, en fin d’année, il sera exclu », note découragé M. Beugré. Le problème est plus « crucial » pour les filles, poursuit-il.
« Elles entrent dans la dépravation, avec à la clef une grossesse et puis s’en est finie, l’école est hypothéquée. Il y a plusieurs cas comme ça. Certains arrêtent, alors qu’ils ont de réelles capacités intellectuelles », déplore-t-il.
Attristé par les nombreux cas d’enfants sans la surveillance des adultes, le proviseur du lycée moderne 2, M. N’Diaye avoue à la fois sa « douleur et son impuissance ». « Un adolescent qui loue une maison, y habite sans tuteurs, sans responsables, sans adultes. Ne me posez pas la question de son rendement à l’école ! Il ne va pas se contrôler. Il va laisser libre court à ces pulsions, et finalement, la vie va prendre le pas sur les études », s’insurge Issa N’Diaye.
Pour l’année scolaire 2023-2024, il dit avoir pris à sa charge personnelle, une dizaine d’élèves en majorité des filles, dont il assure le loyer ou dans un foyer.
L’expérience du foyer SEMIRO
« C’est souvent que déjà au cours de 07h00, des enfants dorment en classe », explique le fondateur, Sekongo Minan Roger, alias SEMIRO, professeur d’Anglais au lycée moderne 3 de Gagnoa depuis 2012. Il dit avoir fait le constat que ces enfants habitent loin et sont sans tuteur. « Le comble, c’est lorsque le tuteur est un autre élève, lui-même sans surveillance des adultes », fait observer M. Sekongo. Il a donc ouvert ce foyer de 17 portes. Chacune des chambres possède trois lits avec matelas et un placard. Le foyer est muni d’un préau avec un tableau pour les études, et la lumière est disponible toute la journée. Chaque enfant paie en théorie 5 000 FCFA le mois. « Deux ans après, j’ai fait le constat que le rendement scolaire de la cinquantaine d’enfants habitant le foyer s’était amélioré », s’est-il réjoui.
Malheureusement dit-il, nombreux sont les parents qui estiment que 5000 FCFA représente une forte somme, parce qu’ils font le calcul immédiat de 60 000 FCFA l’année. Ils sont nombreux à s’acquitter de la somme demandée à la rentrée, puis disparaissent, déplore le promoteur du foyer, qui regrette que les parents ne répondent pas toujours au téléphone, au prétexte que c’est un problème de réseau.
Face à toutes ces réalités qui s’imposent à tous, et devant la suppression des internats, que faire. L’Etat y a réfléchi et a proposé de rapprocher les établissements secondaires des lieux d’habitations, avec la naissance des collèges de proximité dans toutes les régions du pays et notamment dans la DRENA de Gagnoa. Bientôt une décennie et le bilan est de savoir s’il s’agit vraiment d’une alternative crédible aux internats.
(AIP)
dd/fmo
Un reportage de Dogad Dogoui
AIP Gagnoa